Comme à chaque mouvement de grève des cheminots, les rédactions des grands médias, et en particulier des journaux télévisés, ont multiplié les « reportages » auprès d’usagers mécontents sur les quais des gares à travers le pays. Ces nombreux sujets permettent de répondre aux deux questions qui taraudent un nombre important de téléspectateurs, et sans doute même une majorité de Français : est-il plus difficile de circuler en train lorsque les trains ne roulent pas, ou moins ? Et les personnes qui rencontrent ces difficultés à circuler sont-elles plutôt de bonne humeur, ou pas tellement ?
Passés les premiers jours de grèves, ces difficiles questions semblent avoir trouvé des réponses, et les grandes rédactions, comme celle de France 2, Europe 1 ou de CNews, envoient donc des journalistes réaliser de nouveaux reportages afin de répondre aux autres questions importantes du moment. Et puisque ces questions ne peuvent trouver de réponses sur les quais de gares, c’est sur Twitter que ces journalistes lancent des appels à témoins, révélant au passage les interrogations qui bouleversent ces rédactions. À CNews : comment organiser des vacances en temps de grève SNCF ? À Europe 1 : comment élever ses enfants ou petits-enfants en temps de grève SNCF ? Et à France 2 : une grève SNCF peut-elle briser des couples ?
Lorsque le contenu d’un sujet est à ce point déterminé à l’avance, mérite-t-il encore le nom de reportage ? Lorsqu’il s’agit d’interroger des personnes « castées » selon des critères aussi précis, est-il encore question de journalisme ? Quoi qu’il en soit, ces pratiques déplorables ne sont pas tellement surprenantes, puisque les chefferies éditoriales qui dictent les contenus de ces « reportages » ont déjà fait savoir quelles étaient les questions qui les obsèdent (voir notre série d’articles sur le sujet) et celles qu’elles ne se posent jamais – et qui sont toujours les mêmes : contenu de la réforme combattue, motifs de la grève, contre-propositions de réformes portées par les organisations syndicales, etc.
Martin Coutellier
PS : Nous avons choisi d’anonymiser les citations, dans la mesure où notre critique porte sur des pratiques journalistiques, et non sur des personnes.
PS2 : Lesdites pratiques ont également cours au Monde ou à la Voix du Nord, comme en témoignent les appels à témoignages ci-dessous, qui nous ont été signalés par des adhérents.