I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres
– L’éditorialiste Bruno Roger-Petit devient porte-parole de l’Elysée - D’après un communiqué de l’Elysée, Bruno Roger-Petit « aura pour mission de relayer la parole publique de l’Elysée et utilisera pour ce faire tous les moyens à sa disposition, notamment le compte Twitter de la présidence ». Cet « expert en football, mauvaise foi et arrogance [2] » s’était illustré pendant la dernière élection présidentielle pour ses éditoriaux zélés parus dans le magazine Challenges promouvant le candidat Macron (au point que la société des rédacteurs du magazine Challenges s’en était alors inquiétée [3]). Seul journaliste invité à la fête de victoire du candidat Macron, Bruno Roger-Petit officialise ainsi sa conception du journalisme et de l’indépendance de la presse.
– Suite à l’éviction du rédacteur en chef d’« Envoyé spécial » (France 2), le magazine sera plus « conso et société » - Jean-Pierre Canet, rédacteur en chef de l’émission de France 2 « Envoyé spécial » jusqu’ici, n’est pas renouvelé pour la saison 2017/2018. Raison officiellement avancée : la mort de trois journalistes en reportage pour l’émission en Irak. Néanmoins, d’après Le Monde et Europe 1, il y aurait une autre raison : « Son départ pourrait résulter d’un désaccord beaucoup plus profond avec sa direction autour de la ligne éditoriale d’ "Envoyé spécial". Jean-Pierre Canet était arrivé aux manettes du magazine d’info de France 2 il y a un peu plus d’un an, mais depuis, ses méthodes dérangent. En interne, certains lui reprochent une trop grande autonomie dans les choix rédactionnels. On se souvient par exemple du bras de fer engagé avec la direction de l’info de la chaîne à la rentrée dernière autour de la diffusion d’un reportage sur l’affaire Bygmalion. » Enfin, d’après les informations d’Arrêt sur images, la nouvelle direction d’ « Envoyé spécial » aurait reçu l’instruction de faire moins d’investigation politique : « “L’enquête n’a pas disparu, mais on nous a fait comprendre que l’investigation pure et dure ce n’était plus la priorité, la priorité c’était de relever les audiences et de faire davantage de sujets conso et société", glisse un journaliste du magazine. » Une évolution déjà souhaitée par Michel Field, directeur de l’information de France 2, avant son départ (en mai 2017 suite à l’éviction de David Pujadas) : « Un virage a été discuté avec l’équipe à partir du premier trimestre, pour introduire davantage de reportages, de sujets de société, voire des histoires “positives”, comme celle de l’astronaute Thomas Pesquet. »
– Canal+ décide l’arrêt du « Petit Journal » de Cyrille Eldin - En raison des audiences en baisse continue, Canal+ a décidé d’arrêter l’émission « Le Petit Journal. » Ainsi, d’après le Huffington Post, « Après la chute abyssale des audiences à la suite du départ de Yann Barthès, le talk show avait reçu un coup de pouce de la direction en se faisant offrir un nouveau plateau et 15 minutes supplémentaires et une équipe complète. Mais depuis le 20 mars, Le Petit Journal n’a rassemblé que 70.000 personnes (0,3 % de part d’audience) en première partie et 250.000 téléspectateurs (1,0 % de pda) pour sa seconde partie. Des audiences en baisse par rapport à la première partie de l’année qui fédérait 302.000 téléspectateurs en moyenne. » Cyrille Eldin reste malgré tout sur la chaîne cryptée avec un programme hebdomadaire dont le propos est de « rencontrer des personnalités, qu’elles soient des acteurs-clés de la sphère politique, médiatique ou sociétale ».
II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
– La chaîne d’infos de Bolloré en difficulté... - CNews, la chaîne d’information en direct de Bolloré qui a remplacé i-Télé, est de plus en plus déficitaire. D’après Libération (propriété avec la chaîne concurrente BFMTV du milliardaire Patrick Drahi) CNews « a perdu 31,9 millions d’euros net en 2016. C’est beaucoup en comparaison de l’année précédente, qu’elle avait bouclée sur un déficit de 11,2 millions. Soit trois fois moins. Et c’est énorme au regard du chiffre d’affaires réalisé : 41,1 millions d’euros. » Les pertes accumulées viennent principalement de la grève des salariés d’i-Télé pendant l’automne 2016 : « En octobre et novembre, les journalistes d’i-Télé avaient mené une grève de trente et un jours, déclenchée par l’arrivée de l’animateur Jean-Marc Morandini à l’antenne. (…) Environ 80 salariés, écœurés, avaient quitté la chaîne dans la foulée. Pendant la grève, et dans les semaines qui ont suivi, la chaîne, saignée à blanc, avait tourné au ralenti, diffusant en boucle de vieux reportages plutôt que des nouvelles fraîches. L’effondrement financier de la chaîne est le résultat direct de cette période d’inertie éditoriale. » Une « inertie éditoriale » à laquelle il a fallu ajouter « une provision “pour risques et charges” de 15,4 millions d’euros qu’elle a passée dans ses comptes. Cette somme a servi à payer les indemnités de départ des salariés-grévistes”. Pour relancer sa chaîne, devancée en matière d’audience par BFMTV et LCI, Vincent Bolloré a lancé « le rapprochement de la rédaction composée des survivants d’i-Télé et de celle du quotidien gratuit CNews Matin (ex-Direct Matin, propriété du groupe) ». Ce journal gratuit a perdu 100 millions d’euros depuis sa création en 2007, d’après Libération.
… sa chaîne de divertissement aussi ! - A C8 aussi, l’ambiance n’est pas à la fête. À la suite d’une nouvelle condamnation du CSA contre l’émission « Touche pas à mon poste » pour un canular homophobe [4], Vincent Bolloré réclame désormais 13 millions d’euros d’indemnité en compensation. D’après Le Monde, ce montant serait d’ailleurs tout à fait surprenant, car « largement supérieur aux estimations de manque à gagner calculées par le CSA ou par les médias dont Le Monde » La balle est désormais dans le camp du Conseil d’État.
– Canal+ s’allie à Telecom Italia - Les Groupe Canal+ et Télécom Italia ont lancé un projet de joint-venture visant à la création d’un Canal+ italien : Canale+. Cette nouvelle collaboration transalpine pourrait s’avérer être une énième tentative de mise sous pression du groupe Mediaset, avec lequel Vivendi (groupe de Vincent Bolloré) est en conflit depuis des mois [5]
– Pour récupérer des marges financières, des groupes de presse s’allient contre Google et Facebook – Les groupes Le Monde et Figaro se sont alliés pour récupérer des marges financières face à Google et Facebook. Ces deux derniers captent en effet de plus en plus l’argent investi par les entreprises pour acheter des espaces de publicité. Les entreprises sont en effet convaincues que les publicités y sont plus efficaces en raison du ciblage très fin que permettent les données personnelles acquises par les deux géants du numérique (âge de leurs utilisateurs, sexe, lieux d’habitation, loisirs, goûts culturels…). C’est donc pour séduire à nouveau les annonceurs (les entreprises qui achètent des espaces de publicité) que les groupes Le Monde et Le Figaro s’allient. Comme le relate Le Monde : « Concrètement, en s’adressant à l’une ou à l’autre des deux régies, les annonceurs et les agences pourront lancer des campagnes communes aux sites du Groupe Figaro (Lefigaro.fr, Linternaute, Le Journal des femmes, Madame Figaro…) et du Groupe Le Monde (Lemonde.fr, Telerama.fr, L’Obs, Le Huffpost…) avec des formats identiques, des tarifs uniformisés et un outil de pilotage commun. » Aux États-Unis, une alliance beaucoup plus large (2 000 titres de presse) a été lancée pour « obtenir des avancées dans le partage de la valeur » et faire pression sur le Congrès pour qu’il légifère en ce sens.
– Facebook va laisser des médias proposer des abonnements sur sa plateforme - C’est dans ce contexte de défiance que Facebook a écouté les récriminations de la presse, au moins sur un point : la possibilité de proposer un nombre limité d’articles en accès libre (pour favoriser de nouveaux abonnements). Jusqu’ici, les médias qui hébergeaient des articles sur Facebook ne pouvaient pas faire valoir leur politique d’accès limité sur le réseau social, quand bien même cette politique était en place sur leur site Internet. Or, relate Libération, « Facebook travaille actuellement avec des éditeurs pour leur permettre de mettre en place une limite d’articles consultables gratuitement chaque mois (...). Au-delà, les éditeurs pourront, comme ils le font sur leur propre site, bloquer l’internaute et lui proposer de s’abonner pour avoir librement accès à leur contenu. »
– Le CSA autorise TF1 à couper son JT par de la pub - Cette saison (2017/2018), TF1 pourra exploiter encore davantage le temps de cerveau disponible mis à disposition par ses émissions. Dit autrement : diffuser plus de publicité. En effet, le 19 juillet dernier, le CSA « a autorisé le groupe TF1 à insérer une coupure de publicité au sein de sa grand-messe du 20 heures » relate Le Figaro. Selon le quotidien, TF1 utilisera avec « parcimonie » ce droit, par peur de la concurrence : « Durant la coupure de pub, les téléspectateurs pourraient migrer massivement vers le JT de France 2. D’ailleurs, la chaîne publique s’en réjouit doublement. Cela pourrait profiter à l’audience de France 2 tout en pénalisant les recettes publicitaires de M6, seule véritable rivale commerciale de TF1 à cette heure où le service public est interdit de pub après 20 heures. » Une réjouissance à courte vue : depuis la suppression de la publicité voulue par Nicolas Sarkozy et mise en place en 2009, [France télévisions doit lutter à armes inégales avec TF1 qui bénéficie mécaniquement de financements supplémentaires. En effet, la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet bricolée par le gouvernement de l’époque pour compenser les pertes pour France TV ne compense en réalité pas grand chose : « la taxe (...) ne compensera que très partiellement la perte de recettes. En 2009, la première année de la suppression de la pub, le manque à gagner était estimé à 450 millions d’euros. Dans le budget 2017 de France Télévisions, la taxe n’est estimée qu’à 166 millions d’euros. En fait, depuis la suppression de la publicité, c’est tout le modèle économique de France Télévisions qui vacille dangereusement », écrivions-nous récemment à propos de la refondation nécessaire du service public de l’information.
– Le CSA donne son feu vert au rachat de Numéro 23 par NextRadioTV - NextRadioTV, la maison mère de BFMTV et RMC, sera bientôt propriétaire de la chaîne de télévision Numéro 23. Selon Le Monde, le CSA a donné son accord le 26 juillet dernier. En octobre 2015, le CSA avait pourtant décidé de supprimer l’autorisation de diffusion de la chaîne en raison de ce même projet de revente de Numéro 23 à NextRadioTV, avant que sa décision ne soit cassée par le Conseil d’État. Pascal Houzelot, fondateur et actionnaire principal de la chaîne avait en effet obtenu gratuitement cette fréquence audiovisuelle, avant d’essayer de la revendre pour 88,5 millions d’euros. Aujourd’hui, le CSA a donc retourné sa veste. Ce projet de revente avait été qualifié par Médiapart de « trafic des fréquences audiovisuelles ».
– TF1 ne veut plus que les box Internet de SFR distribuent ses chaînes (TF1, LCI…) - Nouvel épisode dans les relations houleuses qu’entretiennent fournisseurs d’accès à Internet et médias. Les premiers souhaitent toujours plus de contenus issus des médias (par exemple, le quotidien Libération proposé gratuitement aux clients de SFR) et les seconds souhaitent une répartition équitable des coûts et bénéfices.
Le dernier conflit en date oppose TF1 et SFR : le premier réclame de l’argent au second pour la diffusion de ses chaînes de télévision, SFR refuse. Un désaccord qui ne date pas d’hier. Comme le raconte FranceInfo, le groupe TF1 réclamait dès 2016 un « partage des revenus » avec SFR. Autrement dit, de faire payer le fournisseur d’accès à Internet (SFR) pour pouvoir distribuer les chaînes de télévision du Groupe TF1 : « Depuis la fin 2016, TF1 a entamé un bras de fer avec les opérateurs Internet pour qu’ils partagent les revenus issus de la diffusion par Internet de ses chaînes – TF1, TMC, NT1, HD1 et LCI – qui étaient jusque-là fournies gratuitement par le groupe de télévision. » Depuis, TF1 a coupé l’accès au service replay de ses chaînes au sein du réseau SFR. L’opérateur Internet envisage maintenant des « actions judiciaires » contre TF1, après avoir déposé un recours au CSA, en avril 2017.
– La publicité ciblée à la télévision : c’est pour bientôt - Emboîtant le pas aux networks américains, les régies publicitaires françaises tablent sur une autorisation prochaine de la publicité ciblée à la télévision. D’après Le Figaro, « une modification du décret de 1992 [qui interdit ce type de publicité] pourrait intervenir d’ici à la fin de l’année. » Faut-il y voir l’aboutissement de l’intense lobbying des patrons de télévision que nous avions relevé en mai dernier [6] ? Quoi qu’il en soit, avec un foyer sur deux recevant la télévision par Internet (comme le rappelle Le Figaro), la France est particulièrement bien positionnée pour servir de « laboratoire pour le ciblage ».
Jérémie Fabre et Benjamin Lagues