Chaque mardi, le journaliste Bruno Donnet intervient dans l’émission de France inter « L’Instant M », présentée par Sonia Devillers et consacrée à l’information et aux médias [1], au cours d’une séquence intitulée « L’Après-coup ». Bruno Donnet choisit chaque semaine un thème « médias » autour duquel il construit une chronique au ton sarcastique, que l’on peut retrouver sur le site de France inter :
Le mardi 11 octobre 2016, Bruno Donnet décidait de se concentrer sur les « émissions politiques », en axant son propos sur leur tendance de plus en plus marquée à « mélanger les genres » :
Vous vous souvenez de la télé des années 80, à l’époque c’était simple : une fois par semaine François-Henri de Virieu cuisinait très sérieusement un homme politique et le restant de la semaine Casimir cuisinait du gloubi-boulga, ce mélange improbable de confiture de fraise, de chocolat en poudre, de bananes écrasées et de saucisses de Toulouse, pour nous divertir. Eh bien ce que j’ai vu au cours de la semaine ça ressemblait à ça, une mixture totalement invraisemblable dans laquelle on ne sait plus qui cherche à nous divertir et qui est sérieux parce que tous les genres, tous les codes de la télévision y sont allègrement mélangés.
Et de moquer, extraits sonores à l’appui [2], des émissions qui proposent des « mélanges indigestes », des « bizarreries cathodiques » et des procédés uniquement destinés à « faire grimper l’audience ».
Il y a très probablement une part de vérité dans ce que dit Bruno Donnet. Mais là n’est pas notre propos. Car si nous avons été « sensibles » à cette séquence, c’est que le journaliste qui dénonce ceux qui « n’hésitent plus à tout mélanger comme dans le gloubi-boulga de Casimir » intervient quotidiennement dans une autre émission, à propos de laquelle nous avons récemment écrit un article : « AcTualiTy », diffusée chaque jour en fin d’après-midi sur France 2 [3].
Nous expliquions alors que, malgré les promesses de France télévisions, « AcTualiTy », sous couvert de « décryptage de l’actualité », tombait dans « des travers malheureusement bien connus : dictature du "buzz", peopolisation de la politique, indigeste mélange des genres ». En vidéo, cela donnait ça :
Au-delà de cette vidéo, nous évoquions notamment, à l’appui de notre propos, les transitions hasardeuses entre les différents sujets (Pourquoi les femmes sont-elles écartées du pouvoir ? / Peut-on tout dire à son chien ? ; Faut-il privatiser les prisons ? / Pourquoi le Dalaï-Lama sourit-il tout le temps ? ; J’ai travaillé dans une cellule de déradicalisation. / Le jambon : pourquoi c’est pas tout rose ? Etc.), les discussions totalement creuses sur les responsables politiques [4], mais aussi la séquence « VO/VF » animée par… Bruno Donnet.
Une « pastille » au cours de laquelle le pourfendeur du « mélange des genres » s’attèle chaque jour, entre une discussion sur les réfugiés de Calais et une autre sur la sexualité des pandas, à « traduire la parole politique pour la comprendre » en analysant les « petites phrases » des uns et des autres. Exemple le 5 septembre :
- [Extrait vidéo du discours de Nicolas Sarkozy à la Baule le 4 septembre] : « Il n’y aura pas d’alternance si la campagne des primaires devait continuer sur la base d’un pugilat. »
- Bruno Donnet : « Alors ça, Thomas, d’après moi, ça veut dire quelque chose de différent que l’on peut traduire de façon nettement plus directe, puisque je pense que ça veut dire ça : "Si on continue à se balancer des boules puantes, les Français vont vraiment finir par trouver qu’on sent mauvais, et c’est Hollande qui sera réélu" ».
En somme, une émission de mélange des genres… dans laquelle Bruno Donnet est comme un poisson dans l’eau avec sa chronique quotidienne qui mêle humour [5] et politique [6].
On a dès lors du mal à croire que ce soit le même Bruno Donnet qui se désespère, dans « L’Instant M », de ces télévisions qui « entretiennent une confusion très contre-productive pour le débat démocratique », et qui se moque d’un Arnaud Montebourg dénonçant la « peopolisation de la politique » tout en participant à « Ambition intime », la nouvelle émission de M6 présentée par Karine Lemarchand :
Voilà, c’est un peu comme s’il [Arnaud Montebourg] nous avait dit, le doigt plongé dans un énorme pot de Nutella, que l’huile de palme, eh bah ce n’est pas bon pour la planète.
« Voilà. »
Julien Salingue
Annexe : transcription intégrale de la chronique de Bruno Donnet
Vous vous souvenez de la télé des années 80, à l’époque c’était simple : une fois par semaine François-Henri de Virieu cuisinait très sérieusement un homme politique et le restant de la semaine Casimir cuisinait du gloubi-boulga, ce mélange improbable de confiture de fraise, de chocolat en poudre, de bananes écrasées et de saucisses de Toulouse, pour nous divertir. Eh bien ce que j’ai vu au cours de la semaine ça ressemblait à ça, une mixture totalement invraisemblable dans laquelle on ne sait plus qui cherche à nous divertir et qui est sérieux parce que tous les genres, tous les codes de la télévision y sont allègrement mélangés. Alors je vous raconte ce que j’ai vu et je vous fais écouter. Jeudi, « L’Émission politique » de France 2 recevait Alain Juppé, et lui avait collé Robert Ménard dans les pattes pour causer immigration mais, comme ils avaient peur que ça ne soit pas suffisant, ils ont aussi dégainé ça :
[sonore France 2 : « L’invité inattendu »]
Une petite surprise, un invité secret, pour lui poser des questions sur la régulation de la finance et c’était qui le gars ?
[sonore France 2 : « Jérôme Kerviel »]
Jérôme Kerviel dis-donc. Le prochain coup si ça continue ils vont inviter Cahuzac pour parler exil fiscal. Donc, jeudi, « L’Émission politique » empruntait les recettes des talk shows et organisait le pestacle [sic] pour tenter de faire grimper l’audience. Ok. Trois jours avant, le même Juppé était le héros d’un documentaire signé Franz-Olivier Giesbert dont on a retenu quoi ? Une phrase, que le maire de Bordeaux a balancée pour nous montrer qu’il était cool :
[sonore Juppé : « Je les emmerde »].
Voilà, une phrase dans laquelle il s’exprimait comme aurait pu le faire un candidat de la téléréalité. Et puis dimanche, le pompon sur M6 : une animatrice de téléréalité précisément, Karine Lemarchand, questionnait des prétendants à l’Élysée exactement comme elle interroge les candidats de « L’Amour est dans le pré », en les transformant, avec leur consentement, en people dont on peut tout savoir de l’intimité. Alors à ce sujet je ne résiste pas, Sonia, à l’envie de vous faire entendre Arnaud Montebourg qui a prononcé une phrase absolument cultissime :
[sonore Montebourg : contre la peopolisation qui « fait diversion »]
Voilà, c’est un peu comme s’il nous avait dit, le doigt plongé dans un énorme pot de Nutella, que l’huile de palme, eh bah ce n’est pas bon pour la planète. Bref, devant autant de mélanges indigestes, la séquence finalement la plus lisible de la semaine, eh bien je l’ai trouvée hier soir dans l’émission « Quotidien » de Yann Barthes, pourtant orfèvre dans l’art de mélanger les genres. On y entendait le Président de la république parler de la situation en Syrie :
[sonore Hollande : Syrie]
Alors certes, François Hollande s’exprimait dans une émission qui mixe politique et potacheries, mais la séquence était bien rangée dans la rubrique « actualité », et surtout elle avait du sens.
Alors qu’est-ce que nous racontent toutes les bizarreries cathodiques que je viens de vous décrire ? Eh bien elles nous disent que les télévisions et les hommes politiques sont de grands opportunistes, qu’ils cherchent les uns comme les autres l’audience la plus large, les premières pour nous vendre leur lessive, pardon leurs pages de publicité, les seconds pour nous vendre leur soupe, pardon leur programme, et que ni les unes ni les autres n’hésitent plus à tout mélanger comme dans le gloubi-boulga de Casimir, à entretenir une confusion très contre-productive pour le débat démocratique en oubliant un peu vite un principe, que Nicolas Sarkozy soi-même a pourtant rappelé vendredi à Laurent Delahousse :
[Sonore Sarkozy : « La confusion, c’est le contraire de la démocratie »]