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Couverture médiatique de l’attentat de Barcelone (1) : naufrages de l’information en temps réel

par Pauline Perrenot,

Les séances (rituelles) d’autocritique médiatique (partielle) n’ont pas manqué depuis les attentats de janvier et, plus encore, de novembre 2015. Il serait grand temps de vérifier que les leçons ont été pratiquement tirées, comme l’actualité en a malheureusement donné l’occasion le 17 août dernier, lors des attentats en Espagne [1]. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que rien n’a changé, comme en témoigne le panorama qui suit, fondé sur des observations effectuées au cours des 24 heures suivant l’attentat de Barcelone [2].

On le sait : la nature même de l’information « en temps réel », tous supports confondus, dont le rythme est désormais calqué sur des chaines en continu, elles-mêmes en perpétuelle quête de « priorité au direct », ne fait pas bon ménage avec le journalisme et l’information. Encore moins lors d’un attentat : précipités, confus, lourds d’émotion, les évènements s’enchaînent et font intervenir de multiples acteurs – et sources – différents, empêchant de fait une connaissance immédiate et précise de ce qui est en train de se passer. Mais qu’importe ! D’éditions spéciales en alertes rouges, les médias impatients changent de rythme, et sautent sur le moindre élément qu’ils délivrent au fur et à mesure pour occuper l’espace. En résulte, comme à chaque fois, un climat d’autant plus anxiogène que se répètent, en boucle, les mêmes bribes d’informations non vérifiées.

On ne sait rien, mais on en parle quand même. Telle est l’anti-leçon journalistique que les journalistes rabâchent lors de tels évènements. C’est ainsi que se multiplient, en direct, des aveux d’ignorance et des commentaires tout à fait hasardeux dont le seul but est de combler le vide.

Commençons, sur le plateau de BFM-TV, par un échange entre la présentatrice et un des « consultants terrorisme » de la chaine. Il est alors 19h10, soit un peu plus d’une heure depuis le début de l’« édition spéciale » :


- Aurélie Casse (BFM-TV) : « On revoit cette image de cette fourgonnette blanche, qui nous montre vraiment l’intensité du choc, c’est-à-dire on ne sait pas, disons ce que l’on ne sait pas, on ne sait pas combien de personnes étaient à bord de cette fourgonnette, la police semble sous-entendre qu’il y a plusieurs suspects, la police qui parle ce soir d’au moins un de ces suspects qui serait actuellement retranché dans un bar, c’est-à-dire que cette personne, malgré le choc particulièrement intense, a pu sortir de la camionnette, peut-être arme à la main, on n’en sait rien, et aller ensuite dans un bar ? »
- Jacques Di Bona (« consultant lutte antiterroriste de BFM-TV »)  : « Oui, si l’individu… Derrière le volant, c’est beaucoup moins violent que sous le pare-chocs, bien évidemment. »

Voilà qui apporte une eau limpide au moulin de l’information. Nous reviendrons plus tard sur le cas du « suspect-qui-serait-retranché-dans-un-bar ».

Un peu plus tôt, à 18h, la même chaine s’illustrait déjà en proposant une fine analyse de l’attentat et de ses auteurs. Christian Dauriac, « journaliste français à Barcelone » est interrogé par le présentateur Alain Marschall et, prenant en compte les analyses d’Ulysse Gosset, l’« éditorialiste international » de BFM-TV qui affirmait quelques minutes plus tôt qu’« il ne savait rien », improvise des liens aussi flous qu’inquiétants entre l’attentat et les mouvances « anti-touristes » présentes à Barcelone :

Il y a une drôle d’ambiance à Barcelone depuis un mois, j’entendais Ulysse [Gosset] évoquer et rejeter pour le moment la piste islamiste, il y a aussi à Barcelone des slogans « Tourists Go Home » qui commencent à fleurir sur les murs, c’est-à-dire que c’est une opposition au tourisme de masse dont les partis d’extrême-gauche considèrent, parce que les locations sont de plus en plus chères, etc., qu’il nuit à la vie quotidienne. Alors j’espère que ce n’est pas de ce côté-là, mais pour le moment je n’en sais pas plus et je ne peux pas vous en dire plus parce qu’on ne peut pas avancer, je ne peux pas aller plus près de l’événement.

Autocritique ? Quelques minutes après cet éclairage, Christian Dauriac reconnaît non seulement qu’il ne sait pas grand-chose, mais aussi que c’est précisément sa position de « grand témoin » qui l’empêche de s’informer… et de nous informer :

Je ne vois rien, vous êtes mieux informés que moi. Le bilan on ne le connait pas, je crois que vous êtes mieux placés pour le savoir auprès des différentes sources d’information électronique. […] Vous savez, au milieu de la foule, avec la police qui empêche de passer, c’est certainement le plus mauvais endroit pour avoir une connaissance de ce genre d’événement. Je crois que vous êtes mieux placés que moi pour le savoir, les policiers de faction qui empêchent les touristes et les journalistes de passer n’en savent rien, ils obéissent aux ordres, on leur demande de bloquer la circulation et la circulation des touristes, ils le font.

Du rôle des « témoins »

De témoins qui « n’ont rien vu » en « experts » abonnés des plateaux, les médias peaufinent le remplissage et lissent le sensationnel. Arrêtons-nous un instant sur la parole des « témoins sur place ».

Après les attentats du Bataclan, nous interrogions la couverture médiatique des événements : « compassion ou voyeurisme ? » et écrivions alors : « Où est le journalisme quand le récit du drame se transforme en une succession de scènes de désarroi ? La presse est-elle dans son élément quand la légitime compassion se métamorphose en voyeurisme ? S’émouvoir est une chose. Sacrifier l’information sur l’autel de l’émotion, qui devient une information en elle-même, envahissante, désarmante, répétitive, en est une autre. La course à l’audimat n’explique pas tout, mais elle contribue à générer ce type de pratiques journalistiques, qui transforment un événement politique majeur en un spectacle à la fois accablant et hypnotisant. »

D’autant plus accablant qu’il se répète… Dans cette course à l’audimat, force est de constater que les « témoins » jouent un rôle de poids : gonfler l’émotion d’une part, mais également servir de pilier, ou plutôt de béquille, au travail journalistique puisque leurs déclarations, sans pouvoir être vérifiées, sont quand même prises pour argent comptant dans une enquête « en temps réel ». De quelle conception du journalisme relève une démarche qui consiste à tendre le micro - pour obtenir instantanément leur témoignage - à des personnes tapies dans un restaurant ou dans une bouche de métro ?

Un nouveau détour par BFM-TV est éclairant. Il est alors 18h32, moins d’une heure après le passage en « édition spéciale » :


- Alain Marschall (présentateur) : « Henri, touriste français en direct de Barcelone avec nous, vous êtes dans un café-restaurant Henri, à proximité d’un autre café-restaurant où visiblement les forces de l’ordre concentrent leurs recherches au moment où on se parle Henri ? »
- Henri (« témoin ») : « Oui, bonjour. »
- Alain Marschall : « Que se passe-t-il autour de vous Henri au moment où on se parle ? »
- Henri : « En réalité j’ai pas grand… enfin j’ai pas de visu puisqu’on est planqués, on est à l’abri dans un café où il y a plusieurs réfugiés, il y a des Italiens, des Français, des personnes chinoises et des Espagnols. On a tiré le rideau donc on ne sait pas ce qui se passe derrière sauf deux ou trois coups de feu qu’on a entendus il y a vingt minutes. »
- Alain Marschall : « Des coups de feu ? »
- Henri : « Oui des coups de feu, il y a une vingtaine de minutes. Il y a a priori une personne qui est liée à l’attentat qui s’est réfugiée dans le café d’à-côté, donc juste à côté de nous, donc on attend, on ne bouge pas, on attend que le temps passe et on regarde les informations pour savoir quelles sont les consignes de sécurité à respecter. »

On ne saura pas si Henri « regardait les informations » sur BFM-TV.

Le service public n’est pas en reste, et l’« édition spéciale » de la chaine en continu Franceinfo reproduit tous les travers de ses cousines du secteur privé. « Sans tirer de conclusions », « Un bilan assez confus », « On vous donne plus de précisions dans les minutes qui viennent » : c’est au cours de ce fatras de « journalisme à la seconde » que s’invite, lors de la première heure de l’« édition spéciale », un témoin dont les propos, nullement vérifiés, n’apporteront aux téléspectateurs rien d’autre que de fausses informations, qui accroissent la confusion et entretiennent le climat de panique.

Cette fois, le touriste est belge et a été « bloqué au sous-sol du métro au moment de vouloir sortir ». Une position tellement propice au témoignage des faits qu’on apprend notamment, dans sa bouche, ceci : « C’est un homme seul avec un couteau qui aurait attaqué des passants ». D’« attaque au couteau », il ne sera jamais question, pas plus que d’un quelconque démenti sur le plateau du service public : la critique n’est pas ici portée au témoin, mais bien à ce journalisme pressé et avide de sensationnel. L’envoyée spéciale ne s’y trompe pas, poursuivant avec des questions de haute voltige : « Pouvez-vous nous décrire l’ambiance ? Vous avez eu peur ? Vous êtes ici en vacances à Barcelone c’est ça ? »

Le « 19/20 » de France 3 choisit d’aller encore plus loin. Au cours de cette édition, la présentatrice mène son enquête en direct du plateau. Sa source principale ? Un témoin caché quelques minutes auparavant dans une librairie. Le résultat ? Une séance de jonglage avec des bribes d’informations qui se révèleront fausses une heure plus tard.


- Émilie Tran Nguyen (France 3) : « À Barcelone où je vous le rappelle un attentat eu lieu cet après-midi, une camionnette qui a foncé sur la foule. Un suspect est retranché dans un bar et juste à côté, une librairie. À l’intérieur, Laurent, un Français qui est sur place, Laurent qui est avec nous au téléphone. Laurent vous êtes donc réfugié dans cette librairie, racontez-nous ce que vous avez vu. »
- Laurent (« témoin ») : « Alors en fait nous étions réfugiés dans cette librairie car nous venons d’être évacués par la police qui évacue le quartier. […] Donc c’était assez difficile, entre la chaleur et le stress puisqu’on nous a fait comprendre que le ou les terroristes étaient retranchés dans un restaurant juste à côté de la librairie et là on vient de nous évacuer, on vient de nous faire sortir du périmètre de sécurité où sont retranchés les terroristes. Je ne peux pas vous en dire plus. »
- Émilie Tran Nguyen : « Laurent, on vient de vous évacuer de la librairie parce que les suspects sont toujours retranchés dans le bar, vous le savez ? »
- Laurent : « A priori oui. A priori il y en aurait deux, d’après ce que nous ont dit les policiers, il y aurait deux terroristes retranchés et un troisième en fuite. »
- Émilie Tran Nguyen : « Ils sont retranchés dans un bar avec d’autres personnes dans le bar, c’est une prise d’otages ? »

Longtemps après, on serait tenté de rire, s’il n’était déplorable, de ce pathétique « réflexe » de journaliste en prise sur l’événement : miser sur différentes cases du « bingo attentat », en l’occurrence ici, celle de « la prise d’otages », alors même que le témoin, cloîtré et probablement sous le choc, affirme « ne pas pouvoir en dire plus » et que l’information selon laquelle un suspect est retranché dans un bar, pourtant cruciale, n’est pas vérifiée.

Enfin, les journaux télévisés et chaines d’info ont diffusé des images, parfois en direct, de la progression des forces de l’ordre dans les ruelles, le brouhaha sur les Ramblas, la course des passants, les corps recouverts, alors même que les médias étaient invités à ne pas diffuser d’images trop rapidement.

Et pourtant… De nombreuses séances d’autocritique avaient suivi le naufrage journalistique de BFM-TV au moment de la prise d’otages de l’Hyper Cacher en janvier 2015. La chaîne avait alors diffusé en direct des informations qui auraient pu permettre au preneur d’otages de savoir que l’un des clients s’était caché dans une chambre froide. Vaines autocritiques. Et BFM-TV n’a pas retenu grand-chose des remontrances du CSA sur le sujet. Pis : alors mêmes qu’ils persistent, les journalistes de la chaîne font preuve d’une mauvaise foi confondante lorsqu’ils sont pris la main dans le sac. Ce qui donne, en plateau, de véritables numéros de contorsionnistes :


- Ulysse Gosset (BFM-TV) : « En cas d’attentat effectivement, il y a un dispositif opérationnel spécifique pour les attentats terroristes qui est, comment dire, prêt, et qui est actuellement, en tout cas c’est ce que nous disent les autorités espagnoles, en cours d’application. Et les autorités demandent aux internautes de ne pas diffuser en direct les vidéos des interventions parce qu’effectivement, comme il y a en ce moment, on le voit sur ces images, qui datent un peu bon, donc qui sont moins sensibles, mais tout de même, comme il y a en ce moment cette traque pour retrouver le suspect, et bien on ne veut pas donner d’indice parce que ces terroristes ont évidemment eux aussi accès aux réseaux sociaux, aux chaînes de télévision espagnoles… Il faut dire qu’en Espagne la télévision, les deux télévisions de Barcelone ont diffusé quasiment immédiatement en direct toutes les images qu’elles recevaient sans aucun filtre, et donc ça peut être extrêmement précieux pour le suspect ou éventuellement les complices qui sont, quelque part… »
- Aurélie Casse (BFM-TV) : « Oui il suffit d’allumer la télé et de localiser tout de suite les forces de l’ordre… »
- Chems Akrouf (« expert en renseignement ») : « Oui tout à fait, c’est la vraie difficulté pour les médias, c’est-à-dire informer sans participer de manière indirecte à donner du renseignement aux auteurs ou à leurs complices. Donc c’est le paradoxe : comment bien informer sans devenir soi-même l’aidant du terroriste ou d’un groupuscule. Donc c’est le travail justement des médias et des rédactions d’arbitrer et de ne pas diffuser des images trop rapidement pour évaluer ce qu’elles peuvent avoir comme conséquences sur l’investigation et la neutralisation de l’auteur éventuel d’un attentat. »

Un « temps d’évaluation » que les journalistes de BFM-TV prenaient sans doute sur le plateau, alors que les images qu’ils étaient censés analyser défilaient en direct sous leurs yeux, et sous les nôtres.



La fabuleuse histoire du « suspect-retranché-dans-un-bar »

Les médias ont la mémoire courte. Sans doute. Mais tant que l’information suivra le rythme et les conditions de production des chaines en continu et des réseaux sociaux, les erreurs se reproduiront à l’infini, en particulier lors de tels événements. À la question des images et des problématiques éthiques qu’elles posent s’ajoutent en effet les contre-vérités diffusées par les médias, qui, faute de temps, ne peuvent ni recouper ni vérifier les données qui leur arrivent. L’attentat de Barcelone nous en a donné un triste exemple : celui du « suspect-retranché-dans-un-bar » et avec lui ses variantes, notamment la « prise d’otages ».

« Selon une source policière », « selon l’AFP »… : c’est ainsi que les médias les plus précautionneux ont introduit l’information selon laquelle un suspect s’était retranché dans un bar du centre de Barcelone. Une rumeur qui circulera de médias en médias pendant plus de deux heures, sans que personne ne cherche à vérifier l’information et sans que le conditionnel soit de rigueur, avant d’être démentie à la suite d’un tweet de la police catalane, publié à 20:06 et affirmant : « Aucun homme n’est retranché dans quelque bar que ce soit du centre de Barcelone. »

Anecdotique ? Pas vraiment. Car cette fausse information, en plus de participer du climat anxiogène, nous dit beaucoup des mécanismes de la production médiatique et de ses vases communicants. Nous avons déjà relevé le traitement lamentable du « 19/20 » de France 3 qui, dès l’annonce des titres, comme au cours de l’édition, ne s’embarrasse même pas du conditionnel :

Il y aurait au moins un mort, de nombreux blessés selon la police, au moins un suspect s’est retranché dans un bar. […] À Barcelone où je vous le rappelle un attentat eu lieu cet après-midi, une camionnette qui a foncé sur la foule. Un suspect est retranché dans un bar et juste à côté, une librairie.

La liste est malheureusement longue, et d’éditions spéciales en fils d’infos sur internet, la rumeur se répand comme une traînée de poudre :

 France 24 : « Selon des sources policières citées par la radio Cadena Ser, il y aurait au moins treize morts à présent et une vingtaine de blessés, le conducteur du véhicule s’est enfui à pieds, un suspect s’est retranché dans un bar du quartier de la Boqueria selon la police. »

 France 2 (JT de 20h) : « Plusieurs suspects sont recherchés. Un homme armé se serait retranché dans un bar, il pourrait être le conducteur de la fourgonnette. […] Un ou plusieurs suspects se seraient retranchés dans un bar. Il n’est pas impossible que d’autres suspects s’y trouvent toujours. […] On apprend à l’instant, voyez les informations nous parviennent au compte-gouttes, la situation évolue minute par minute, on apprend à l’instant par une dépêche de l’agence France Presse qu’un homme a été arrêté, c’est ce qu’affirme la police régionale, il pourrait donc s’agir de l’homme retranché dans ce bar ».

 CNews :


CNews en vient même à parler d’une « prise d’otages en cours », citant son confrère espagnol El Mundo :


 France info :


 Le Figaro :


 RTL :


 France Inter, journal de 19h : « Il semble qu’un suspect au moins, peut-être deux se soit retranché dans un bar, la situation est donc encore très confuse, on y revient en détails. […] Alors un homme soupçonné d’avoir foncé dans la foule tout à l’heure, d’être en tout cas le conducteur de cette fourgonnette se serait retranché dans un bar, c’est ce qu’indique ce soir une source policière. »

Etc.

Le site de Jean Marc Morandini, qui apporte chaque jour de nouvelles preuves de son irréprochable professionnalisme parle quant à lui d’une « deuxième fourgonnette », et de « deux hommes armés retranchés dans un bar » :


Pour finir, citons l’échange surréaliste et caractéristique de ce nouveau naufrage journalistique, entre Jean-Pierre Bouchard, « criminologue » et Aurélie Casse, présentatrice de « l’édition spéciale » de BFMTV (19h34) :


- Jean-Pierre Bouchard : « Cet attentat, si c’est bien le cas, se complique apparemment avec une prise d’otages qui peut avoir un dénouement là aussi compliqué voire meurtrier si le ou les ravisseurs sont armés bien sûr. »
- Aurélie Casse : « Les autorités parlent au moins d’un suspect retranché dans un bar, on ignore s’il y a des personnes dans ce bar, on ignore s’il est armé, peut-être donc d’autres suspects dans la nature, mais en tout cas, quelqu’un qui fonce sur plusieurs personnes et qui ensuite s’en va, se retranche dans un bar, peut-être pour peut-être encore tuer. »
- Jean-Pierre Bouchard : « Oui ce n’est pas impossible, alors c’est difficile d’anticiper parce qu’on n’a pas tous les éléments évidemment, surtout de l’extérieur. Mais dans l’enquête, là on est vraiment au départ donc il nous manque beaucoup d’éléments, et dans les heures qui suivent, beaucoup d’éléments vont tomber parce qu’avec la vidéosurveillance, les témoignages, peut-être la téléphonie et l’informatique en général, beaucoup d’informations vont tomber. En même temps si ce suspect est dans un bar retranché, que la police ne l’ait pas encore délogé, c’est peut-être qu’il y a une suspicion qu’il soit armé ou une certitude qu’il le soit, on ne sait pas encore, mais ça peut encore compliquer l’issue de cette affaire dramatique. »

Ou comment jouer à conjecturer, sans disposer de la moindre information, en imaginant tous les possibles d’une tragédie.


***


Meubler : voilà à quoi en sont réduits des médias qui, à défaut de produire une véritable information, brassent de l’air. À ce jeu, les « témoins-qui-n’ont-rien-vu » constituent une ressource inépuisable et un gage de terrain : les micro-trottoirs « font vrai », qu’importe si leur contenu est faux. Mais les médias disposent d’une autre ressource, tout aussi inépuisable, voire plus pratique car disponible à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, par téléphone ou en direct du plateau : « l’expert ». Et de la fausse information à la fausse expertise, il n’y a qu’un pas. Un pas de nouveau franchi par bon nombre des « experts » convoqués pour l’occasion, et donc par les médias qui les ont invités, comme nous le verrons dans un prochain article.


Pauline Perrenot (avec Julien Salingue)

 
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Notes

[1Le 17 août 2017, un homme au volant d’une camionnette fonçait sur les passants des Ramblas à Barcelone, provoquant seize morts et plus de cent-cinquante blessés (au moment où sont écrites ces lignes). L’attentat est par la suite revendiqué par le groupe État Islamique. Une seconde attaque est menée dans la nuit à Cambrils, au cours de laquelle les cinq assaillants sont tués par la police.

[2Un deuxième article reviendra sur le « bal des experts ».

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