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100 créatrices de BD valent moins qu’un auteur

par Marina Fabre,

Nous reprenons, sous forme de tribune [1], un article publié le mercredi 6 janvier sur le site Les Nouvelles News.

Un Collectif de dessinatrices obtient gain de cause après s’être élevé contre le Grand Prix d’Angoulême 100% masculin. Riad Sattouf, nominé pour le Grand Prix, les soutenait. Qui fait les gros titres ? Riad Sattouf. Les dessinatrices sont encore une fois invisibilisées.



Comme un cercle vicieux. Dénoncer l’invisibilité, avec succès, n’empêche pas de rester invisible. En l’espace de 24 heures le Collectif de créatrices de bande dessinée contre le sexisme a obtenu gain de cause puisque le Festival d’Angoulême va, « sans enlever aucun autre nom, introduire de nouveau des noms d’auteures dans la liste des sélectionnés au titre du Grand Prix 2016 ». C’est ce que la direction du festival annonce à la fin d’un communiqué, dans lequel elle ne fait pas pour autant le moindre mea culpa. Mardi 5 janvier, le Collectif qui regroupe une centaine de créatrices de BD avait lancé un appel au boycott du vote pour ce Grand Prix. En cause, sa sélection de 30 auteurs 100% masculine [2].

Dans la presse, quelques médias avaient relayé l’information mais très vite, la dénonciation du Collectif prenait une nouvelle dimension : Riad Sattouf, le célèbre auteur de L’Arabe du Futur, qui figure parmi les 30 en lice pour le Grand Prix, annonce qu’il souhaite « céder sa place » à une consœur. Une annonce de taille qui vient appuyer l’appel au boycott du Collectif de femmes dessinatrices. C’était en tout cas, à n’en pas douter, l’intention première de Riad Sattouf qui réclame plus de parité.

Sauf que dans la presse, un homme qui boycotte les panels 100% masculins pèse bien plus qu’une centaine de dessinatrices dénonçant des discriminations. Ainsi le lendemain, mercredi 6 janvier, le Collectif de dessinatrices passe à la trappe : l’accent est mis sur ces dessinateurs prêts à se sacrifier pour la cause. Riad Sattouf a en effet été suivi par plusieurs autres auteurs de bande dessinée comme Joann Sfar, Milo Manara, François Bourgeon… [3]

Dans le journal Les Échos, Riad Sattouf devient même l’initiateur du mouvement de dénonciation. « C’est Riad Sattouf, nominé pour le tome 2 de son roman graphique "L’Arabe du futur", qui s’en est ému le premier sur Facebook, suscitant aussitôt des commentaires louangeurs sur les réseaux sociaux », écrit le journal. Le Collectif des créatrices, à l’origine de l’indignation se serait positionné « dans le sillage » de Riad Sattouf, demandant, après coup, le boycott des votes. Dérangeante réécriture de l’histoire.

Et qui font les grands titres ? Les « grands auteurs » (sans -e-) forcément. « Accusé de sexisme, le festival de la BD d’Angoulême est boycotté par de grands auteurs », titre Les Échos. Le Parisien fait de même, évoquant à peine le rôle du collectif, quand le Huffington Post s’attache à Joann Sfar.

Une nouvelle fois, les dessinatrices sont invisibilisées. Non pas à cause de leurs confrères qui ont appuyé leur mouvement mais en raison de médias qui se focalisent encore une fois sur les hommes. Un homme féministe c’est original, intelligent, éloquent ; une femme féministe, c’est une rabat-joie, au pire une hystérique. Ce deux poids, deux mesures, n’est d’ailleurs pas passé inaperçu.

L’écrivaine Isabelle Bauthian relève aussi, au détour de ses réflexions sur l’affaire :

« La décision de Riad Sattouf force le respect (voire l’admiration), mais je ne peux m’empêcher de constater que les “hommes féministes” sont jugés classes, mais les “femmes féministes” sont jugées emmerdeuses. »



Marina Fabre



P-S (Acrimed) : Lire ici la suite (et la fin ?) de « l’affaire » Angoulême.

 
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Notes

[1Les articles publiés en tant que « tribune » n’engagent pas collectivement l’association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

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