Acte I : « Halte au machisme ! »
Le 31 mai 2011, Christophe Barbier, dans l’un de ses cultissimes éditoriaux vidéos, poussait un cri : « Halte au machisme politique ! » [1] : « Elles ont bien raison, ces femmes parlementaires, de se révolter aujourd’hui contre le machisme politique », expliquait-il. Et de dénoncer, entre autres, les « origines franchouillardes » de ce machisme : « Ce sont finalement les mêmes qui, d’un côté, demandent un peu de tolérance pour ceux qui appuient un peu trop sur le champignon ou qui ont un verre dans le nez quand ils prennent le volant, et qui, de l’autre côté, perpétuent des traditions aussi sexistes et aussi vulgaires ».
D’où la nécessité, selon le directeur de L’Express, de rajeunir le personnel politique, car « les jeunes générations sont différentes, filles et garçons ont grandi ensemble dans un esprit d’égalité plus fort ». Voilà qui est dit.
Acte II : « À quoi rêvent les jeunes filles ? »
Le 16 juin, jour des écrits du bac de philosophie, Christophe Barbier nous propose une intéressante dissertation [2] sur l’un des sujets proposés aux lycéens et lycéennes : « L’homme est-il condamné à se faire des illusions sur lui-même ? » L’ancien élève de l’Ecole normale supérieure nous offre un raisonnement qui déconcerterait plus d’un correcteur du baccalauréat, partant d’un postulat qui vide la question posée de toute signification, puisque l’on ne peut rien contre la nature : « L’illusion sur soi est partie intégrante de la nature humaine », explique doctement le grand Christophe, balayant d’un revers d’écharpe tous les débats philosophiques sur l’existence de la « nature humaine » et sur les rapports entre l’inné et l’acquis.
Mais l’essentiel n’est pas là. En effet, la nature humaine se dédouble immédiatement en « nature masculine » et « nature féminine », puisque notre philosophe improvisé poursuit : « Tout enfant qui ne rêve pas d’être pilote de chasse, toute jeune fille qui ne rêve pas d’être poupée célèbre ou starlette de cinéma se trompe sur son destin. Il faut évidemment rêver, rêver haut pour essayer d’avoir un destin […] »
Un peu plus de deux semaines après avoir lancé sa croisade contre le machisme, Christophe Barbier nous offre donc l’un des poncifs les plus usés du sexisme ordinaire. Et pour que chacun comprenne bien son propos qui, il est vrai, n’est pas à la portée du premier franchouillard venu, le vidéo-éditorialiste joint le geste à la parole, puisqu’il a pris soin de déposer une poupée sur son bureau. Véridique ? Véridique :
« Les jeunes générations sont différentes, filles et garçons ont grandi ensemble dans un esprit d’égalité plus fort », se réjouissait Dr. Barbier. Mais Mr. Christophe [3] ne semble pas partager le même enthousiasme, puisqu’il renvoie « les jeunes filles » à des « rêves » et à un « destin » qui, chacun l’avouera, ne tracent pas vraiment la voie de leur émancipation individuelle. Le 26 mai, l’anti-machiste s’adressait « [aux] femmes, toujours plus nombreuses, [qui] viendront dire “Ça suffit !” » : « Elles trouveront toujours à L’Express un vif soutien ». Ça commence bien.
Mais après tout, dira-t-on, ce ne sont là que libres opinions que vent emporte : en quoi cela concerne-t-il la critique des médias ? Pour une seule et simple raison : le règne des pontifiants tous médias, beaucoup plus ignorants que ne le laissent supposer leurs diplômes, enveloppe la liberté de penser de gaz asphyxiants. Il est vrai que, si l’on en croit ses confidences, Christophe Barbier rêvait d’être pilote de chasse : il a accompli son destin puisqu’il fait désormais partie de l’escadrille des éditocrates.
Julien Salingue