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Actualité des médias n° 11 (décembre 2017)

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Avec cet article, nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1]

I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres

- Delphine Ernotte fragilisée, l’audiovisuel public sous pression… – La présidente de France Télévisions a essuyé un nouveau désaveu de ses salariés. D’après Télérama, « la motion de defiance dont la PDG de France Télévisions était l’objet a été approuvée à une large majorité. À la question de savoir si les salariés font confiance à leur dirigeante “pour préserver la qualité et les moyens de l’information à France Télévisions”, les votants ont répondu massivement non, à 84%. » [2] De quoi affaiblir encore un peu plus Delphine Ernotte face au gouvernement et sa volonté affichée de réformer massivement l’audiovisuel public. CBNews rappelle ainsi qu’« en novembre, des fuites dans la presse sur des “pistes de travail” radicales émanant du ministère de la Culture, avaient fait l’effet d’une bombe. Ces documents évoquaient un “rapprochement” entre France Télévisions et Radio France, ainsi qu’entre les réseaux régionaux de France 3 et France Bleu, mais aussi la suppression de France Ô ou le passage de France 4 à une diffusion 100 % numérique. » : en espérant que l’interview dégoulinante de complaisance du président de la République par le présentateur vedette de France 2, Laurent Delahousse, ne constitue pas une illustration de ce que l’exécutif attend de l’audiovisuel public à l’avenir...

- Un journaliste devient porte-parole du ministère de l’Intérieur – L’ancien journaliste de TF1 et BFMTV Frédéric de Lanouvelle a été nommé début décembre porte-parole du ministère de l’Intérieur, a annoncé Europe 1. Ce nouveau mélange des genres au sommet de l’État fait suite à la nomination polémique de l’ancien éditorialiste du magazine Challenges Bruno Roger-Petit au poste de porte-parole de l’Élysée l’été dernier [3]...

- L’idée d’un Conseil de la presse devient une question politique – Début décembre, après un passage dans une émission politique sur France Télévisions qu’il a qualifié de « traquenard », le député France insoumise Jean-Luc Mélenchon a lancé une pétition « Pour la création d’un Conseil de déontologie du journalisme en France ». Si cette initiative a bien sûr déclenché une polémique dans la profession, Jean-Luc Mélenchon a attribué la primauté de cette proposition à Acrimed. Dans un article intitulé « Un “Conseil de la Presse” ? À quelles conditions et comment », nous avons précisé notre position sur le sujet.

- La rédaction du Parisien Week End désavoue encore une fois sa direction – Fin novembre, la chefferie du supplément week end du Parisien a dû annuler en catastrophe un projet douteux de partenariat commercial avec des entreprises de sondages. Arrêt sur images détaille ainsi le projet : « L’idée : publier un sondage sur les produits préférés des Français, effectué à titre “gracieux” par Statista pour le magazine. Ce sondage serait ventilé sur 32 semaines sur une page thématique en fin de supplément. “Les entreprises plébiscitées (Décathlon, Nike, Adidas par exemple) seront ensuite démarchées par la régie dans le but de monétiser ce classement : elle leur vendra le titre de ’Marque préférée des Français’, assorti des logos du Parisien et de Statista. Ces enseignes pourront l’utiliser dans leur campagne publicitaire” ». Contre ce projet, la rédaction du Parisien Week End a voté à l’unanimité moins une abstention une motion déplorant « une ligne éditoriale floue déconnectée de l’actualité avec pour volonté clairement affichée de servir les annonceurs au détriment des lecteurs du Parisien Week-End.  » Ce n’est pas le premier désaveu de la nouvelle direction du journal depuis son rachat par le milliardaire Bernard Arnault : en octobre dernier, la rédaction du Parisien avait voté massivement la suppression de l’édito, que la direction souhaitait et est parvenue à maintenir [4].

- L’Obs condamné pour le licenciement abusif d’Aude Lancelin – En mai 2016, la directrice adjointe de la rédaction de l’Obs, Aude Lancelin, est licenciée sans explication par la direction du journal. Il apparaît rapidement que le renvoi d’Aude Lancelin aurait été une demande directe du propriétaire du journal, Claude Perdriel, qui n’appréciait pas sa proximité avec le mouvement Nuit debout. S’ensuit une polémique houleuse quant au caractère politique de ce licenciement, comme nous le racontions un mois plus tard. Le bureau de jugement des prud’hommes de Paris a tranché début décembre une partie de l’affaire : le licenciement d’Aude Lancelin par l’Obs était « sans cause réelle et sérieuse ». L’Obs est donc condamné à lui verser 90 000 euros. D’après Libération, Aude Lancelin demandait cinq fois plus, car elle estimait en effet « avoir été limogée pour des raisons politiques, des soupçons alimentés par les propos et SMS de plusieurs actionnaires de l’Obs. Lors de l’audience, le bureau de jugement avait averti qu’il ne s’intéressait qu’au contenu de la lettre de licenciement. Il a donc estimé celle-ci insuffisamment argumentée, et laissé de côté le débat sur les raisons réelles de ce limogeage. »

- Le JDD fait passer pour une exclusivité des photos volées sur les réseaux sociaux – À propos de la contestation de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, Le Journal du dimanche a publié mi-décembre un article intitulé « Les photos secrètes de la ZAD ». D’abord présentées comme une exclusivité du journal, il s’avère finalement que les photos en question ont été pillées sur plusieurs réseaux sociaux, puis retouchées pour accentuer leur caractère anxiogène. Le JDD s’est depuis excusé dans une mise au point publiée quelques jours plus tard, avouant que sa source était un document de la gendarmerie repris tel quel sans vérifications... Un exemple particulièrement navrant qui participe de la médiatisation inquiétante de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, sur laquelle nous sommes revenus récemment dans un article.

II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

- Le groupe Perdriel se réorganise – Le groupe automobile français Renault Nissan va rentrer au capital du Groupe Challenges (qui comprend Challenges, Sciences & Avenir, La Recherche, L’Histoire et Historia) à hauteur de 40 %. C’est ce qu’a annoncé mi-décembre Claude Perdriel dans son hebdomadaire économique. Perdriel devrait de son côté conserver 60 % des parts. Renault va ainsi investir cinq millions d’euros dans le Groupe Challenges pour éponger ses dettes, et mettra ses contenus à disposition de tous les propriétaires de ses marques de voitures. Une tentative de synergie inédite en France, où ce sont les groupes de télécommunications (SFR, Free, Bouygues télécom…) qui ont été les plus agressifs dans le domaine jusqu’ici. Dans un article publié le lendemain, Mediapart pose plusieurs questions intéressantes : « Carlos Ghosn a-t-il accepté lui-même cet accord, qui fait perdre 5 millions d’euros à Renault sans réelle contrepartie ? Martin Vial, qui dirige l’Agence des participations de l’État (APE) et qui siège à ce titre au conseil d’administration de Renault, a-t-il été mis au préalable dans la confidence ? Question plus grave : le soutien énergique que Claude Perdriel a apporté à Emmanuel Macron, bien avant qu’il ne soit assuré de sa victoire présidentielle, lui vaut-il cette bonne fortune d’aujourd’hui ? ». Si Claude Perdriel se pose en « garant » de l’indépendance éditoriale de Challenges, il est particulièrement savoureux de noter que la une du jeudi 14 décembre (le surlendemain de l’annonce de l’arrivée de Renault) fait figurer en bonne place une voiture… Renault ! Autre titre de Claude Perdriel, Le Nouveau magazine littéraire tente de se relancer de son côté en faisant appel à des investisseurs tels que Thierry Verret, Bruno Ledoux, et… l’inévitable Xavier Niel, déjà copropriétaire du Groupe Le Monde.

- Presstalis en grande difficulté – Les journaux arriveront-ils encore dans les kiosques ? Ce n’est pas certain si Presstalis coule. L’entreprise de logistique est en effet menacée : «  Affectée depuis des années par la sévère crise touchant la diffusion de la presse, elle a connu en 2017 une aggravation de sa situation, menaçant par ricochet l’ensemble du système », explique Libération. Pour tenter de sauver l’entreprise, «  le conseil d’administration de Presstalis a donné les pleins pouvoirs à sa nouvelle patronne, Michèle Benbunan.  » Le CA de l’entreprise a par ailleurs « demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce pour être épaulé dans cette tâche. » Enfin, Presstalis se tourne aussi vers l’État, qui a une responsabilité en la matière : «  Le système de distribution de la presse est régi par la loi Bichet de 1947, qui garantit le libre accès des éditeurs au réseau de distribution. Alerté par les éditeurs sur les difficultés de Presstalis, le gouvernement a confié en septembre une mission sur le sujet à Gérard Rameix, ex-président de l’Autorité des marchés financiers, qui connaît bien le secteur pour avoir déjà travaillé dessus il y a quelques années » explique Libération.

- Causette en liquidation judiciaire – D’après Arrêt sur Images, le mensuel féministe « se dirige vers une liquidation judiciaire, mais sans cessation d’activité ». Le 9 janvier, toujours selon Arrêt sur images, “le tribunal de commerce vient de décider la poursuite d’activité jusqu’à fin février. Les repreneurs / repreneuses potentielles vont maintenant déposer leurs dossiers.

- Le Lab d’Europe 1 supprimé – Confronté à une chute d’audience et de rentrées publicitaires depuis plusieurs mois [5], Europe 1 a annoncé la suppression fin janvier du site Le Lab d’Europe 1, largement consacré aux petites phrases de personnalités politiques. D’après Le Figaro, « les faibles audiences du Lab seraient à l’origine de cette décision (...). La direction de la radio devrait proposer à l’équipe d’autres postes au sein de la rédaction numérique. »

- Le CSA condamne NRJ et met en demeure France Télévisions – L’animateur de télévision et radio Cauet a « publiquement humilié et placé dans une situation de détresse et de vulnérabilité manifestes  » une personne victime d’un canular de l’animateur, selon les mots du CSA. En cause : un canular téléphonique humiliant, diffusé sur NRJ en décembre 2016, au sujet d’une personne qui, par ailleurs, « n’avait pas donné son accord pour la diffusion de la séquence  » selon le Huffington Post. La chaîne a décidé de faire appel devant le Conseil d’État en précisant qu’elle « n’a jamais été sanctionnée dans de telles conditions en 36 ans, et qu’elle s’attache à promouvoir les valeurs de l’égalité femmes-hommes, du respect d’autrui, de l’acceptation des différences et du vivre ensemble. » De son côté, France Télévisions vient également de subir une sanction du CSA en raison de l’entretien avec Sandrine Rousseau, diffusé au sein de l’émission « On n’est pas couché » (France 2), à propos des violences faites aux femmes. Sandrine Rousseau avait été «  violemment prise à partie par les deux chroniqueurs vedettes, Yann Moix et Christine Angot  » relate l’hebdomadaire Marianne. La sanction contre France Télévisions n’est cependant qu’une mise en demeure, une « sanction plutôt symbolique, qui précède les pénalités financières et les suspensions de programme dans l’échelle du CSA » explique Marianne.

- Censure de Vincent Bolloré à Canal+ (suite) Nous racontions le mois dernier comment le milliardaire Vincent Bolloré a imposé la déprogrammation de sa chaîne Canal+ d’un reportage critiquant Faure Gnassingbé, président du Togo et client important du Groupe Bolloré. Manque de chance, le reportage en question a été diffusé par erreur en Afrique par Canal+ international. Le site Les Jours est revenu dans un article sur les suites de l’affaire. En interne, Vincent Bolloré a exigé le licenciement pour faute grave d’une « coupable toute trouvée, la chargée de la programmation qui n’a pas vu que [ce reportage] était frappé d’opprobre : faute grave, après dix-sept ans de maison. “Cette pauvre femme a fait son travail consciencieusement comme elle le fait depuis des années, et c’est elle qui trinque ? Je suis dégoûté”, s’indigne un salarié. Mais que voulez-vous, il fallait que quelqu’un paie. On notera d’ailleurs que sa responsable, elle, n’est pas menacée : celle-ci s’appelle Nathalie Folloroux, elle est directrice de la programmation à Canal+ International depuis 2015. Oh et un détail, elle est également la belle-fille d’Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, où les affaires de Vincent Bolloré se portent très bien merci. » La colère de Vincent Bolloré a finalement atteint les hautes sphères de la direction de Canal+ : François Deplanck, n° 2 de Canal+ international a lui aussi été écarté. Les Jours citent une excellente question d’une salariée du Groupe Canal+ : « On va devoir passer notre temps à se demander si les sujets ne sont pas contraires aux intérêts de Bolloré ? » Des conditions de travail iniques que dénonce publiquement Reporters sans frontière. RSF a ainsi demandé publiquement au Comité d’éthique de Canal+ de se saisir de l’affaire.

- La chaîne de télévision RT France, émanation de Russia Today, est lancée – Lundi 18 décembre 2017, la chaîne de télévision RT France, déclinaison française de la chaîne publique russe Russia Today, a été officiellement lancée. Distribuée «  sur le câble et le satellite, sur Internet ainsi que via la box de Free (Canal 359) », la chaîne fonctionnera «  avec un budget de lancement de 20 millions d’euros  » et «  devrait compter en 2018 une rédaction d’une cinquantaine de journalistes  » selon CBNews. La chaîne a notamment recruté des journalistes des chaînes d’information en continu. Ainsi, toujours selon CBNews, «  son directeur adjoint de l’info, transfuge de LCI, [est] Jean-Maurice Potier.  » Parmi les recrutements, figurent aussi «  le journaliste Jean-Marc Sylvestre et l’économiste euro-critique Jacques Sapir qui animeront un débat chaque semaine.  » Le CSA, avec qui RT France a signé une convention qui lui permet d’être diffusée en France, s’est vu adresser une demande de revenir sur cette autorisation. Les auteurs de cette demande ont signé une tribune, publiée dans Le Monde, qui demande en effet, «  au nom de la préservation de la paix civile de suspendre l’attribution de la licence de diffusion à Russia Today sur le territoire français.  » Olivier Schrameck a affirmé, à propos de RT France que les membres du CSA «  l’observent constamment  » pour « réagir avec promptitude à toute anomalie qui se produirait. » Une verve qui contraste avec les pouvoirs réels du CSA

Jérémie Fabre et Benjamin Lagues

 
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Notes

[2Voir, sur cette motion de censure et plus généralement sur la situation à France Télévisions, notre entretien avec Fernando Malverde, journaliste à France 3 et syndicaliste.

[3Nous l’évoquions dans le numéro 7 de notre actualité des médias.

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