En février 1999, Maurice Papon, ancien préfet de police, intentait un procès en diffamation à Jean-Luc Einaudi, lequel avait avancé le chiffre (obtenu par recoupement) de plusieurs centaines de victimes de la sauvagerie policière aux ordres de Papon, le 17 octobre 1961. S’estimant diffamé, l’ancien secrétaire général de la Gironde sous l’Occupation exigeait qu’on lui apporte les preuves. Las, ces archives n’étant pas « communicables », Einaudi ne pouvait y avoir accès.
Considérant qu’on privait ainsi un inculpé des moyens de sa défense, Brigitte Lainé et Philippe Grand, tous deux conservateurs en charge des archives judiciaires aux Archives de Paris, vinrent témoigner, l’un à la barre, l’autre par écrit. C’est grâce à cet acte de désobéissance civique que Papon perdit son procès. A défaut d’encourir les sanctions pénales dont leur hiérarchie les menaça aussitôt (témoigner en justice l’emporte en effet sur le devoir de réserve des fonctionnaires), Brigitte Lainé et Philippe Grand ont été placardisés pendant quatre ans.
Quatre années durant lesquelles la presse dans son ensemble a observé un silence retentissant - à la seule exception des articles de Jean-Pierre Thibaudat dans Libération.
A croire qu’il était le seul journaliste informé. Impossible ! La Ligue des Droits de l’Homme (à l’initiative de la section de Toulon) avait fait circuler des pétitions et, périodiquement, Brigitte Lainé et Philippe Grand tentaient d’alerter sur la question de l’accès aux archives, adressant des lettres ouvertes aux gouvernants oublieux de leurs promesses d’ouverture des archives et d’une nouvelle législation. En vain. On les ignorait, préférant sans doute ne pas importuner une direction des Archives de France, aujourd’hui déconsidérée par la décision du tribunal administratif, et ne pas déranger une Mairie de Paris (dont dépendent également les deux archivistes) tout aussi déshonorée par cette affaire [1].
Jusqu’au Canard enchaîné. Alors que celui-ci jadis bénéficia jadis d’une « fuite » en archives grâce à laquelle Papon fut débusqué, cette fois, il se tint coi. Mieux vaut tard que jamais : le 23 avril 2003, dans un article non signé (pour quelle raison ?), Le Canard emboîtait le pas à ses confrères (relatant, on se demande encore pourquoi, un soutien de « nombreux historiens » qui n’a jamais existé !). Certes, les archivistes délictueux, ostracisés et placardisés auraient apprécié que le soutien des intraitables « journalistes d’investigation » du Canard et d’ailleurs ne soit pas seulement rétrospectif. Mais ils peuvent l’espérer encore : à ce jour, il semblerait que leur hiérarchie ne soit guère disposée à mettre le jugement du tribunal administratif à exécution.
Sonia Combe