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« L’Europe, L’Europe... »

Bernard Guetta célèbre sa propre importance

par Henri Maler, Mathias Reymond,

Pro-européen ? Bernard Guetta l’est. Le Traité constitutionnel ? Il est pour, et c’est parfaitement son droit. D’ailleurs, il nous le vend chaque matin au petit déjeuner, sur France Inter. Chaque matin, c’est peut-être un peu excessif, non ? D’autant plus que notre chroniqueur n’est pas le seul à fredonner cette petite mélodie lancinante, reprise - on y reviendra - par le chœur unanime des éditorialistes de Radio France... et d’ailleurs [1]. Mais, surtout, ne lui dites pas : ça le fâche !

Dans un bref encadré de 515 mots paru dans Le Monde Diplomatique (février 05), Serge Halimi souligne que « Bernard Guetta a du mérite. Sur l’un des "créneaux" les plus encombrés du journalisme français, celui du commentaire pro-européen, il a réussi à se faire un petit nid. Il est parvenu à en remontrer à des européistes aussi acharnés et répétitifs que Christine Ockrent, Jean-Pierre Elkabbach, Alain Duhamel... » [2]. Un simple constat...

De quoi vexer profondément Bernard Guetta qui réagit avec émoi dans sa chronique de L’Express (7 février 2005) : « Le « Diplo » est fâché. Le Monde diplomatique est tellement indigné contre moi qu’il consacre, ce mois-ci, un long encadré au « mérite » que j’aurais eu (c’est de l’ironie) à me faire « un petit nid sur l’un des créneaux les plus encombrés de la presse française, celui du commentaire proeuropéen ». » Cet encadré a dû paraître bien long à Bernard Guetta (alors qu’il n’occupe qu’un sixième de la page 8 du Monde Diplomatique) puisqu’il ne parvient même pas à le citer complètement.

Il n’en est que plus à l’aise pour se défendre, en dressant lui-même un acte d’accusation imaginaire, qui lui permet de prendre la pause du persécuté : « [...] j’aurais même « réussi, écrit Serge Halimi, à en remontrer à Christine Ockrent, Jean-Pierre Elkabbach, Alain Duhamel... », à devenir, autrement dit, le plus affreux de ces « chiens de garde » que ce même M. Halimi avait jadis dénoncés dans un pamphlet à succès. » Autrement dit ? Dire autrement ce qui n’a pas été dit. Sans doute une réaction de dépit de ne pas avoir été cité lors de la parution de cet ouvrage « à succès  » [3]. Mais une occasion de défendre ses confrères en se présentant lui-même comme « le plus affreux ».

Serge Halimi poursuivait : « Quel que soit le sujet évoqué, la rhétorique de Bernard Guetta semble se résumer à " C’est grâce à l’Europe " (quand les choses vont bien). Ou, quand elles vont mal, " C’est parce qu’il n’y a pas assez d’Europe. " Inutile de se demander si le chroniqueur de France Inter et de L’Express va (comme tous les autres chroniqueurs de France Inter et d’ailleurs) voter " oui " au référendum de ratification du traité de Constitution européenne annoncé par le président de la République " avant l’été " : Bernard Guetta vote " oui " cinq fois par semaine. Le mécano de tous ses éditoriaux remplirait aisément un coffret de disques du " oui " symphonique. Radio France pourrait ensuite le commercialiser avant les vacances. » C’est un autre constat.

Mais Bernard Guetta, sourd à sa propre musique, ne l’entend pas de cette oreille. Sans doute parce qu’il s’écoute tellement qu’il ne s’entend plus. En guise de réponse, il se lance donc dans un nouveau plaidoyer pour l’Europe telle qu’il la conçoit. A la première personne, s’il vous plaît, pour rendre hommage à sa lucidité. La réponse est hors sujet ? Qu’importe : « J’ai bien écrit que... », « J’ai bien eu l’audace de... », « J’ai même eu l’obscénité de ... », « Non seulement j’avoue, mais je revendique... », « Je me suis convaincu... », « Moi, je plaide... »...

Mais que disait donc Serge Halimi ? Il suffit de le rappeler : « Quel que soit le sujet évoqué, la rhétorique de Bernard Guetta semble se résumer à " C’est grâce à l’Europe " (quand les choses vont bien). Ou, quand elles vont mal, " C’est parce qu’il n’y a pas assez d’Europe. "

Et de quoi était-il question dans la chronique épinglée dans Le Monde Diplomatique ? De ceci qui est de Guetta soi-même : « Imaginons. Imaginons un instant qu’il y a neuf jours, l’Union européenne se soit déjà dotée d’un service d’urgence international. Des hélicoptères auraient été sur place infiniment plus vite [...]. On aurait pu sauver un bien plus grand nombre de vies. [...] Ce Samu international, l’Europe peut s’en doter. [...] La France pourrait commencer à réfléchir à l’organisation de ces blouses bleues, bleues comme l’Europe. [...] Quand l’Europe aura fait cela, d’autres puissances et organisations régionales devront suivre son exemple et un Samu mondial s’esquissera bientôt.  » [4]

Et Serge Halimi, citant ces propos, d’enchaîner : « Le chroniqueur de France Inter a néanmoins précisé : « Les morts n’en auraient pas été ressuscités. » En sommes-nous si sûrs ? »

Tant d’ironie était tellement insupportable que Bernard Guetta devait répondre... à côté du problème posé. Donnant ainsi raison à Serge Halimi, il se saisit de l’occasion pour terminer son auto-célébration sur l’air de ses complaintes matinales : « L’important est de pouvoir le réguler [le marché], de prendre les commandes politiques pour le faire, et c’est la possibilité qu’offre ce traité. Ne la laissez pas passer. Saisissez-la. Elle est inespérée. Elle ne se représentera pas de sitôt. »

Mis en cause pour une chronique sur France Inter, Bernard Guetta, répond, sans complexe, dans L’Express. Une telle incongruité - qui laisse ses auditeurs à l’écart - ne l’émeut pas : on est multicarte (L’Express, Le Temps, France Inter), ou on ne l’est pas.

Henri Maler et Mathias Reymond

Voir également Bernard Guetta parle de Bernard Guetta

 
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Notes

[1Sur ce sujet, voir les fausses notes relevées par PLPL (n°23, février 2005) sous le titre « Les oui-ouistes aboient ».

[2Les passages soulignés le sont par nous, dans l’ensemble de cette page.

[3Vérification faite, Guetta est bien cité dans Les Nouveaux chiens de garde (Liber-Raisons d’Agir, 1997), p. 96, mais dans un rôle tout à fait mineur :
" Le dimanche 19 janvier 1997 à 12h46, les zappeurs pouvaient ainsi découvrir Alain Finkielkraut à la fois sur LCI et sur La Cinquième. Sur LCI, invité régulier de l’émission "La vie des idées", il dissertait en compagnie d’Alain Duhamel du bilan de François Mitterrand. Mais, pour ne rien rater de ce débat-là, les téléspectateurs devaient renoncer à suivre, sur La Cinquième, l’émission "Arrêt sur image" de Daniel Schneidermann, qui recevait à la fois Alain Finkielkraut et Bernard Guetta, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur. Le sujet ? Le rôle des médias dans les pays d’Europe de l’Est. "

[4France Inter, 4 janvier 2005.

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