I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres
- La chaîne Franceinfo misera un peu plus sur le « breaking news (informations de dernière minute) » - De la « chaîne de la compréhension » à l’usine à « alertes infos » ? C’est le risque pour Franceinfo, chaîne d’informations en continu lancée le 31 août 2016, qui cherche toujours une audience : d’après Le Monde, elle serait de 0,5 % du PAF.
En 2015, la présidente de France Télévisions Delphine Ernotte présentait le projet initial comme « une chaîne de la compréhension » misant sur « une exigence de haute qualité de l’information ». En 2017, selon Le Monde, « le patron de l’info estime que la chaîne doit miser davantage sur les événements et le “breaking news”, alors que sa ligne d’origine était davantage le recul et la pédagogie. » Une chaîne de plus à débiter des « alertes infos » creuses et pas toujours vérifiées mais qui ont l’énorme avantage de permettre de débiter des kilomètres de commentaires ?
- Le projet Le Média est lancé - Le mouvement La France Insoumise en parlait depuis des mois : un « nouveau média citoyen » sera bientôt lancé et ne sera pas « son média ». Aujourd’hui, Le média – c’est son nom – est maintenant sur les rails. Tel que présenté par ses initiateurs dans une tribune publiée dans Le Monde, le projet est de créer « un nouveau média fondamentalement alternatif par sa gouvernance, son modèle économique et son fonctionnement. » Acrimed était invitée à la soirée de lancement de ce nouveau média. Nous y avons bien sûr précisé que notre association est « indépendante de tous les médias », y compris donc du Média et que nous « jugerons sur pièces ». Le Média émettra sa première émission le 15 janvier 2018 sur son site Internet : lemediatv.fr
- Vers une purge éditoriale au Figaro ? - À la rédaction du Figaro, l’heure est au « macronisme » triomphant. C’est du moins la conclusion de Mediapart, qui a commenté début octobre l’éviction du chroniqueur Yves de Kerdrel. Ce dernier, qui est par ailleurs le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, a été mis à la porte suite à la publication d’une chronique critique vis-à-vis du président Emmanuel Macron. D’après Mediapart, il ne serait pas le seul « à agacer la direction de la rédaction. Un autre chroniqueur, Ivan Rioufol, proche de la droite radicale et islamophobe déclaré, vit lui aussi des jours incertains. Il est périodiquement convoqué par la direction de la rédaction, qui lui suggère d’atténuer ses critiques contre Emmanuel Macron, ce qu’il refuse systématiquement de faire. Beaucoup supputent au Figaro qu’il serait également menacé s’il refusait de rentrer dans le rang. » Depuis 2004 et son rachat par le milliardaire et sénateur (Les Républicains) Serge Dassault, Le Figaro n’a cessé de servir les intérêts de son propriétaire [2]. Pour Mediapart, ce changement soudain de stratégie éditoriale serait dû à une autre règle tacite : ne « rien faire qui puisse contrevenir aux intérêts du groupe Dassault dans la vie des affaires. Or le groupe dépend très largement de la commande publique. Dans le cas des avions Rafale, le rôle du chef de l’État, aujourd’hui comme hier, est décisif : s’il accepte de se comporter à l’étranger en VRP de l’avion de combat du groupe, on peut en espérer de juteuses retombées ; dans le cas contraire, le groupe est en péril. » Une affaire à suivre...
- Mondadori France, Géo magazine… les conditions de travail en question - Suite à une demande de son comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le cabinet Actysens a mené une étude sur le groupe Mondadori France. Propriété du milliardaire italien Silvio Berlusconi, et éditeur, notamment, des magazines Closer, Grazia, Télé star et Science & vie, Mondadori France multiplie depuis des années les plans de départ volontaires et les atteintes aux conditions de travail. D’après Le Canard enchaîné du 11 octobre, les résultats de l’étude sont accablants pour Mondadori : « Nous avons été choqués, pendant les entretiens, par les nombreuses références, en particulier, aux actes ou aux pensées violentes : idées suicidaires, référence à des violences verbales (insultes, cris au poste de travail) et à des pulsions agressives dirigées envers d’autres salariés (...). » Un journaliste déclare : « On nous demande d’écrire comme si on fabriquait des yaourts. » Depuis, d’après CBNews, une assemblée générale des salariés a adopté à l’unanimité deux motions de protestation devant l’attitude de la direction du groupe, et demandant des « propositions sérieuses » quant à l’évolution de leur convention collective.
Une dégradation similaire des conditions de travail peut être observée à la rédaction du magazine Géo, comme l’a montré récemment un reportage d’Arrêt sur images : « Un conflit social oppose une partie de la rédaction du magazine du groupe Prisma Media, et la rédaction en chef, en place depuis 2011. Couvant depuis plusieurs années, le conflit s’est récemment envenimé, avec quatre cas de burn-out déclarés depuis six mois, et de nombreux arrêts maladie. Les salariés dénoncent un management violent, un accroissement important du rythme de travail, et des divergences éditoriales qui, depuis 2011, ne sont pas acceptées. »
- Libé et L’Express attendent toujours les investissements promis par Patrick Drahi - C’était promis : après avoir poussé au départ des dizaines de salariés de Libération et L’Express, des investissements seront faits. Trois ans plus tard, toujours rien. Alors que, rappellent Les Echos, en trois ans, « les effectifs de Libération sont passés de 250 à 180 personnes » et qu’à L’Express, on « compte 125 journalistes (Web compris), contre 150 avant son rachat », les investissements promis ne sont toujours pas là. Suite à une réunion avec Alain Weill, directeur d’Altice Media, les salariés de Libération ont voté à l’unanimité un communiqué reprochant à Patrick Drahi ces promesses non tenues : « M. Weill a présenté son projet de développement stratégique pour Libération, lequel est apparu en décalage complet avec les attentes de l’équipe » écrivent ainsi les salariés du journal, précisant que « les rares engagements ne portent que sur des investissements limités, circonscrits aux domaines techniques et non-rédactionnels. »
- Les salariés de France Télévisions se battent pour préserver un secteur public digne de ce nom - Le gouvernement d’Édouard Philippe prévoit des coupes massives dans le budget de France Télévisions, de l’ordre de 50 millions d’euros. Même si l’Assemblée nationale, en commission, a réduit cette baisse à 30 millions d’euros, les salariés de France Télévisions ont décidé de faire grève contre ce projet. Ainsi, d’après CBNews, « 30 % des salariés du groupe ont cessé le travail d’après la CGT. La direction fait état d’un taux global de 16,5 % de grévistes sur la journée (un peu plus de 1 000 salariés sur un peu plus de 6 000 planifiés). » Les baisses d’investissements dans l’audiovisuel public sont monnaie courante depuis des années, quels que soient les gouvernements. Ainsi, le 16 octobre dernier, nous écrivions : « Réduire le périmètre du secteur public pour le recentrer sur des missions indéfinies qu’il devrait remplir avec des moyens en constante diminution : tel est le projet du nouveau gouvernement. Traduction probable : un mélange de “télé pédago” pour faire chic et de “télé démago” pour garantir l’audience à moindre coût. Comment, dans de telles conditions, le secteur public pourrait-il être un service public ou une composante d’un service public de l’information et de la culture ? »
- Malaise à l’AFP après une dépêche sur le chien d’Emmanuel Macron - « Le chien du président Macron urine sur une cheminée de l’Elysée » : tel est le titre d’une indispensable dépêche publiée sur le site de l’Agence France presse (AFP) le lundi 23 octobre. Cette dépêche, qui se base sur les images d’un reportage diffusé sur LCI, a depuis été supprimée du site de l’AFP (mais elle est toujours visible sur le site de Marianne. D’après Le Canard enchaîné du 26 octobre, cette dépêche, réalisée « sur demande expresse de la rédaction en chef de l’Agence », a déclenché un certain malaise à l’AFP : « La fameux papier canin a été placardé dans l’ascenseur qu’emprunte le pédégé, Emmanuel Hoog, avec cette grave question : “Digne d’une agence internationale ?” Suffisant en tout cas pour qu’une motion de défiance de la rédaction à l’égard de ses chefs, également dans le collimateur pour d’autres exploits [3], ait été envisagée. »
- La rédaction du Parisien demande la suppression de l’édito - Après la société des journalistes du journal, c’est maintenant la rédaction du Parisien qui demande la suppression des éditoriaux en son sein, pour préserver sa « neutralité ». Comme nous l’avions évoqué dans l’édition précédente de l’actualité des médias [4], la polémique autour de la présence d’éditoriaux partisans au Parisien est née d’un édito de Nicolas Charbonneau, largement favorable à la « loi travail » du gouvernement. À la question « l’édito a-t-il sa place dans Le Parisien ? », la rédaction du journal a répondu non à 74 %. D’après L’Obs, la direction du journal a de son côté fait savoir que « que la suppression de l’édito n’était "pas envisageable" et qu’il n’y avait "pas de réflexion à avoir sur ce sujet". »
II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- Mediapart s’associe à « La presse libre » - La famille de « La presse libre » s’agrandit. Créé à l’initiative d’Arrêt sur images et Next Inpact, ce portail propose des abonnements aux médias indépendants et payants : « Nous avons constitué la seule plateforme permettant à chacun de s’abonner simplement à plusieurs titres de presse en ligne, à tarif réduit. Un travail de longue haleine, qui a mené à l’ouverture du site l’année dernière [en 2016]. Depuis, nous avons réussi à convaincre près de 2 200 abonnés de soutenir la presse payante chaque mois à travers notre service » expliquent les initiateurs de « La presse libre ». En octobre 2017, Médiapart a effectivement rejoint ce groupe de médias après avoir soutenu le projet, précise Edwy Plenel sur son blog. Au total, « La presse libre » compte les titres suivants : Arrêt sur images, Alternatives économiques, Next Inpact, Gamekult, No Life, Hors-Série et Les Jours.
- Plainte pour détournement de fonds à Valeurs actuelles - Suite à une plainte du groupe Valmonde, propriétaire de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, le parquet de Paris a ouvert une enquête pour détournement de fonds. Selon Le Monde, « les soupçons d’escroquerie ont commencé à émerger en mars 2016. (...) Mais la direction du groupe n’a pu réunir des preuves qu’en septembre, avec l’aide d’une autre entreprise escroquée, dont le nom n’a pas été précisé. » D’après Ozap, « un employé malintentionné, décrit comme "une sorte de numéro 2" digne de confiance, avait la main sur la gestion des sous-traitants et sur une partie de la comptabilité. Il en aurait profité pour mettre en place un système de surfacturations et de commissions occultes via une société écran dont il serait le copropriétaire. » Cet employé a depuis été mis à pied et une procédure de licenciement est en cours. D’après Yves de Kerdrel, le directeur du journal, l’équilibre financier du journal n’est pas remis en question. Pour preuve : le Groupe Valmonde a en effet acquis récemment le journal Mieux vivre votre argent, suite à sa mise en vente par Altice, groupe du milliardaire Patrick Drahi [5].
- En Espagne, le gouvernement impose une tutelle sur la chaîne publique TV3 - Garantir une « information objective » : c’est la justification avancée par Mariano Rajoy, chef du gouvernement espagnol, pour mettre sous tutelle la chaîne de télévision publique TV3. D’après le journal Le Monde, la chaîne est en effet accusée d’avoir une couverture « pro-indépendantiste » et d’avoir multiplié les erreurs ces dernières semaines : « À une couverture de l’information jugée partiale par les anti-indépendantistes s’ajoutent plusieurs “incidents” récents. La diffusion d’annonces de campagne du référendum illégal du 1er octobre, qui avait été interdite par la justice, fait l’objet d’une enquête. Le 22 septembre, une présentatrice de Catalunya Radio a demandé aux auditeurs, chauffeurs de taxi et camionneurs, de signaler les mouvements de la garde civile et de la police nationale en Catalogne, et a diffusé à l’antenne l’information, d’autant plus sensible que l’Espagne est en alerte antiterroriste. Le 20 septembre, lors d’une émission en direct, un reporter de TV3 est monté sur le capot d’une des voitures de la garde civile saccagées par des manifestants. » Pour le directeur de la chaîne TV3, cette mise sous tutelle, sous prétexte de rétablissement d’une information juste, est clairement politique : « Il y a une clameur contre les Mossos d’Esquadra [la police régionale], les écoles et la télévision publique, tout simplement parce que ce sont les trois piliers basiques d’un État. » Selon Arrêt sur images, la chaîne catalane « a reçu un soutien de ses confrères de la télé publique nationale. La société des journalistes de RTVE qui accusait ses derniers jours sa propre chaîne de propagande pro-Madrid, juge aujourd’hui la mise sous tutelle de l’audiovisuel catalan pour le moins "paradoxale". Elle s’étonne que Madrid donne des leçons d’objectivité à la télévision catalane, alors que son réseau de télévision nationale est lui accusé de rouler pour le gouvernement central. »
- Canal + souffle le chaud et le froid - Jusqu’en octobre, un conflit opposait les principales sociétés d’auteurs (Sacem, SACD, Scam et ADAGP) à la chaîne cryptée Canal +. Cette dernière refusait en effet de payer les droits d’auteurs à ces sociétés depuis décembre 2016. Dans un communiqué, la SACEM a annoncé avoir trouvé un accord global avec Canal + : « Le groupe Canal+ s’est ainsi engagé à verser à la Sacem la totalité des sommes dues pour 2017 au titre des contrats qu’elle gère pour l’ensemble des sociétés d’auteurs et également à remettre les données de diffusion des œuvres permettant de procéder au plus vite à la répartition des sommes collectées aux créateurs et aux éditeurs concernés » Mais, d’après Télérama, l’accord n’a été conclu qu’avec la Sacem, ce qui limite sa portée. « Par cet accord, le groupe Canal+ réaffirme son engagement dans le financement de la création en France et le soutien des auteurs » se justifie le président du directoire du groupe, Jean-Christophe Thiery, cité par Télérama. Le magazine conclut : « Il n’y a plus qu’à espérer que ce ne soit pas juste de la com’. »
Côté communication justement, Canal + a frappé fort au début du mois en déprogrammant un documentaire sur la mère du dictateur gabonais Ali Bongo. D’après Mediapart, « la chaîne Planète+, propriété du groupe de Vincent Bolloré, a annulé à la dernière minute la diffusion [du] documentaire [...] Une décision prise à la demande de son avocat. » Une déprogrammation forcée qui rappelle étrangement celle d’un documentaire sur les pratiques du Crédit mutuel en 2015 ; une banque alors partenaire du propriétaire de Canal +, le milliardaire Vincent Bolloré.
- Le CSA hausse le ton contre certaines radios et chaînes TV - Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a publié une série de décisions visant plusieurs radios et chaînes de télévision françaises. Ainsi, RMC Découverte a été mis en demeure de respecter son engagement de diffuser au moins 75 % de documentaires ; tandis que NRJ 12 s’est vu reprocher de ne pas consacrer assez de temps d’antenne au divertissement. Côté radios, huit d’entre elles (ECN, Fun Radio, NRJ, Radio FG, Raje Nîmes, Swigg, Oüi FM et Radio Nova) sont mises en demeure de respecter le « taux de diffusion de chansons d’expression française » légal. Enfin, la radio d’extrême droite Radio courtoisie a été condamnée à une amende de 25 000 euros pour la diffusion de propos de son ancien président Henry de Lesquen. Pour le CSA, ces propos étaient « de nature à encourager des comportements discriminatoires à l’égard des personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion (...). Ces propos n’ont par ailleurs suscité aucune réaction à l’antenne tendant à les modérer ou y apposer un regard critique. » Le montant de l’amende représente 3 % du chiffre d’affaire de Radio courtoisie, soit le plafond maximum légal.
Jérémie Fabre et Benjamin Lagues