Ayant annoncé en début de semaine qu’il tiendrait une conférence presse ce mercredi 22 février, François Bayrou avait suscité depuis lors une attente insoutenable, notamment dans le microcosme médiatique : serait-il, ou non, candidat à la présidentielle 2017 ?
Comme souvent en pareil cas et faute d’informations, il fallut meubler, combler du vide avec du rien et naviguer à vue entre improbables conjectures et « quasi-certitudes ». Le Figaro ne fut pas le dernier à confondre vitesse et précipitation, ou plutôt rumeur et information. Après tout, est-il réellement besoin d’avoir des informations pour faire de l’information ?
Le journal, visiblement mal renseigné, affirma d’abord qu’« en se déclarant candidat à la présidentielle 2017, après plusieurs semaines de "forte réflexion intérieure", selon son entourage, François Bayrou devrait insister, cette semaine, sur la "gravité" de la situation politique du pays. »
Trois jours plus tard, l’amnésie journalistique aidant, et sans présenter la moindre excuse, Le Figaro entérinait tranquillement « la fin des aventures présidentielles de François Bayrou ».
Ce qui donne, en images, la séquence suivante.
Le lundi 20 février :
Le mercredi 22 février au matin :
Le mercredi 22 février dans l’après-midi :
Certains n’y verront qu’un dérapage médiatique de plus [1]. Mais la récurrence même de ce genre d’incidents journalistiques nous rappelle combien la chasse au scoop et au « buzz » nuisent à l’information. Elle révèle surtout à quel point cette désinformation à répétition est caractéristique du fonctionnement ordinaire des grands médias.
En effet, pourquoi faire ce genre d’annonces hasardeuses sinon pour espérer devancer la concurrence et engranger ainsi quelques lecteurs ou annonceurs supplémentaires ? Comme nous le soulignions à l’occasion d’un retour sur un cas fameux de désinformation, « l’intensification de la concurrence entre médias crée une situation permanente d’urgence qui pousse chaque média à essayer d’être sans cesse plus rapide que les autres. Si le désir d’être "le premier" à publier une information est depuis longtemps un challenge qui fait partie de la concurrence entre médias, cet indicatif est devenu désormais un impératif. »
Car c’est bien là l’unique raison d’être de ce journalisme d’anticipation (erronée) : générer du clic et/ou de l’audimat, quitte à prendre quelques libertés avec les faits, comme nous l’ont rappelé plus récemment les « affaires » de l’enseignant d’Aubervilliers prétendument agressé par Daech ou de la mosquée presque perquisitionnée à Argenteuil. Preuves, s’il en fallait, que journalisme et art divinatoire font rarement bon ménage.
Si de telles bavures médiatiques donnent généralement lieu à des rétropédalages pas forcément discrets, Le Figaro a, pour sa part, choisi l’amnésie en noyant la fausse nouvelle au plus vite par un luxe d’articles se rapportant au sujet maltraité. Dès lors, nul besoin de revenir sur une annonce prématurée puisque la routine de l’information a déjà repris son cours. Ce sont ainsi pas moins de cinq articles qui ont suivi la conférence de presse du candidat qui ne l’était finalement pas :
Par acquit de conscience, nous avons voulu vérifier, via le fameux Decodex du Monde [2], que ce genre de pratiques journalistiques fâcheuses au sein du journal de Serge Dassault était sujet à caution. Et ô surprise, voici le résultat :
Nous voilà rassurés. Les journalistes du Figaro sans doute aussi.
Thibault Roques