I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres
- Daniel Mermet gagne son procès contre Radio France – Début novembre, Radio France a été condamnée par la Cour d’appel de Paris pour le « licenciement abusif et sans cause réelle » de Daniel Mermet. L’ancien animateur de l’émission « Là-bas si j’y suis » a été licencié de France inter en juin 2014, sa directrice, Laurence Bloch, prétextant un âge trop avancé et une baisse d’audience de son émission. Nous avions alors dénoncé ces arguments fallacieux. D’après Les Inrocks, « au total, la station devra payer des indemnités (de licenciement, de dommages et intérêts, de préavis et de requalification) à hauteur de 300 000 euros au journaliste, qui dirige désormais le site de “Là-bas si j’y suis”, uniquement sur Internet. Selon Daniel Mermet, cette condamnation inhabituelle lève le voile sur le statut précaire des journalistes de Radio France. La grève historique que la station avait traversée en 2015 attestait également de contrats de plus en plus courts, et du fait qu’un même collaborateur pouvait enchaîner plusieurs CDD à l’année. »
- Élise Lucet et « Cash Investigation » à nouveau mis en examen – Le mois dernier, nous rappelions la mise en examen des journalistes Élise Lucet et Laurent Richard, traînés devant la justice française par l’Azerbaïdjan pour avoir diffusé un reportage critique vis-à-vis du régime en place dans ce pays. Le tribunal correctionnel de Nanterre a finalement jugé irrecevable début novembre cette plainte en diffamation. Les ennuis judiciaires ne sont pas terminés pour autant pour les journalistes de France Télévisions. En effet, Elise Lucet a déclaré sur France 5 qu’elle allait « être mise en examen pour la troisième fois depuis le mois de septembre ». Elle explicite aussi les menaces que son émission attire : « Mes deux rédacteurs en chef ou moi, personne ne nous appelle. Ils appellent directement Delphine Ernotte [2]. (...) il y a des menaces de retrait de pub qui parfois ne sont pas que des menaces. »
- Une journaliste du Temps accuse la gendarmerie française d’intimidation – Mi-novembre, le quotidien suisse Le Temps a publié un communiqué accusant la gendarmerie et le procureur de Briançon (Hautes-Alpes) de tentatives d’intimidation à l’encontre de la journaliste Caroline Christinaz. Cette dernière, qui effectuait un reportage sur les routes empruntées par les migrants, « a été convoquée puis interrogée durant deux heures à la gendarmerie de Briançon (...) Sa qualité de journaliste en mission n’a jamais été entendue par les autorités, qui l’ont immédiatement considérée comme suspecte dans un contexte de forte mobilisation des forces de l’ordre pour refouler les migrants dans cette région. » Caroline Christinaz aurait ainsi découvert faire l’objet d’une enquête pour « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’étrangers sur le territoire français », des infractions pouvant lui coûter une lourde amende et jusqu’à cinq ans de prison. L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a réagi à l’affaire, et rappelle que « réaliser un reportage sur les migrants ou sur ceux qui leur viennent en aide ne peut être associé à un délit. Traiter un journaliste comme un suspect alors qu’il ne fait qu’exercer sa profession est une entrave au libre exercice du journalisme. »
- La chaîne LCP suspend le journaliste Frédéric Haziza, accusé d’agression sexuelle – Suite à une enquête de Buzzfeed, révélant que Frédéric Haziza est accusé de harcèlement sexuel contre une journaliste de LCP (qui a déposé plainte), ce dernier a été suspendu d’antenne par LCP. La chaîne parlementaire a dans la foulée annoncé la convocation d’un conseil d’administration extraordinaire afin de « faire toute la lumière [sur] des faits d’agression ou de harcèlement sexuels ». Cette affaire, qui n’est que la partie émergée de l’iceberg, participe d’une libération de la parole des femmes harcelées dans les rédactions de presse. L’AFP évoque un autre cas récent, celui d’« une reporter de BFMTV [qui] a elle aussi porté plainte contre l’ex-directeur de la rédaction de France 2, Eric Monier, qui travaille aujourd’hui chez LCI (la chaîne d’info du groupe TF1) pour “harcèlement sexuel et moral”. » Toujours d’après l’AFP, d’autres femmes journalistes « ont témoigné sur les réseaux sociaux sans nommer leur agresseur, avec le fameux mot clé "Balancetonporc", qui avait été créé par... une journaliste. »
- Un rapport du CSA pointe le sexisme de la pub à la télévision – « Le rôle attribué aux femmes est réducteur et, volontairement ou non, des stéréotypes de genre imprègnent encore un grand nombre de messages » écrit le CSA, relayé par Libération. Plusieurs constats sont pointés à l’appui de cette conclusion, dont la surreprésentation des hommes en général – « Ils constituent 54 % des personnes mises en scène, contre 46 % pour les femmes » –, et en particulier quand il s’agit de présenter des experts pendant une publicité – « La disproportion s’accentue quand on s’intéresse aux visages des « experts » représentés dans les publicités télévisées. (...) Par exemple, le chercheur en blouse blanche, au sourire éclatant, qui vient vanter la capacité d’un dentifrice à redonner vie à vos gencives. Les hommes occupent 82 % de ces rôles publicitaires d’experts, contre seulement 18 % pour les femmes… »
- France Télévisions : les internautes ont regardé une pub de 52 minutes sans le savoir – France télévisions déroule le tapis rouge à un industriel… sans en informer ses téléspectateurs. D’après Arrêt sur Images, France 5 a consacré une émission entière à louer les produits d’un industriel de l’agroalimentaire. Sous couvert d’information sur les produits à destination des bébés, les téléspectateurs de France 5 ont donc regardé une publicité de 52 minutes (durée de l’émission en question), sans en être informés : « Dans la description de l’émission, celle-ci est présentée comme les autres. (...) Seule mention présente, la discrète introduction "Candy baby croissance présente" au tout début de l’émission. L’animatrice se contente pour sa part en introduction d’un petit avertissement : "C’est une émission un petit peu spéciale aujourd’hui” ». Arrêt sur Images rappelle que cette pratique est illégale : « l’article 20 de la loi du 21 juillet 2004 ne dispose pas seulement que “toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle”. Il dit aussi que le média concerné “doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée” ».
- L’opération redressement d’Europe 1 ne fonctionne pas pour l’instant – L’arrivée de Patrick Cohen n’a rien changé. Annoncé à grand renfort de commentaires médiatiques, le départ de l’animateur de la matinale de France Inter pour Europe 1, ainsi que les autres changements au sein de la grille de la radio de Lagardère, n’ont pas provoqué les effets escomptés. Le Monde explique ainsi qu’« en septembre et en octobre, [Europe 1] affiche 7,2 % d’audience cumulée. Sur un an, la radio chute de près de 1 point » ajoutant que « Patrick Cohen (...) affiche des résultats équivalents à ceux de Thomas Sotto, qu’il a remplacé depuis la rentrée sur Europe 1. Le journaliste n’a pas réitéré l’exploit de Laurent Ruquier qui, en partant d’Europe 1 vers RTL en 2014, avait réussi à emmener ses auditeurs avec lui. »
II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- « Paradise papers » : Bernard Arnault attaque Le Monde au portefeuille – Les milliardaires Serge Dassault et Bernard Arnault ont récemment été cités dans les révélations du Monde sur les bonnes affaires de leur groupe dans des paradis fiscaux. Arrêt sur Images a scruté la couverture de l’événement par Le Figaro, propriété de Serge Dassault : « Aucune trace des "Paradise Papers" dans l’édition papier de ce 8 novembre. Sur son site Internet, l’information est brièvement mentionnée dans un article classé dans la rubrique économie du site du Figaro, dans une sous-section nommée "Conjoncture". Intitulé "Paradise Papers : une dizaine de groupes mis en cause" et s’appuyant sur une dépêche AFP, il mentionne Dassault Aviation, en huitième position derrière Facebook, Twitter, Apple, Nike, Uber, Whirlpool et Glencore. » La même discrétion est observée au Parisien et aux Échos, propriété de Bernard Arnault. Ce dernier est cependant allé beaucoup plus loin dans le cynisme. En effet, d’après Le Canard enchaîné du 15 novembre, Le Monde « s’est vu retirer jusqu’à la fin de l’année les pages de pub de LVMH [propriété de Bernard Arnault], soit un manque à gagner de 600 000 euros ». Bernard Arnault n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il avait déjà utilisé le même procédé en 2012 contre le quotidien Libération, qui avait osé titrer sur sa demande de naturalisation en Belgique. Le manque à gagner pour le journal avait alors été chiffré à 700 000 euros. L’occasion de rappeler que la dépendance à la publicité rend de nombreux titres de presse français vulnérables aux coups de menton de quelques barons fortunés.
- Nouvelle censure de Vincent Bolloré à Canal+ – C’est désormais une habitude : un documentaire a été censuré suite à la demande directe du propriétaire de la chaîne, le milliardaire Vincent Bolloré. Diffusé en France le 15 octobre dernier dans l’émission « L’Effet papillon », « Lâche le trône » est un documentaire à charge contre le président du Togo, Faure Gnassingbé. « Seulement voilà, Faure Gnassingbé n’est pas seulement un président indéboulonnable, c’est aussi l’un des partenaires économiques privilégiés du grand patron de Canal+, Vincent Bolloré. Logistique portuaire, télécommunications, transport ferroviaire, stockage d’électricité... au Togo, le groupe de l’industriel breton s’est depuis longtemps vu ouvrir les portes de tous les secteurs stratégiques du pays », rappelle un article d’Arrêt sur Images. La rediffusion du documentaire a été déprogrammée et il est désormais inaccessible en service de replay. Ironie du sort, « Lâche le trône » a tout de même été diffusé par erreur sur le réseau africain. « Malgré les efforts de Canal France, quelques 2 millions d’abonnés africains, dont les Togolais, ont ainsi pu avoir accès à “L’Effet papillon”, supprimé en France. » Un raté qui risque de déclencher des licenciements en interne.
- En libéralisant la publicité, le gouvernement porterait un nouveau coup au pluralisme médiatique – Encore un coup dur pour le pluralisme médiatique en France ? D’après Les Échos, le gouvernement d’Édouard Philippe réfléchit à « ouvrir la publicité télévisée aux bandes annonces de cinéma, aux promotions de la grande distribution (les publicités institutionnelles pour les Carrefour, Super U, etc. sont déjà autorisées) et à l’édition. La publicité télévisée ciblée pourrait aussi être autorisée. » Plusieurs organisations se sont opposées à cette démarche, dont, toujours d’après Les Échos, « le syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), Fédération de la presse périodique régionale (FPPR), Union de la presse en région (UPREG), Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS), Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), le pôle radio du groupe Lagardère (Virgin Radio, Europe 1 et RFM) et le syndicat des radios indépendantes (Sirti), ainsi que l’Union de la publicité extérieure. » Pour elles, une telle libéralisation engendrera une baisse de leurs recettes publicitaires : « Ces organismes estiment que la dérégulation de la publicité à la télévision affaiblira les médias traditionnels, dont les recettes publicitaires ont chuté de 27 % de 2000 à 2016. » In fine, ces acteurs dénoncent une menace sur le pluralisme médiatique, puisque cette libéralisation de la publicité au profit de la télévision « menacerait la santé, voire la survie, de nos médias et des emplois associés, ainsi que leur contribution évidente au pluralisme de l’information et à la richesse du paysage médiatique et culturel ».
- Audiovisuel public : la stratégie du démantèlement continue – Le gouvernement demande des « économies » et la direction de l’audiovisuel public s’exécute avec zèle. C’est, en résumé, ce qui est train de se passer au sein de l’audiovisuel public français (France Télévisions, Radio France, INA, France Médias Monde…). Dans le cadre plus large du « comité action publique 2022 » à travers lequel le gouvernement d’Édouard Philippe entend raboter les budgets de toutes les administrations publiques, il apparaît que l’audiovisuel public sera mis à contribution à hauteur de 50 millions d’euros. D’après Le Monde, ce comité ne propose rien de moins que « la fermeture des bureaux régionaux de France 2, un recentrage de l’offre régionale de France 3, la révision du maillage régional d’information de France 3 », avec suppressions d’emploi à la clé. Parallèlement à cette réflexion, le gouvernement a demandé aux médias publics de proposer eux-mêmes des pistes pour composer avec la demande de baisse budgétaire. Delphine Ernotte, présidente de France télévisions, a alors proposé, selon Le Monde, de « rapprocher France Télévisions d’Arte et de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), susciter au niveau régional treize groupements d’intérêt économique rassemblant France 3, France Bleu et les journaux ou les télévisions locales privées » ainsi qu’une une « évolution de son modèle social », c’est-à-dire un changement des conditions de travail des salariés de France Télévisions. En interne, cet empressement de la direction à satisfaire les injonctions du gouvernement n’est pas du goût de tout le monde. C’est le cas par exemple des rédactions des magazines « Envoyé spécial » et « Complément d’enquête », qui se voient menacés de suppressions massives d’emploi suite à la division par trois, envisagée pour le moment, de la diffusion de ces magazines. D’après Arrêt sur Images, la société des journalistes de France 2 a dénoncé les « conséquences désastreuses qu’un tel projet ferait peser sur l’information du service public et sa qualité (…) et plus généralement sur l’emploi au sein des rédactions. » Si la direction de France Télévisions a semblé récemment revenir sur la précarisation de d’« Envoyé spécial » et de « Complément d’enquête », en interne, on parle de « coup de com’ » et d’ « enfumage ». À suivre…
- Le groupe Altice au bord du gouffre, Patrick Drahi reprend la main – Les actionnaires d’Altice ne croient plus au père Noël. À l’origine de la défiance, « un simple communiqué de résultat trimestriel, dans lequel le groupe annonçait qu’il ne respecterait pas forcément tous ses engagements à la fin de l’année » selon Mediapart. Depuis, c’est le grand plongeon pour Altice. Patrick Drahi, son président, décide alors de réintégrer formellement l’entreprise, selon Le Monde : « Patrick Drahi, qui avait progressivement disparu de l’organigramme d’Altice, revient aux commandes avec le titre de président. Et ce même si en réalité, l’homme d’affaires a toujours été à la manœuvre au sein du groupe. » Première décision de M. Drahi : repousser le remboursement d’une grande partie de son énorme dette (50 milliards d’euros) à 2023. Par le biais d’Altice, Patrick Drahi est le propriétaire de Libération et L’Express, entre autres. Lors de leur rachat, qui s’était accompagné de vagues de départs, le président d’Altice avait promis des investissements massifs pour relancer les deux titres. Aujourd’hui, ces médias attendant toujours. Par exemple, trois ans après son rachat, Libération s’est inquiété, d’après Arrêt sur Images, de l’absence d’investissements : « Voilà des mois que la direction fait miroiter un plan d’investissement. Un plan pour l’instant obscur, sans enveloppe financière, sans objectifs clairs et sans date de mise en œuvre. »
- TF1 et SFR trouvent finalement un accord – Depuis un an, TF1 réclamait de l’argent à l’opérateur SFR pour que celui-ci puisse continuer à diffuser les contenus de la chaîne du Groupe Bouygues [3]. Après avoir coupé l’accès à ses services de replay pour les abonnés de SFR, TF1 a menacé l’opérateur d’actions judiciaires. Un accord a finalement été trouvé début novembre, à l’avantage de TF1. D’après le quotidien économique Les Échos, « Les deux groupes se refusent à révéler le montant que SFR va régler. Un observateur bien informé estime que le groupe pourrait avoir accepté de payer entre 20 et 30 millions d’euros contre un peu moins de 10 millions auparavant. TF1 représente une part d’audience importante. » Ce bras de fer perdu par SFR pourrait donner des idées à d’autres chaînes, comme M6, dont l’« accord actuel arrive à échéance en fin d’année. »
- Le Conseil d’État rejette un recours de TF1 contre la chaîne Franceinfo – LCI devra donc faire avec une concurrente publique… Le Groupe TF1, propriétaire de la chaîne d’info LCI, voyant d’un mauvais œil l’arrivée, dans un paysage déjà très concurrentiel, de la chaîne publique d’informations en continu Franceinfo, a tenté un recours auprès du Conseil d’État D’après Le Monde, « TF1, filiale du groupe Bouygues, avait déployé une batterie d’arguments devant le Conseil d’Etat, lors d’une audience organisée à la fin d’octobre. La chaîne expliquait notamment que la décision du CSA avait été prise de manière irrégulière, et que l’attribution de fréquences à la chaîne d’information publique était contraire au principe de libre concurrence. » Le Conseil d’État explique le rejet de ce recours en expliquant que « la création d’une chaîne publique d’information en continu répond au besoin de connaissance et de compréhension de l’actualité, d’analyse et de mise en perspective conformément aux missions attribuées à France Télévisions ». Le Conseil d’État n’en a pas fini avec les affaires médiatiques, puisque d’après BFMBusiness, la chaîne Canal+ a décidé d’attaquer TF1 et M6 pour contester l’allégement de certaines obligations pesant sur les deux chaînes. Une affaire à suivre...
Jérémie Fabre et Benjamin Lagues