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Copinages médiatiques et connivences sportives (1) : Michel Platini et Jacques Vendroux

par David Garcia,

La connivence est un plat qui se mange à toutes les sauces journalistiques. Nous connaissons bien celle du milieu littéraire où l’autopromotion côtoie souvent le renvoi d’ascenseur, et il existe également une forte connivence – mais moins souvent signalée – dans le milieu sportif, et en particulier dans le football. Les journalistes, toujours friands de scoops croustillants, flattent quelques sportifs pour avoir des informations sur les dernières rumeurs de transferts ou sur les petites phrases des vestiaires. Récemment, la suspension de Michel Platini par le Tribunal arbitral du sport a mis en lumière la complaisance dont certains médias font preuve – et ont fait preuve par le passé – à l’égard de l’ancien numéro 10 de l’équipe de France de football. Pour commencer, intéressons-nous à ce qu’a pu en dire Jacques Vendroux, directeur des sports du groupe Radio France.


Platini, « c’est pas Al Capone »

Lorsque Michel Platini apprend, le 9 mai 2016, sa suspension de toute fonction dirigeante dans le football pendant quatre ans, qui le « Grand Journal » de Canal+ choisit-il de convier pour commenter sa chute ? Jacques Vendroux, journaliste, ami depuis quarante ans avec le désormais ancien président de l’UEFA [1]. Supporter inconditionnel de l’ex-capitaine de l’équipe de France, le directeur des sports de Radio France joue le rôle de porte-parole quasi officiel sur les ondes radio, les plateaux télés et dans les colonnes des journaux.

Maitena Biraben, présentatrice de l’émission diffusée par Canal+, l’interroge : « Vous considérez Michel Platini comme un frère ? ». « On peut dire ça comme ça », répond alors Jacques Vendroux. Avocat zélé, « frère » Vendroux déroule une plaidoirie sans nuance. D’où il ressort que malgré la sanction, « Michel » n’aurait rien à se reprocher : « J’ai eu Michel Platini à plusieurs reprises au téléphone aujourd’hui. Il est évidemment déçu, il est évidemment vexé parce qu’il considère à juste titre qu’il n’a absolument rien fait, que tout ça est une grosse embrouille de la part de la FIFA [2]. Il reconnaît, "j’ai fait une seule connerie, je n’aurais jamais dû me présenter à la présidence de la FIFA", et là, il regrette beaucoup. La deuxième chose qu’il faut dire, c’est qu’il n’est pas inculpé de malversation, ni de détournement d’argent, c’est pas Al Capone, c’est pas Francis le Belge [3], etc. Il y a eu simplement un délai de paiement qui peut sembler surprenant. »

« À juste titre » ? Pourtant, jugeant illégitime le paiement par la FIFA d’une somme de 1,8 million de francs suisses (2 millions d’euros) en 2011 – présentée par Michel Platini comme la contrepartie d’un travail effectué neuf ans plus tôt, le Tribunal arbitral du sport lui a interdit l’exercice de toute activité footballistique. Et plutôt que de rendre intelligibles les tenants et aboutissants de « l’affaire », Maitena Biraben abonde systématiquement dans le sens de son invité, sans questionner les arguments de l’ami Vendroux, assénés comme autant d’évidences. Michel Platini n’est pas Al Capone mais il n’est peut-être pas non plus l’abbé Pierre. Du dirigeant Platini et de ses éventuelles errances, d’un « système FIFA » qui pourrait engendrer ou encourager certains comportements, le téléspectateur n’apprendra rien ou pas grand-chose. L’affaire est passée au seul tamis de la « personnalité » de l’homme Platini, en somme davantage victime « d’une grosse embrouille » et de sa naïveté que coupable d’infraction réglementaire ou déontologique. Florilège.

– Maitena Biraben : « Ce n’est pas une histoire de gros sous, c’est uniquement parce qu’il s’est présenté à la tête de la FIFA, c’est ça que vous nous dites ? »
– Jacques Vendroux : « Je pense depuis le début que Michel Platini n’a rien à faire dans cette histoire, même si ça peut surprendre. »
– Maitena Biraben : « Il a eu tort de se présenter ? »
– Jacques Vendroux : « Il a eu tort de se présenter. »
– Maitena Biraben : « Il est payé longtemps après, ça surprend. »
– Jacques Vendroux : « Même si ça peut surprendre cette histoire de paiement, ce n’est pas la personnalité de Platini. Il n’est pas comme ça, et ce que je voudrais ajouter, c’est que franchement, le sanctionner quatre ans, il ne pourra pas assister à l’Euro, l’Euro si on l’a en France, c’est grâce à lui, et de toute façon, s’il avait été blanchi, il avait l’intention de démissionner à la fin de l’Euro. »
– Maitena Biraben : « Vous trouvez que c’est injuste ? »
– Jacques Vendroux : « Oui mais je manque forcément un peu d’objectivité, parce que j’ai des liens forts avec lui. Je lui ai dit à plusieurs reprises qu’il n’aurait pas dû se présenter à la tête de la FIFA. »
– Maitena Biraben : « Vous dîtes que c’est quelqu’un de candide. »
– Jacques Vendroux : « Bien sûr. Écoutez, il a quand même beaucoup apporté au football. »
– Maitena Biraben : « Personne ne le conteste. »
– Jacques Vendroux : « Il a été un champion immense, il a organisé la coupe du monde de football. »
– Maitena Biraben : « On peut être un grand footballeur et un mauvais dirigeant. »
– Jacques Vendroux : « Mais ce n’est pas un voleur. Ce n’est pas sa came, l’argent. »
– Maitena Biraben : « Transmettez nos amitiés à Michel Platini. »
– Jacques Vendroux : « J’imagine qu’il nous regarde. »

Michel Platini a beaucoup de chance. Contrairement au justiciable moyen, il peut se défendre à la télévision, à une heure de grande écoute, par animatrice et journaliste ami interposés. Sans qu’à aucun moment le contenu exact de la sanction dont il a fait l’objet soit exposé aux spectateurs. Avec en prime un coucou amical de la présentatrice.

Les termes exacts du jugement du Tribunal arbitral du sport, non cités sur l’antenne de Canal+ mais en accès libre sur le site internet de l’instance, sont pourtant sévères : « Les arbitres sont unanimement arrivés à la conclusion que Michel Platini avait obtenu un avantage indu, violant ainsi l’article 20 du code d’éthique de la FIFA. La formation a également conclu que Michel Platini s’était rendu coupable d’un conflit d’intérêts, en violation de l’article 19 du code d’éthique de la FIFA ». Avantage indu, conflit d’intérêts, voilà qui aurait mérité sinon « débat », du moins quelques questions posées à l’avocat officieux du triple Ballon d’or. Selon que vous serez puissant ou misérable…


« Quoi de plus jouissif que de commenter des copains ? »

Quant à Jacques Vendroux, il manque peut-être en effet « un peu d’objectivité », comme il le reconnaît lui-même dans son autobiographie, en librairie depuis le 6 avril 2016. À l’accusation de complaisance à l’égard de Platini, le journaliste sportif répond en effet que lui seul connaît le « Michel » intime, le vrai, et qu’à ce titre, il est fondé à tout lui pardonner par avance : « Quand on me reproche de manquer d’objectivité vis-à-vis de Michel, peut-être que c’est vrai, mais moi j’ai vécu des trucs avec lui que personne ne peut imaginer. Que ce soit des trucs positifs ou négatifs. Ma vie est marquée de son empreinte. C’est comme ça, c’est indélébile. Encore une fois, quand j’ai été victime d’une pleurésie au Mondial 2014, au Brésil, il est venu me voir à plusieurs reprises… ça me faisait un bien énorme. […] Défendre Michel Platini, accusé de corruption au sein de la FIFA, ce n’est pas pour faire bien. Je le défends parce que je le connais suffisamment pour être certain, à cent pour cent, que Michel n’est pas un escroc [4]. » Comment, en effet, reprocher le manque d’objectivité d’un homme à qui Michel Platini a fait « un bien énorme » ?

« Amoureux foot », le patron des sports de Radio France l’est assurément. Incarnation paroxystique d’un journalisme où la passion des sportifs renommés prime sur la recherche distanciée et rigoureuse des faits, Jacques Vendroux porte en bandoulière son goût pour la connivence. Là où d’autres ont la complaisance honteuse, lui assume tout, frôlant même l’exhibitionnisme joyeux. « Les rapports des journalistes-athlètes de haut niveau ou célébrités, c’est un chemin d’une ambiguïté terrible. Plus vous êtes amis, plus vous avez d’infos, et moins c’est facile de les divulguer. Par le biais du VCF [5], j’ai eu beaucoup d’infos, mais je n’ai jamais rien sorti sans l’accord des personnes concernées, c’est pour ça que j’ai toujours gardé de bons rapports avec les gens qui ont porté le maillot du Variétés ou de ma bande d’amis, qu’il s’agisse de Giresse, Platini, Larqué ou les autres… », rapporte-t-il. Les infos sorties « avec l’accord » des footballeurs concernés sont rarement subversives, et encore moins gratuites. Elles s’accompagnent en général de contreparties sous forme d’engagement tacite, côté journaliste, à ne pas trop forcer sur la critique… Au moins procurent-elles un vif plaisir au bon vivant Vendroux : « Quoi de plus jouissif que de commenter des copains ? […] Il y en a – principalement des jaloux – qui marmonnent que ce n’est pas une attitude déontologique – mais ce lien que j’ai avec les joueurs, j’essaie d’en faire profiter l’auditeur de France Inter », assure sérieusement le directeur des sports de la radio publique. Tant pis pour les « jaloux », ou ceux qui ne font pas partie du cercle des intimes : « C’est vrai, les gens que je ne connais pas, ou n’apprécie pas, je ne m’en occupe pas. Je choisis mes causes, je choisis mes amis et, dès lors, je les considère comme mes "frères", "le clan Vendroux" ». Je ne te connais pas, tu n’existes pas ; tu es mon ami, je te défends quoi qu’il arrive ! Curieuse conception de l’éthique journalistique – marmonnent les jaloux…

Trônant au centre du clan Vendroux, Michel Platini, l’ami choyé entre tous : « Notre relation est d’homme à homme : c’est la famille pour moi. Je connais très bien sa femme, ses enfants. Michel, c’est un peu mon petit frère, que je veux protéger. De la même manière que Thierry (Roland [6]) voulait me protéger. »

Chez Vendroux, le journaliste et l’ami feraient pourtant bon ménage, du moins selon l’intéressé : « Je n’ai donc jamais remis l’honnêteté de Michel Platini en question. Mon métier ne m’y oblige pas. » Étrange conception du « métier » de journaliste… Pour le journaliste sportif, « l’ami et le journaliste cohabitent. C’est une question d’opinion. Quand je suis à l’antenne, je relate les faits, je ne donne pas mon avis. Je ne dis pas qu’il est honnête ou malhonnête. Ce n’est pas mon rôle. Je peux en revanche m’exprimer à titre personnel si je suis l’invité d’une émission sur une chaîne de télévision. Je m’en donne le droit. »


***

Homme de réseaux influent, Jacques Vendroux feint d’ignorer qu’en mettant son entregent au service d’un ami, il discrédite profondément la profession de journaliste. Et prend au passage ses auditeurs pour des grands naïfs. À défaut du prix Albert Londres, l’ami des puissants aura reçu l’hommage de la patrie reconnaissante : légion d’honneur, ordre national du mérite… Avec une pointe d’autodérision bienvenue, Jacques Vendroux étale ses décorations pour services rendus – à qui ? – tout au long de sa carrière : « Côté médailles, je suis une sorte de Brejnev français. Grâce à Jacques Chirac, à Nicolas Sarkozy et à François Hollande (mais aussi à Jack Lang), il ne me manque rien ! J’ai toutes les médailles possibles et imaginables. Mon rêve, c’est d’arriver un jour au bureau avec toutes mes décorations accrochées à ma veste. » Et avec, peut-être, un ballon d’or que lui aura offert son ami « Michel ».


David Garcia
(Prochainement, la suite de cet article : Michel Platini et L’Équipe)


P.-S. Invité sur I>Télé le 1er juin 2016 à donner son avis sur les propos tenus par Karim Benzema concernant entre autres sa non-sélection en équipe de France, le directeur des sports de Radio France a semblé bien moins prompt à condamner le lynchage médiatique dont l’avant-centre a été victime que lorsqu’il fut question de son « ami » Michel Platini :
– Jacques Vendroux : « Le problème c’est Benzema. Benzema ne mérite pas, pour un tas de raisons, de porter le maillot bleu de l’équipe de France de football dans le contexte actuel… Parce qu’il a un certain nombre d’affaires qui traînent autour de lui. »
– Olivier Galzi : « Il dit "je ne suis pas condamné qui a le droit de me juger à part la justice ?". Que répondez-vous à ça ? »
– Jacques Vendroux : « Je réponds qu’il y a un doute concernant Benzema. Et très honnêtement, je ne suis pas bouleversé que monsieur Benzema ne soit pas... »
– Nadir Kahia (président de l’association « Banlieue Plus ») : « Et Michel Platini alors ? »
– Jacques Vendroux : « Non non non on peut parler de plein de choses et là, on parle de Benzema. Il a des embrouilles etc., il peut porter préjudice au groupe de l’équipe de France… »

Et Michel Platini ne porte de préjudice à personne.

 
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Notes

[1Fédération européenne de football.

[2Fédération internationale de football.

[3Feu le parrain de la pègre marseillaise, assassiné à Paris en 2000.

[4Ces citations de Jacques Vendroux et les suivantes sont extraites de son livre Amoureux foot, co-publié par Calmann-Lévy et Radio France.

[5Variété club de France, un club de football qui organise des matchs caritatifs avec des équipes constituées de vedettes du sport et du journalisme, autour de son principal animateur, Jacques Vendroux.

[6Le commentateur de matchs Thierry Roland, autre grand ami de Platini, dont nous avions déjà rapporté les liens de connivence avec l’ancienne étoile du ballon rond.

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