Lors d’une conférence de presse le 2 décembre 2015, les organisations syndicales et une vingtaine d’ONG ont présenté une lettre ouverte adressée à François Hollande lui demandant de se positionner pour protéger les libertés et les droits fondamentaux qui, en l’état, sont fondamentalement remis en cause par le projet de directive.
Un projet de directive européenne sur le secret des affaires est en effet en débat au niveau européen. Proposé par la Commission, ce projet de directive sera soumis aux députés européens en séance plénière probablement avant la fin de l’année 2015. La discussion a actuellement lieu en « trilogue » pour accorder les positions de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. La France devra donc faire part de sa position, qui sera déterminante pour les arbitrages sur ce projet de directive.
De nombreuses initiatives, notamment l’appel européen stoptradesecrets.eu et la pétition initiée par la journaliste Elise Lucet, ont déjà dénoncé cette directive qui remet en cause les libertés et droits fondamentaux.
Le 2 décembre 2015,
Monsieur le Président de la République,
Un projet de directive européenne sur le secret des affaires est actuellement en débat au niveau européen. Proposé par la commission, ce projet de directive sera soumis aux députés européens en séance plénière probablement avant la fin de l’année 2015. La discussion a actuellement lieu en « trilogue » pour accorder les positions de la Commission, du Parlement et du Conseil européens. La France devra donc faire part de sa position, qui sera déterminante pour les arbitrages sur ce projet de directive.
Alors que les enjeux de cette directive sur les droits individuels et collectifs des salariés sont considérables, ni les organisations syndicales, ni les ONG n’ont été formellement consultées sur la question. Eurocadres, la CES, la CEC et de nombreuses organisations syndicales nationales et ONG ont pourtant, depuis le début de la procédure, émis de multiples réserves qui n’ont pas été entendues. De nombreuses initiatives ont été prises pour alerter sur ces dangers, et notamment un appel européen intitulé « Stop Trade Secrets » qui a été signé par 67 organisations issues de 11 pays européens, ou encore une pétition initiée en France par la journaliste Elise Lucet qui a reçu plus de 430 000 signatures.
Ce projet de directive menace les droits fondamentaux et fait primer le droit des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques. Si le but affiché de la directive est la production d’une définition commune du secret des affaires pour protéger les opérateurs économiques face à la concurrence déloyale, cette directive est dangereuse à plusieurs titres. D’abord, la définition du secret des affaires est large et floue et concerne l’intégralité des informations confidentielles. Ensuite, l’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues, quelle que soit la diffusion qui en serait faite et quel que soit l’objectif de cette diffusion.
Dans la vie quotidienne, cette directive peut limiter la mobilité des salariés. Le Conseil européen propose notamment de permettre aux entreprises de poursuivre leurs salariés devant les tribunaux pendant 6 ans, ce qui revient à leur imposer des clauses de non concurrence les empêchant d’utiliser leurs savoir-faire auprès de leur nouvel employeur. De même, pour ce qui concerne l’exercice des droits syndicaux des représentants des travailleurs. Choix stratégiques, projets de cession ou de reprise, PSE, délocalisation, activité dans les filiales et sous-traitance, utilisation des aides publiques…, nombreux sont les élus et syndicalistes courageux qui communiquent aux salariés voire à la presse ces informations pour contrer les pratiques abusives des actionnaires. Avec ce projet de directive, lanceurs d’alerte, syndicalistes et journalistes risquent désormais d’être poursuivis par la justice, à l’image de ce qui arrive à Antoine Deltour (pourtant décoré du prix de Citoyen Européen) et Edouard Perrin (qui a fait son travail de journaliste) dans l’affaire LuxLeaks.
Aucune exception générale n’est prévue dans le texte pour protéger l’action des journalistes d’investigation, des organisations de la société civile ou encore des lanceurs d’alerte. Aucune exception non plus sur les droits fondamentaux, en particulier en matière de santé et d’environnement.
Les fameuses « données à caractère commercial » qui seraient protégées par le secret des affaires, et dont la divulgation serait passible de sanctions pénales, relèvent très souvent de l’intérêt général supérieur pour le public. Ce fut le cas, par exemple, pour les montages fiscaux et financiers négociés entre plusieurs grands groupes et l’administration fiscale du Luxembourg (cf. scandale Luxleaks), ou pour les données d’intérêt général relatives à la santé publique, ou encore pour celles liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs dans le secteur de l’industrie chimique et qui seraient dans leur globalité considérées comme secrètes, et soustraites ainsi à toute transparence.
Enfin, la directive européenne prévoit en cas de procédure devant les juridictions civiles ou pénales une restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou après l’action en justice pour protéger le secret des affaires. Il s’agit d’une grave remise en cause de l’égalité devant la loi – l’ensemble des parties n’ayant plus accès au dossier – et de la liberté d’informer.
En matière de liberté d’expression et de respect des droits humains, la France se doit d’être exemplaire. La position de la France doit faire écho aux inquiétudes portées par l’ensemble des organisations syndicales françaises, de nombreuses ONG et journalistes, et des centaines de milliers de citoyens français. Les députés européens ont déjà fait adopter quelques amendements limitant les dangers de ce projet.
Monsieur le Président de la République, nous comptons sur vous pour stopper les menaces contre la transparence et la démocratie contenues dans cette directive européenne secret des affaires.
Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart
Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa
Bertrand Bocquet, président de la Fondation Sciences Citoyennes
Florian Borg, président du Syndicat des Avocats de France
William Bourdon président de Sherpa
Vincent Brossel, directeur de Peuples Solidaires-actionAid
Michel Capron, président du Forum Citoyen pour la RSE
Thomas Coutrot, porte-parole d’ATTAC France
Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC
Chantal Cutajar, présidente de l’Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière Internationale
Antoine Deltour, lanceur d’alerte, affaire LuxLeaks
Françoise Dumont, présidente de la LDH
Guillaume Duval, président du Collectif Ethique sur l’Etiquette
Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégué-es généraux de l’Union syndicale Solidaires
Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU
Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen
Marie-José Kotlicki, secrétaire générale de la CGT des Ingénieurs, Cadres et Techniciens (UGICT-CGT)
Vincent Lanier, premier Secrétaire général du syndicat national des journalistes
Daniel Lebègue, président de Transparency International
Françoise Martres, presidente du Syndicat de la magistrature
Eric Peres, secrétaire général de FO Cadres
Jean-Christophe Picard, Président d’Anticor
Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre Solidaire
Benjamin Sonntag, cofondateur de la Quadrature du net
Henri Sterdyniak, co-animateur des Économistes atterrés
Fabrice Tarrit, président de Survie
Jean-Pierre Therry, secrétaire général de la CFTC-Cadres
Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes CGT
Lucie Watrinet, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires