Pourquoi ? Comment ?
À l’occasion d’un échange de courriers électroniques sur un détail (le titre donné sur le site d’« Arrêt sur images » à un « Vite-dit » consacré à un article que nous avions publié), nous avons proposé une discussion entre l’équipe d’« Arrêt sur images » et Acrimed. Daniel Schneidermann nous répond en proposant une émission sur le plateau d’ « Arrêt sur images » : une contre-proposition à laquelle nous avons répondu par l’offre d’une discussion publique dans un espace commun. Faute de trouver un accord sur cette offre, nous avons accepté une confrontation dans un espace médiatique qui, de surcroît n’est pas le nôtre : une confrontation forcément asymétrique, sur le plateau d’ « Arrêt sur images », avec un seul d’entre nous, pour ne pas créer l’illusion d’un débat « à armes égales ».
Pourquoi avoir accepté cette confrontation ? Pour clarifier, sans rien oublier des désaccords, voire des affrontements d’hier, l’état actuel des convergences, différences et divergences entre « Arrêt sur images » et Acrimed.
Cette émission devait avoir pour thème central la critique politique des médias, avec pour points de départ « l’affaire Peillon » et « l’affaire Mélenchon », ASI se réservant de préparer d’autres questions (que nous ne connaissions pas). Or que s’est-il passé ? Après deux séquences préparées par ASI (une séquence sur « L’objet du scandale » dont nous étions prévenu et une autre sur notre critique du Monde dont nous ne savions rien), la logique de la discussion a bouleversé l’ordonnancement prévu par ASI (sans remords ni plaintes de part et d’autre…) : d’où le caractère décousu d’une discussion/confrontation (d’une durée exceptionnelle : 2h16) qui aborde les thèmes au gré des relances ou des questions des présents sur le plateau.
Nos remerciements à l’équipe d’ASI pour nous avoir autorisés, comme nous l’avions convenu, de diffuser publiquement et gratuitement cette émission. Sa présentation ici même n’engage que le Collectif d’Acrimed qui l’a mise en forme.
Si vous voulez voir l’intégrale d’un seul tenant et en une seule fois, c’est ici (2 h 16). Mais compte-tenu de sa longueur, nous vous présentons ci-dessous l’émission intégrale en plusieurs séquences : un prologue, 8 actes, un épilogue, et donc 10 vidéos.
Chaque séquence est précédée d’un résumé des principaux thèmes abordés et suivie de commentaires « Après coup », une sorte de (modeste) « analyse d’un passage à l’antenne ». En note, des « précisions », notamment sur les (trop nombreuses) allusions.
Tout découpage est une interprétation. Voici la nôtre…
Le sous-titre choisi (« le match ») est une interprétation excessive d’ « Arrêt sur images » !
Prologue
Où il est question de ce qui aurait dû être le sujet de l’émission, puis, (après un premier échange sur les conditions de la confrontation), du « bidonnage » de l’émission « L’Objet du Scandale » (« dossier » présenté par Lucie Desvaux et Sébastien Rochat) et de l’intervention intempestive d’un collectif de chômeurs et précaires.
Après coup. Commencer par une allusion à l’émission d’ASI de janvier 1996 sur France 5 (dans laquelle Pierre Bourdieu avait été invité pour analyser le traitement par les médias des mouvements sociaux, notamment de ceux de décembre 1995) pouvait paraître gratuit. Mais il fallait dire d’emblée que nous n’étions pas prêts à solder les comptes, sans vérifier que la controverse était dépassée. C’est pourquoi les éclats de cette controverse et de celle qui a suivi la parution de Sur la Télévision écrit par le sociologue ponctuent les échanges (au risque que les allusions à Pierre Bourdieu paraissent trop fréquentes). Nous y revenons en « Annexe » (si l’on peut dire…).
Quant à la discussion sur le « bidonnage » de l’émission « L’Objet du Scandale », il est marqué par sa conclusion. À la question suivante portant sur l’intervention intempestive de chômeurs et précaires sur le plateau de France 2 : « Vous vous contentez de montrer, ou vous soutenez ? », Daniel Schneidermann se retranche derrière la liberté d’opinion des chroniqueurs - qui en l’occurrence ont librement choisi de ne pas évoquer le sujet.
Anne-Sophie Jacques se joint à Daniel Schneidermann et Henri Maler.
Acte I
– Sur le cadre du débat, sur Acrimed, puis sur la critique du Monde
Où il est question des conditions de la confrontation sur le plateau d’ « Arrêt sur images », de l’Association Acrimed, puis de la critique par Acrimed de la nouvelle formule du Monde.
Après coup. Puisqu’ils ont été expliqués plus haut, inutile de revenir longuement sur le désaccord initial sur les conditions de la confrontation et sur le compromis accepté par Acrimed, sinon pour souligner une fois encore que, pour nous, « le débat public ne se confond pas avec le débat médiatique », c’est-à-dire avec les débats dans les médias, y compris sur internet, fût-ce sur le plateau d’ « Arrêt sur images ». Rien à dire non plus sur la présentation générale d’Acrimed. En revanche, le détour par les objectifs d’Acrimed pour expliquer le motif d’une critique du Monde tourne court. C’est l’une des raisons pour lesquelles la différence de conception sur les enjeux de la critique du Monde n’est pas assez perceptible. Si « la crise du Monde concerne tout le monde », c’est parce qu’il y va non seulement de l’avenir de la presse écrite, mais de l’ensemble des médias dont Le Monde fait partie, même s’il ne constitue pas une « référence ». Les médias se définissent les uns par rapport aux autres au sein d’un microcosme. Les transformations de l’un d’entre eux concernent tous les autres et donc une association qui milite pour faire de la question des médias une question politique globale.
Pour des précisions suivez la note [1].
Acte II
– De la critique du Monde à celle d’Internet
Où il est question des motifs, de la place et du contenu de la critique de la presse imprimée et d’Internet. Mais aussi des enjeux d’une critique globale des médias (sous peine de « désertion » ?) et des sites indépendants : de leur indépendance et de celle d’Acrimed.
Après coup. Sur Internet notre critique est moins raréfiée qu’Henri Maler ne le laisse entendre (en se corrigeant partiellement lui-même), notamment en ce qui concerne les enjeux politiques autour de son contrôle. A contrario, « Arrêt sur images » - qui n’a pas oublié les médias « traditionnels » : bien au contraire - ne s’engage pas à leur propos : « Ce n’est pas notre boulot », déclare Daniel Schneidermann. Cela dit, il aurait fallu être plus explicite sur un point : la question n’est pas seulement de savoir si les médias traditionnels sont « crédibles » (aux yeux de qui et pourquoi ?), mais s’ils méritent (eux et leurs publics) que l’on propose leur transformation et qu’on agisse en conséquence. À noter, l’étonnant étonnement de Daniel Schneidermann qui semble croire que si nous n’enquêtons pas (ou pas assez), c’est parce que nous ne sommes pas des journalistes…
Pour les précisions, suivez la note [2].
Acte III
– La critique des médias : comment, avec quels objectifs ?
Où il est question de la différence d’approche de la critique des médias entre une entreprise de journalistes et une association de militants. Une association qui ne se satisfait pas de s’adresser à des « consommateurs de contestation », mais souhaite s’adresser à des « acteurs ».
Après coup. Deux façons de contribuer aux transformations de l’espace médiatique : exclusivement en tant que média d’information, voire en tant qu’entreprise (comme le suggère Daniel Schneidemann) ou en tant que média d’une association qui entend rester ce qu’elle est parce qu’elle s’adresse à des acteurs collectifs, dont les médias associatifs du tiers secteur entre autres. « Ceux-là, je n’en ai pas encore parlé », dit Henri Maler parlant de certains d’entre eux (et pas des médias associatifs). Or de « ceux-là », les syndicats de journalistes et de salariés des médias et plus généralement les acteurs de la vie associative, syndicale et politique, il ne sera (trop rapidement…) question qu’après un long détour. On en reste donc aux médias associatifs ? Pourquoi s’intéresser à eux ? A noter au passage que Daniel Schneidermann qui nous reproche de refuser la confrontation semble vouloir que la discussion entre nous ne tourne pas à la confrontation et lui oppose, ici comme ailleurs la « complémentarité ». Or « Nous nous félicitons toujours du conflit, c’est le consensus qui est mortifère ».
Acte IV
– Informer et intervenir ? (À propos des radios associatives)
Où il est question de l’information sur l’information selon Daniel Schneidermann, avant de revenir à la question des radios associatives et, plus généralement à l’engagement général sur le front des médias.
Après coup. Cette séquence (poursuivant la précédente) et celle qui suit évoquent donc longuement les radios associatives sur l’insistance (non coupable…) de Daniel Schneidermann, alors qu’il ne s’agissait initialement pour Henri Maler que d’un exemple des acteurs collectifs concernés par la critique des médias. Mais elle met en évidence la différence entre deux approches : une approche qui privilégie l’information (et par conséquent ne s’intéresse, du moins de prime abord, aux radios associatives que de ce point de vue de l’information journalistique qu’elles produisent) et une approche qui s’intéresse au rôle que jouent et que peuvent jouer tous les médias associatifs et s’implique, plus généralement, dans la constitution d’un « front large » sur la question des médias.
Pour des précisions, suivre la notes [3].
Acte V
– À propos des médias associatifs et des transformations des médias
Où il est à nouveau question – après plusieurs incises - des médias du tiers secteur et, plus généralement, des transformations de l’espace médiatique et des enjeux de l’appropriation associative et coopérative. Mais aussi du journalisme professionnel et, une fois encore, du rôle politique d’ « Arrêt sur images ».
Acte VI
– À propos d’ « Arrêt sur images »
Où il question d’ « Arrêt sur images ». « Un média dans le microcosme des médias » ? Un média différent sur la toile et sur France 5 ? Une impertinence qui reste une impertinence médiatique ? La création du site, une forme d’engagement ? Un modèle prometteur ? Une critique de professionnels seulement ? L’exemple d’Acrimed : un média explicatif ? L’atout d’une critique adossée à la sociologie.
Après coup. Daniel Schneidermann minimise la différence entre « Arrêt sur images » sur France 5 et sur Internet. Mais avec Anne-Sophie Jacques, il finit partiellement par l’admettre, notamment en précisant l’effet produit par la « simple création du site ». Il aurait fallu s’interroger sur ce que signifie « servir de modèle » : quel modèle ? Il aurait également fallu s’attarder plus longuement sur ce que « expliquer » signifie à nos yeux, sur quelles bases et avec quelle visée. Mais la dynamique de la discussion n’a pas permis de le faire, si ce n’est en évoquant l’apport de savoirs multiples et, plus spécifiquement, de savoirs sociologiques.
Acte VII
– La violence de l’oligarchie médiatique
Où il est question de l’altercation – « l’engueulade en plein air » - entre Mélenchon et un apprenti journaliste comparée à la violence réfléchie du livre de Laurent Joffrin Médias Paranoïa. Et plus généralement de la violence que l’oligarchie médiatique oppose à tous ceux qui la contestent, qu’il s’agisse de la critique externe avec à titre d’exemples, l’accueil réservé aux livres se Serge Halimi et de Pierre Bourdieu.
Après coup. Cette violence, il aurait fallu le préciser plus nettement, n’est pas seulement celle qui s’exerce contre Acrimed collectivement ou Daniel Schneiderman personnellement, mais contre toutes les formes de critique des médias qui, d’où qu’elles viennent, mettent en cause l’oligarchie.
Pour des précisions sur les nombreuses allusions qui jalonnent cette séquence, il est vivement recommandé de suivre la note [4].
Le quasi-monopole de la critique des médias détenu ou contrôlé par l’oligarchie médiatique peut-il être brisé par Internet ?
Acte VIII
– Internet et les forums, les débats et leurs conditions
Où il est question du rôle que peut jouer Internet dans la critique des médias, en particulier à travers les forums… et de l’absence de forums sur le site d’Acrimed. Où il est question, plus généralement, de la différence entre débats publics et débats médiatiques (et des conditions d’une confrontation équitable dans ces derniers).
Après coup. Sur les forums : les forums solidaires d’un média sur Internet (de surcroît accessibles seulement par abonnement ou inscription) font partie de l’espace médiatique propre à ce média. Si Acrimed ouvrait un forum, il serait d’abord réservé aux adhérents de notre association pour en garantir la démocratie interne. Sur les débats : oui, nous privilégions les débats en public beaucoup plus larges que notre « mouvance », mais avec le souci que ces débats rompent avec la consommation de la contestation.
Pour des précisions, suivez la note [5].
Epilogue
Où il est question des moyens dont dispose Acrimed, du nombre de ses adhérents, de la rémunération et des conditions de travail de son salarié (et pas de celles des salariés d’ASI…), et des objectifs de la campagne de don.
Pour conclure sans conclure, une précision très importante en note [6].
Longtemps après ?
– En laissant en suspens – « C’est votre version » -, pour ne pas envenimer le débat, la version que Daniel Schneidermann a donnée des origines de la controverse avec Pierre Bourdieu, nous n’avions pas renoncé à y revenir. En effet, selon cette version – en substance Bourdieu s’est énervé de la « réflexion d’un philosophe (en l’occurrence le « médiologue » Daniel Bougnoux) selon laquelle « dans Bourdieu, il y a Dieu » - , Daniel Schneidermann attribue à un accès de vanité une réaction à une émission qui, postérieure à celle où se trouvait Bourdieu, était une réplique à celle-ci. Voici ce qu’expliquait Pierre Bourdieu lui-même (en introduction à son article « La télévision peut-elle critiquer la télévision ? Analyse d’un passage à l’antenne, publié dans le Monde Diplomatique :
« J’ai écrit ces notes dans les jours qui ont suivi mon passage à l’émission « Arrêt sur images ». J’avais, dès ce moment-là, le sentiment que ma confiance avait été abusée, mais je n’envisageais pas de les rendre publiques, pensant qu’il y aurait eu là quelque chose de déloyal. Or voilà qu’une nouvelle émission de la même série revient à quatre reprises — quel acharnement ! — sur des extraits de mes interventions, et présente ce règlement de comptes rétrospectif comme un audacieux retour critique de l’émission sur elle-même. Beau courage en effet : on ne s’est guère inquiété, en ce cas, d’opposer des « contradicteurs » aux trois spadassins chargés de l’exécution critique des propos présentés. » Pierre Bourdieu fait ici allusion à une émission spéciale diffusée le 9 mars 1996 consacrée à Arrêt sur images (et aux retours « critiques » sur l’émission) où le sociologue était présent. Cette « acharnement » se poursuivra [7]. À comparer également à l’accueil réservé au patrons de chaînes : « Pour célébrer dimanche la 200° d’Arrêt sur images (La Cinquième), Daniel Schneidermann a planté quatre grosses bougies sur son gâteau : les quatre présidents (ou vice-présidents) des grandes chaînes françaises. Ils filent doux, lissent leurs images, Schneidermann est content : quelle jolie réussite ! Il est des leurs, désormais. Il est leur flic mondain, leur artifice de conscience, premier de casting dans cette foire aux vanités. » (Philippe Lançon, rubrique « Après coup », Libération, 28 mars 2000)
– En mentionnant, dès le début de l’émission, la situation avantageuse d’être un interlocuteur unique, à la différence de ce qui fut la situation de Pierre Bourdieu en 1996, il n’était pas seulement fait allusion à ce qui précède, mais aussi au refus postérieur de Daniel Schneidermann d’accorder à Pierre Bourdieu des conditions d’expression qui furent celles, par exemple, de Jean-Marie Messier. Comme on peut le voir dans le film « Enfin pris ? » de Pierre Carles, ainsi que dans l’échange de fax avec Daniel Schneidermann publié (en .pdf) sous le titre « Dialogue de sourds » de Pierre Carles [8].
– En laissant Daniel Schneidermann brandir le livre de Pierre Bourdieu Sur la télévision, comme s’il le considérait lui-même comme une référence et s’agacer de notre insistance à présenter ce livre et plus généralement la sociologie de Bourdieu comme une référence (parmi d’autres…) de notre activité, nous n’avions pas oublié l’auteur de Le journalisme après Bourdieu (Fayard, Paris, 1999). Nous ne l’avions pas oublié en évoquant « une quantité de bêtises […] absolument invraisemblables » déversées sur le livre de Bourdieu (« et je ne mentionnerai pas les vôtres ») . Nous songions notamment à des propos comme ceux-ci : « Bourdieu, il y a rien, il n’y a pas un fait. Il n’y a pas un fait, il n’y a que des diatribes, il n’y a pas un fait ». (Daniel Schneidermann à Bouillon de culture, France 2, 28 mai 1999) « […] son livre sur la télévision est présenté comme nourri par les derniers acquis de la recherche pour habiller une espèce de ratiocination qui ne repose sur aucune enquête particulière, toute entière contenue par ses présupposés de départ ». « Il joue à intimider les médias », (interview de Daniel Schneidermann dans L’Evénement du jeudi, 25 juin1998). « Rejetant le journalisme d’argent et le journalisme-spectacle, le « contre-journalisme » jette aux orties dans le même mouvement l’essence du journalisme lui-même, à savoir la vérification de ses informations auprès de plusieurs sources indépendantes les unes des autres. » (Daniel Schneidermann, Du journalisme après Bourdieu, Fayard, 1999). C’est vrai : les sociologues, et notamment Pierre Bourdieu, ne vérifient pas les faits.
Quelques références
- « L’émission "Arrêt sur images" du 20 janvier 1996 avec Pierre Bourdieu ».
- Pierre Bourdieu, La télévision peut-elle critiquer la télévision ? Analyse d’un passage à l’antenne, dans Le Monde Diplomatique.
- Daniel Schneidermann, « Réponse à Pierre Bourdieu » dans Le Monde Diplomatique.
- De Pierre Carles : « Enfin Pris ? » (2001) et Dialogue de sourds.