« Un travail superbe »
Frédéric Haziza commence par interroger son invité au sujet de la pièce de théâtre Hôtel Europe. BHL, avec sa légendaire humilité, évoque alors « un grand succès public (…), une belle aventure, voilà une vraie rencontre avec un vrai public et c’était formidable ». Vous avez dit « un grand succès public » ? De toute évidence BHL est mal informé… Comme l’avait en effet révélé Arrêts sur Images, la pièce, qui devait initialement être jouée jusqu’à la fin du mois de décembre, n’a finalement été à l’affiche que jusqu’à la mi-novembre… faute de public. BHL transforme donc allègrement la réalité, ce qu’un journaliste sérieux comme Frédéric Haziza ne pouvait manquer de relever :
Frédéric Haziza : « Un vrai public, une belle rencontre, un superbe comédien, un écrivain, un essayiste, un romancier, un auteur de pièce de théâtre, vous, qui avez fait un travail superbe aussi il faut le dire… » C’est tout ? En dégainant de la sorte la brosse à reluire, le journaliste de LCP et de Radio J a décroché le premier prix de la flagornerie et pleinement satisfait le modeste BHL. Mais ce n’était qu’une servile entrée en matière, immédiatement confirmée par une défense inconditionnelle de son invité, Frédéric Haziza anticipant par l’énoncé même de ses « questions » les réponses de BHL.
« Les fachos, les gauchos, les islamos »
Reprenons.
Frédéric Haziza : « … un travail superbe aussi il faut le dire, et pourtant il y a eu tout un tas de polémiques dont vous parlez, des accusations contre vous, une campagne, des campagnes de presse, une campagne anti-BHL qui a regroupé, on l’a vu sur le net, on l’a vu sur les réseaux sociaux, les fachos, les gauchos, les islamos ». En quoi a consisté cette « campagne » ? Nous ne le saurons pas. En revanche, ce que nous savons est que la prétendue question n’en est pas une : elle se borne à donner une forme interrogative aux affirmations de BHL dans le langage de ce dernier, confusions et amalgames compris. Le journaliste lui ayant livré lui-même le bloc - « les fachos, les gauchos, les islamos » - que le « philosophe » a constitué, il ne reste plus à ce dernier qu’à le pourfendre.
BHL acquiesce donc à la fausse « question » de son compère, et dénonce alors une « nébuleuse idéologique » qui le prendrait pour cible, constituée d’individus, on va le voir, aux profils plutôt… variés. BHL évoque en effet, attention, « une espèce d’arc-en-ciel qui va d’un type qui s’appelle Bo… Boni… face (…), Boniface, je ne sais pas qui c’est honnêtement, mais d’après ce qu’on m’a dit c’est un type qui a un espèce de petit think tank français subventionné par le contribuable (…), donc ça va de ce gars-là, qui est donc un type je crois de gauche, à quelqu’un comme Tariq Ramadan, lui que je connais mieux qui est lui un Frère Musulman, en passant par Soral ou Dieudonné (…). Donc il y a là une petite secte, là, ce Bonica… Bo… Boniface… Boniface, Ramadan, Soral, Dieudonné c’est pas la même chose, ils ne disent pas la même chose mais ils composent une espèce de nébuleuse idéologique dont je fais partie des révélateurs ».
Résumons : « Je suis le révélateur d’un pas pareil qui est la même chose » ! Une exercice de révélation dont BHL est coutumier. Par exemple, en août dernier : « L’Europe a peur de Poutine comme elle avait peur d’Hitler, mais ce qu’elle ne comprend pas, c’est que les gens comme Hitler ou comme Poutine il faut les arrêter tout de suite. Plus on attend plus ce sera difficile. Ce n’est pas la même chose Hitler et Poutine, naturellement, naturellement, mais l’attitude de Europe c’est la même, c’est "l’esprit de Munich" ». Venant de BHL, l’exercice est donc sans surprise. Mais le journaliste ? Qu’a objecté ou fait mine d’objecter le journaliste ? Rien. L’observateur de la « nébuleuse » est ravi par la prestation de son révélateur.
– BHL fait semblant de ne pas connaître Pascal Boniface, en butant sur son nom et en l’écorchant. Comment croire un seul instant que le maître, qui aime tant s’intéresser à tout ce qui le concerne, puisse ignorer le nom de l’un de ses plus fervents critiques, notamment dans l’ouvrage Les intellectuels faussaires, vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires ? D’autant plus qu’il l’a, à plusieurs reprises, pris à parti nommément, notamment en forgeant, à son propos, le subtil concept de « bonifascisme », comme Pascal Boniface le rappelait lui-même dans un article paru en 2012 sur le site du Nouvel Observateur [1].
– BHL pratique en outre, une fois de plus, l’amalgame outrancier, en regroupant dans une soi-disant « nébuleuse idéologique » des représentants de l’extrême-droite et des individus comme Tariq Ramadan et Pascal Boniface qui, s’ils ne sont évidemment pas au-dessus de toute critique [2], n’ont aucun lien, ni organique ni idéologique, avec l’extrême-droite. On remarque d’ailleurs que BHL se contente d’amalgamer sans argumenter et sans illustrer ses accusations, procédé qui relève avant tout de la calomnie, une autre pratique récurrente chez le philosophe en chemise blanche.
Venant de BHL, l’exercice de dénigrement est donc, à nouveau, sans surprise. Mais le journaliste ? Qu’a objecté ou fait mine d’objecter le journaliste ? Rien. N’en soyons pas trop étonnés : Frédéric Haziza a ainsi un lourd contentieux avec Pascal Boniface, à propos duquel il a notamment écrit en mars dernier, ce qui suit : « De la négation de la Shoah des Faurisson, Garaudy, Dieudonné, Soral et consorts, on est passé aujourd’hui à la négation de l’antisémitisme au sein d’une certaine gauche soi-disant morale dont Boniface est l’un des hérauts » [3]. Une phrase que l’on dirait sortie de la bouche de BHL…
Ainsi se fabriquent les amalgames.
Quand les duettistes s’en prennent aux Palestiniens
Sous couvert d’interview, c’est donc en réalité à un véritable numéro de duettistes auquel on assiste, durant lequel Frédéric Haziza et BHL jouent la même partition, le premier passant les plats au second, faisant le deuil de toutes les règles journalistiques les plus élémentaires. Dès lors, il n’est guère surprenant que le « journaliste », sans transition, entraine BHL sur l’un de ses autres terrains favoris, le conflit opposant Israël aux Palestiniens.
Frédéric Haziza : « Vous seriez député, vous voteriez pour ou contre [la reconnaissance de l’État palestinien] ? »
« Non je voterais contre. Je voterais contre. (…) Je ne vois pas un parlement d’un pays quel qu’il soit, que ce soit la Suède ou la France, arriver comme ça avec des flonflons et des roulements de tambours régler le problème en décrétant, en reconnaissant… Ce n’est pas comme ça que ça marchera ».
Que BHL soit opposé à la reconnaissance d’un État palestinien et, plus généralement, soit un infatigable défenseur de la politique israélienne n’est pas une surprise… [4] Et, disons-le, c’est parfaitement son droit. Mais qu’il dise, comme nous allons le voir, n’importe quoi dans ce contexte et qu’il se trouve des journalistes pour l’écouter sans broncher pose sérieusement problème.
Selon BHL, les députés qui veulent voter la reconnaissance de l’État de Palestine ont donc tort. L’échange qui s’ensuit se passe de commentaires, tant nos deux duettistes jouent leur rôle à la perfection :
- Frédéric Haziza : « Et pourtant a priori ça va se faire et les députés qui vont voter pour cette résolution disent il n’y a que ça qui peut faire bouger le gouvernement israélien et qui peut faire avancer la paix ».
- BHL : « D’abord attendez il n’y a pas que le gouvernement israélien qu’il faut faire bouger ».
- FH : « En tout cas c’est ce qu’ils disent ».
- BHL : « Oui bah c’est ce qu’ils disent mais ils ont tort, ça veut dire qu’ils ne connaissent pas le problème. Il faut faire bouger bien sûr le gouvernement israélien, il faut aussi faire bouger, et peut-être davantage, le gouvernement palestinien ».
- FH : « Et les peuples, on oublie les peuples… »
- BHL : « Et puis il faut faire bouger les peuples ».
Marquons un temps d’arrêt. Frédéric Haziza, qui n’a jamais caché ses sympathies pro-israéliennes, n’est certes pas coupable de délit d’opinion. Mais un tel empressement auprès d’un interlocuteur qu’il est supposé interviewer constitue, pour un journaliste, une faute professionnelle. À répétition, comme on l’a vu, et comme on va le voir.
Soudain, en effet, BHL s’enflamme, sans doute porté par les encouragements de son compère :
BHL : « Et si on parle des peuples, là je crains qu’il y ait plus de travail à faire du côté du peuple palestinien que du peuple israélien. Israël, je connais bien ce pays, j’y vais souvent, j’y ai beaucoup d’amis et puis il y a des sondages tout simplement : une majorité des Israéliens, plaisir ou pas, avec joie ou pas j’en sais rien, savent qu’il y aura un jour un État palestinien et y sont résolus. L’inverse n’est pas vrai. Il y a hélas encore aujourd’hui une majorité de Palestiniens qui ne savent même pas qu’Israël existe puisqu’ils ne l’ont pas vu sur leur manuel scolaire et puisqu’ils pensent qu’Israël est une espèce de cancer ou de création coloniale sans aucune légitimité ».
« Une majorité de Palestiniens ne savent pas qu’Israël existe ». Frédéric Haziza, journaliste sans doute bien informé, n’a pas relevé cette outrance particulièrement… outrancière. Les Palestiniens, qui vivent sous occupation israélienne, qui sont confrontés chaque jour aux barrages israéliens, à la machinerie bureaucratique israélienne, aux colons israéliens, mais aussi aux balles et aux bombes de l’armée israélienne, ne sauraient pas qu’Israël existe ? Voilà une idée fort originale, que BHL a probablement empruntée à son maître à penser Botul, dont Frédéric Haziza, muet, est devenu sans le savoir, par BHL interposé, le disciple...
Et le spectacle de se poursuivre durant 30 longues minutes, à propos de l’État islamique, de l’Europe, de Poutine, et autres… Nous vous épargnerons le supplice d’une transcription et d’une étude exhaustives de l’émission.
Ne nous y trompons pas. BHL et Frédéric Haziza ont tout à fait le droit de défendre l’État d’Israël ou de répondre aux accusations ou attaques dont ils se sentent victimes. Nous ne sommes pas de ceux qui considèrent que toutes les opinions n’ont pas le droit d’être défendues, bien au contraire. À condition, toutefois, que certains principes soient respectés, notamment de la part de ceux qui se prétendent journalistes. Or les amalgames et les outrances de BHL sont lamentables, et nous ne cesserons de les relever tant qu’il continuera de squatter les télévisions, les journaux et les radios.
En outre, l’absence totale de distance, d’objectivité et de déontologie journalistiques de Frédéric Haziza, qui n’officie pas seulement sur Radio J mais également sur le service public (LCP), ne l’honorent guère. Nous l’avons dit : Frédéric Haziza n’est pas coupable de délit d’opinion. Et l’acharnement contre lui des antisémites à peine masqués d’« Égalité et Réconciliation » est intolérable, comme l’est la « Pétition pour le renvoi de Frédéric Haziza de La Chaîne parlementaire (LCP) » lancée sur ce site. La critique des médias se passe fort bien des chasses à l’homme. Mais la propension du journaliste à abuser de sa position d’intervieweur pour se comporter en éditorialiste partisan est manifeste. Or les deux fonctions ne sont pas identiques. Et leur confusion est inacceptable.
Connivences, vrais-faux débats, vrais-faux entretiens, primat de l’idéologie sur le travail journalistique, amalgames et contre-vérités assénées sans que les cibles aient la possibilité de se défendre, etc. : ces pratiques sont répandues dans la plupart des « grands » médias et mises en œuvre par nombre de « grands » journalistes. Ce sont elles que nous visons ici, comme nous les visons dans tous les médias et dans tous les domaines : c’est pourquoi nous ne mêlerons jamais nos voix à ceux qui, à l’instar d’Alain Soral et sa clique, s’en prennent à certains journalistes et certains éditorialistes, dont BHL et Haziza, sur la base d’une supposée appartenance communautaire. La haine raciste et antisémite n’a rien à voir avec la critique des médias, et n’aura jamais rien à voir avec le travail d’Acrimed. Mais c’est pourquoi, également, nous ne nous laisserons pas dissuader par tous ceux qui hurlent à l’antisémitisme à chaque fois qu’un zélateur de la politique israélienne est pris en flagrant délit de désinformation.
Julien Salingue (avec Henri Maler)
PS : Frédéric Haziza a pris connaissance de cet article (l’a-t-il lu ?) et nous a « répondu » sur Twitter. Nous avons donc publié, sur notre site, son « droit de réponse ».