I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres
- Offensives médiatiques contre les grèves de cheminots – Alors que des mobilisations sociales ont lieu contre la réforme de la SNCF, les médias dominants sonnent la charge. Ainsi, les premiers tirs de barrage ont rapidement eu lieu, les débats télévisés se sont mués en guet-apens pour syndicalistes, les pires talk-shows radiophoniques ont mis la main à la pâte pour décrédibiliser le mouvement social, les matinales radio ont montré une belle unanimité et les sondages étaient bien conçus pour dire ce qu’on voulait qu’ils disent.
- Préavis de grève à France Télévisions – Les syndicats SNJ, CFDT, CGT et FO ont annoncé dans un communiqué commun avoir déposé un préavis de grève pour le mercredi 4 avril. Ils dénoncent le licenciement pour « faute » du journaliste de France 3 Jean-Marc Pitte le mois dernier. Après trente ans de carrière à France 3, Jean-Marc Pitte s’est vu reprocher d’avoir insulté son rédacteur en chef et refusé de réaliser un reportage, ainsi qu’une entorse supposée (puisqu’il n’y a pas de contravention) au code de la route. Des accusations que le journaliste réfute en bloc et jugées « ubuesque » par les syndicats de France Télévisions, pour qui « le licenciement de Jean-Marc Pitte est une violence sociale, menaçante pour tous les salarié‑e-s de France Télévisions. » D’après Le Monde, Jean-Marc Pitte indisposait de grands élus normands, qui s’en seraient plaints auprès de ses supérieurs hiérarchiques, cette intervention ayant pu entrer en ligne de compte dans son licenciement – une hypothèse corroborée par le Syndicat national des journalistes (SNJ) pour qui l’affaire met « au jour la soumission intolérable de la direction de France Télévisions à des pressions politiques locales ! » Jean-Marc Pitte a de son côté indiqué qu’il porterait l’affaire aux Prud’hommes.
- La radio en France confirme son sexisme – La radio est sexiste, plus que la télévision. C’est l’enseignement à retenir d’une étude menée par le CSA pour l’année 2017 : « La représentation des femmes à la télévision et à la radio ». Slate explique ainsi que « les chiffres du CSA recensent 38 % de femmes, contre 42 % à la télévision. L’an dernier, l’autorité indépendante notait déjà “un déséquilibre plus marqué à la radio qu’à la télévision”, avec une présence globale de femmes à 36 % pour la radio en 2016, contre 40 % pour la télévision. » Un sexisme qui se traduit par une moindre présence des femmes « devant et derrière le micro » et des inégalités salariales.
- Nouvelle plainte contre « Cash Investigation » – Déjà mise en examen à de multiples reprises [2], les ennuis continuent pour l’émission « Cash investigation » et sa présentatrice Élise Lucet. Le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) a porté plainte contre X pour « violation de domicile privé ». D’après le site Ozap, « cette plainte vise “Cash investigation”, dont les équipes se sont rendues avec Élise Lucet le 14 février dernier dans le hall du siège de l’entreprise à Paris, où devait se tenir un conseil d’administration. La réunion ayant été annulée, les équipes de France 2 sont restées dans le hall où elles ont distribué pendant environ une heure au personnel présent un tract contenant un questionnaire. La plainte déposée décrit une “impressionnante irruption en force d’une équipe d’une dizaine de personnes, caméras ouvertes” et la distribution d’un questionnaire “quasi policier”. Cette plainte qualifie l’ensemble de ces éléments de “singulières méthodes journalistiques de recueil d’information”. Cela constituerait selon les plaignants une voie de fait et une contrainte passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Premières Lignes, la société de production de l’émission, dénonce de son côté une manœuvre d’intimidation à l’encontre d’une émission qui n’a pas encore été diffusée. En effet, le Siaap n’a pas porté plainte en diffamation contre le contenu de l’émission mais bien pour « violation de domicile privé », c’est à dire contre ses conditions de tournage. Une innovation qui pourrait donner des idées à d’autres « victimes » de l’émission d’investigation…
- Le Quai d’Orsay demande à des journalistes de s’autocensurer – Dans un communiqué commun, les syndicats SNJ, SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes ont dénoncé une note du ministère des Affaires étrangères à destination de plusieurs rédactions enquêtant en Syrie : « Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir renoncer à tout projet éventuel de vous rendre dans ce pays ou d’y envoyer des collaborateurs (...) Une vigilance particulière devrait s’exercer lors de l’acquisition des reportages de journalistes indépendants s’ils ont été réalisés dans des conditions les exposant à des risques disproportionnés ». Les syndicats de journalistes, s’insurgent contre cette note, considérées comme un « appel à l’autocensure, et une vision rétrograde d’une profession qui serait condamnée, au nom de la sécurité, à se cantonner aux sentiers bien balisés de la communication et du journalisme embarqué. »
II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- Le Progrès pourrait supprimer 77 postes – Le quotidien régional Le Progrès, propriété du groupe Ebra (Crédit mutuel) a annoncé un plan de départs volontaires de 77 postes (sur un effectif de 500 personnes). D’après Le Monde, « le plan vise 27 postes à la rédaction, 30 dans les services administratifs et 20 dans les services techniques, sur un effectif global d’environ 500 personnes. » Le Syndicat national des journalistes (SNJ) assure avoir averti la direction d’un « risque d’engorgement des services de secrétariat de rédaction centralisés, d’empilement des tâches (...) d’augmentation de la fréquence des permanences de week-end et/ou des horaires de nuit dans certains services », et affirme que les gains de productivité escomptés de cette réorganisation sont « surestimés ». Les négociations sont en cours et devraient aboutir à la mi-juin.
- Plan de départs volontaires aux Inrocks - Le journal souhaite faire partir 25 salariés sur « un peu moins de 80 employés titulaires » actuellement selon Libération. En cause : la baisse des recettes du journal. « En 2017, l’hebdomadaire culturel, propriété du banquier d’affaires Matthieu Pigasse, a perdu 1,5 million d’euros. Il a vendu en moyenne 35 000 exemplaires par semaine, en baisse de 3 % sur un an ».
- Précarité des salariés : France Télévisions à nouveau condamnée – France Télévisions a de nouveau été condamnée pour infraction au code du travail. « La journaliste Wafa Dahman a travaillé pour France 3 pendant 10 ans cumulant plus de 450 contrats de travail avant d’être écartée des plannings après avoir dénoncé des pratiques discriminatoires » relate le Bondyblog. Après avoir porté plainte, la journaliste a obtenu la condamnation de France Télévisions pour infraction au code du travail. Ce cas illustre une tendance déplorable : à France Télévisions, la précarité a longtemps été un système.
- Les kiosques numériques privés de TVA réduite – Patrick Drahi ne gagnera plus autant d’argent en vendant de la presse. Alors que, jusqu’au 1er mars, les forfaits mobiles et internet des opérateurs télécom étaient soumis à la TVA réduite (2,1 % contre 20 % pour le taux normal) quand elles permettaient la lecture de la presse via les kiosques numériques (SFR Presse, LeKiosk de Bouygues Télécom, etc.), ce montage fiscal n’est maintenant plus possible. CBNews explique que « désormais, ce taux sera appliqué (...) sur la base des exemplaires réellement consultés » et non pas sur l’intégralité des offres commerciales des opérateurs. Mécaniquement, le gain fiscal sera beaucoup moins important. D’après Les Echos, la banque JPMorgan aurait estimé entre 216 et 360 millions d’euros par an le gain de ce montage fiscal pour SFR...
- Les Suisses sauvent (pour l’instant) leur média public – « Faut-il supprimer la redevance et interdire à la Confédération de financer les radios et les télévisions ? » C’est la question qu’ont tranché dans les urnes les citoyens suisses début mars, en soutenant massivement le « non » (72 %). Soutenu par la droite libérale suisse, la mesure aurait privé du jour au lendemain les médias publics de 30 à 75 % de leur budget. Le directeur de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRR) Gilles Marchand, cité par Le Monde, estime qu’il s’agit d’une « forme de légitimation (...) donnée aux médias de service public et aux acteurs privés concernés ». Les médias de service public suisses ne sont pour autant pas totalement tirés d’affaire. En effet, toujours d’après Le Monde, « la ministre de la communication Doris Leuthard a déjà prévu de baisser la redevance à un franc par jour, soit 365 francs par an. Au total, M. Marchand va donc devoir économiser 80 millions de francs sur cinq ans, en réduisant notamment la masse salariale. En outre, dès 2019, les films diffusés sur les chaînes publiques ne seront plus coupés par des spots publicitaires. » Des mesures qui ne sont pas sans rappeler la précarisation continue de France Télévisions [3]...
- Presstalis sauvé, mais à quel prix ? – La ministre de la culture Françoise Nyssen a annoncé pendant les Assises du journalisme, mi-mars, que le tribunal de commerce avait validé le plan de sauvetage de Presstalis [4]. Sur les 190 millions d’euros nécessaires au renflouement du distributeur de journaux, 90 devraient être prêtés par l’État, le reste résultant d’économies (200 à 300 suppressions de postes attendues sur 1200 personnes) et d’une forme de… racket. En effet, après avoir été ponctionnés de 25 % en décembre et janvier dernier, tous les journaux et magazines distribués par Presstalis devront lui verser 2,25 % de leurs recettes pendant… cinq ans ! Un chiffre plus élevé que la marge de nombreux titres indépendants, ce qui les condamne à mettre la clé sous la porte, à moins de trouver des solutions alternatives. Parmi eux, le bimensuel spécialisé Canard PC a annoncé passer au format mensuel et a lancé avec succès une campagne de financement participatif pour « sauver [le magazine] des griffes de Presstalis ». D’après Le Monde, François Nyssen a en outre déclaré que le sauvetage de Presstalis va « nécessiter de revoir les règles de distribution de la presse, après avoir récemment suggéré de donner plus de souplesse aux marchands de journaux pour choisir les titres qu’ils vendent et réduire ainsi les invendus. Ce qui impliquera de réformer la loi Bichet, qui régule la distribution de la presse depuis l’après-guerre en France ». Une affaire à suivre…
- Ebdo en cessation de paiement – Seulement trois mois après la réussite de son financement participatif, son lancement et dix numéros parus, l’hebdomadaire Ebdo a cessé de paraître courant mars. D’après leurs deux cofondateurs Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria, cités par Ouest-France, « c’est un échec commercial (...) Il y a un rendez-vous manqué avec les lecteurs ». La situation se serait dégradée fortement après la parution d’un numéro controversé début février, affichant en couverture une « affaire Nicolas Hulot » peu étayée. S’en est suivi un effondrement des abonnements et des ventes en kiosques, ainsi que le désistement d’un investisseur important. D’après Ouest-France, « Rollin Publications a demandé la nomination d’un administrateur judiciaire pour “préserver l’activité” des revues XXI et 6mois qu’il édite également et sauvegarder une partie de ses 63 emplois. »
- Le secret des affaires inscrit dans la loi – L’Assemblée nationale a approuvé fin mars en première lecture une proposition du groupe La République en marche (LREM) visant à protéger « le secret des affaires » des entreprises contre l’espionnage industriel, transposition d’une directive européenne datant de deux ans. Pour Bastamag, c’est « une épée de Damoclès qui pèse désormais sur les lanceurs d’alerte, les salariés et leurs syndicats, les journalistes, les chercheurs et les associations de protection des consommateurs et de l’environnement. Dévoiler un montage d’optimisation fiscale, comme dans le cas récent du groupe Kering de François Pinault (7ème fortune de France), révéler des difficultés économiques qui pourraient provoquer des licenciements massifs, comme dans le cas de Conforama [5], ou enquêter sur l’utilisation de produits toxiques dangereux pour les salariés et les consommateurs, pourraient ainsi tomber sous le coup du “secret des affaires”. » Le site Bastamag est en effet bien placé pour craindre l’usage abusif de cette nouvelle loi, puisqu’il est déjà régulièrement la cible de poursuite bâillon de la part du groupe Bolloré... Dans un tel contexte, il sera probablement impossible de révéler des scandales importants tels que le Mediator ou les Panama Papers.
- Un proche de l’exécutif nommé à la tête de LCP – Le documentariste Bertand Delais a été désigné mi-mars par le bureau de l’Assemblée nationale à la tête de La Chaîne parlementaire (LCP). Il succédera à Marie-Eve Malouines, contre qui la rédaction de la chaîne avait voté à une large majorité une motion de défiance suite à la réintégration controversée de Frédéric Haziza [6]. Problème : Bertrand Delais s’est illustré ces derniers mois pour ses documentaires hagiographiques vis-à-vis du candidat puis président de la République Emmanuel Macron. D’après le Huffington Post, cette proximité avec l’exécutif, qu’il ne cache pas, a fait bondir l’opposition parlementaire, de La France insoumise au Front national en passant par le Parti socialiste. Insuffisant pour empêcher sa nomination : les candidats à la présidence de LCP étant notés par l’Assemblée nationale puis validés par son bureau, c’est le groupe ultra-majoritaire La République en marche, courroie de transmission du président Macron, qui a décidé.
Jérémie Fabre, et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérents et adhérentes d’Acrimed