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Elections aux Prud’hommes : « cela ne nous intéresse pas » (Les médias unanimes)

par Denis Perais,

C’est dans un quasi silence général que la campagne pour les élections prud’homales s’est déroulée le 3 décembre 2008 partout en France. Elections importantes s’il en est, puisque 18,6 millions de salariés du privé et 518 810 employeurs étaient appelés à désigner leurs conseillers prud’homaux au sein des collèges salariés et employeurs qui seront dorénavant chargés de juger, en premier instance, les conflits portés devant leur juridiction [1]. Elections importantes certes, mais qui n’ont semble-t-il pas beaucoup passionnées les médias. Pas de conflits de personnes, pas de « crépage de chignon », pas de phrases vachardes à se mettre sous la dent... En somme pas « sexy » pour un sou. Résultat : silence médiatique. Sujet suivant.

Une observation, sinon exhaustive, du moins détaillée, tous types de médias confondus, sur la période allant du 3 novembre au 3 décembre 2008, jour du scrutin, permet de mesurer l’étendue du désintérêt pour une question décisive pour les salariés.

 A la télévision

Pas le moindre reportage ou débat spécifique sur le sujet n’a été relevé dans les émissions potentiellement concernées (les magazines d’information). Que ce soit sur France 2 (« A vous de Juger », « Compléments d’enquête », « Mots Croisés », « Envoyé Spécial », « Ils font bouger la France ») ; sur France 3 (« Ce soir ou jamais », « Droit d’inventaire », « Pièces à convictions ») ; sur France 5 (« C’ dans l’air » et « Ripostes ») ; sur M6 (« 66 minutes », « Capital », « Enquête exclusive ») ; ou sur TF1 (« Sept à huit », « Reportages »), aucune émission n’a consacré de sujet aux élections prud’homales.

 A la radio

« Le Grand Rendez-vous Europe 1-Aujourd’hui en France », « Le Grand Jury-RTL-Le Figaro-LCI », « Dimanche soir politique » sur France Inter (en partenariat avec I télé), « Europe Soir » de Marie Drucker et Patrick Cohen sur Europe 1 n’ont pas jugé utile d’organiser des débats spécifiques à ces élections prud’homales, en présence par exemple de représentants des organisations syndicales et patronales. Nicolas Demorand sur France Inter, Jean-Michel Aphatie sur RTL et Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, ont eux aussi maintenu la loi du silence lors de leurs interviews matinales.

Europe 1 rompt bien le silence en invitant François Chérèque, le... lendemain du scrutin (4 décembre) ! Ce jour-là, le secrétaire de la CFDT s’interroge : « Vous avez eu un débat par exemple sur les radios sur les élections ? Il y a dix-huit millions d’électeurs, on n’en a pas parlé.  » Michel Grossiord, qui remplace Jean-Pierre Elkbbach, ne se démonte pas et nie l’évidence : « Sur Europe, beaucoup » (sic).

Dans ce concert silencieux d’avant scrutin, une exception est à mettre à « l’actif » de France Inter : « Le téléphone sonne » a consacré une émission aux élections prud’homales en s’interrogeant : « pour quoi faire et avec quels enjeux ? » [2]. C’était le... 2 décembre, veille du scrutin.

A part cela, aucune émission spéciale n’est organisée par les trois stations pour palier cette carence manifeste d’information. Silence radio.

 Dans la presse quotidienne nationale

Le 2 décembre, Michel Noblecourt découvre lui aussi dans Le Monde «  une campagne électorale quasi invisible ». Une invisibilité à laquelle son quotidien a largement participé puisque seulement six articles, dont deux dans Le Monde Economie, ont été consacrés au sujet, dont cinq les... 2 et 3 décembre ! Circonstance aggravante : le 19 novembre, Le Monde interroge François Chérèque, et sur les treize questions posées, aucune ne porte sur les enjeux du scrutin.

Le 4 décembre, Libération titre sur son site Internet : « Le flop des prud’hommes », article dans lequel François Wenz-Dumas exprime son inquiétude : « Le problème de fond reste entier : comment dans cinq ans organiser l’élection des conseillers prud’homaux pour qu’elle ne soit plus ce déni de démocratie qu’est un scrutin où seul un électeur sur quatre va voter ».

Ce cri du cœur laisse quelque peu rêveur quand on observe la place accordée par le quotidien à ces élections prud’homales avant le scrutin : le jour du vote, un dossier comprenant cinq petits articles relatant l’expérience de cinq salariés, complété par un autre sur les risques pesant sur le taux de participation et par une tribune de Tiennot Grumbach [3], et la veille, un portrait d’un ancien conseiller prud’homal CFDT, Pierre Mercier. Indubitablement, un vrai « flop ». [4]

 Dans les hebdomadaires

La presse hebdomadaire s’est livrée un combat acharné pour savoir qui en parlerait le... moins. Résultat : un article pour Le Nouvel Observateur et Challenges (chacun le 27 novembre), deux articles pour L’Express (27 novembre), et… aucun article dans Le Point.

Le 4 décembre 2008, dans une interview au site Internet challenges.fr, Martine Gilson, journaliste au Nouvel Observateur, ne mégotait pourtant pas ses critiques… à l’égard des syndicats coupables à ses yeux du taux d’abstention particulièrement élevé : « Ils n’ont pas su faire connaître ces institutions prud’homales ». Peut-être… Mais les médias les ont-ils vraiment aidé dans cette tâche difficile ? Il n’empêche : Dominique Perrin titre lui son article du 3 décembre sur le site Internet de Challenges : «  Qui s’intéresse au grand test syndical ? » Visiblement pas Challenges....

 Sur les sites Internet

Enfin, la tendance semble à peu près la même sur les sites d’information généraliste. Sur celui de Rue89, trois articles ont été consacrés au sujet, les 11, 27 et 30 novembre, et trois également sur Bakchich (un article le 1er décembre et deux articles le 3 décembre).

Le 5 décembre 2008, l’éditorial du Monde constate avec désinvolture la nouvelle faillite informative - donc démocratique – à laquelle les médias se sont livrés à l’occasion des élections aux prud’hommes : «  L’absence de campagne de sensibilisation, hormis quelques spots dans l’audiovisuel public, n’a pu que renforcer l’abstention. » Une manière de confirmer que la densité et le pluralisme de l’information sur cette campagne pour les élections prud’homales ont été à l’image de la couverture qui lui a été accordée : inexistants ou presque [5].

Alors que se multiplient les « Appels » émanant des médias eux-mêmes - Mediapart (associés avec « Reporters sans frontières), Marianne et Le Nouvel Observateur [6], est-il inconvenant d’opposer à nos chères éminences médiatiques que leur attachement proclamé à la qualité, la pluralité et l’indépendance de l’information serait plus crédible (et moins mondain), si elles ne sacrifiaient pas le journalisme social ?

Denis Perais

 
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Notes

[1Un rôle particulièrement important, qui concerne des milliers de dossiers par an, puisqu’il leur revient de dire le droit, en faisant application des textes régissant le droit du travail et de la jurisprudence qui en découle.

[2Les invités étaient Sylvie Goldgrab, Conseiller Prud’hommes Employeurs, avocate, spécialiste du droit du travail, Jamila Mansour, Juriste, Présidente du Conseil de Prud’hommes de Bobigny issue du Collège salariés, Emmanuel Dockès, Professeur de droit du travail à l’Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, qui a publié « Le droit du travail » aux Editions Dalloz.

[3Avocat honoraire, ancien directeur de l’Institut des sciences sociales et du travail (ISST, Paris-I).

[4Plus difficile à observer, la presse quotidienne régionale semble avoir reproduit le schéma de la PQN. Par exemple, le seul quotidien de la région Haute-Normandie, Paris Normandie, propriété du Groupe Hersant Média, est à l’unisson de ses confrères : « Les prud’homales ne passionnent pas  » (le 3 décembre). En effet, le quotidien consacre en tout et pour tout un article, le jour du vote (En étant gentil, on peut y ajouter un second, une interview du Secrétaire Général de la CGT, Bernard Thibault, qui répond le 14 novembre à... une question relative au sujet sur les sept posées).

[5Si l’on excepte, par exemple, un quotidien comme L’Humanité (et L’Humanité hebdo). Précision ajoutée le 19 décembre.

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