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Histoire de l’asphyxie de l’audiovisuel public : « la honte »… pour qui ?

par Benjamin Lagues,

« L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, c’est une honte en termes de gouvernance, c’est une honte en ce que j’ai pu voir ces dernières semaines de l’attitude des dirigeants. » C’est en ces termes que le Président de la République, Emmanuel Macron, présentait l’audiovisuel public devant les députés de la commission des Affaires culturelles le 5 décembre dernier, d’après Télérama. Mais une « honte » pour qui ? Afin de comprendre la lente asphyxie de l’audiovisuel public, nous avons tenu à faire un peu d’histoire, avant de revenir dans un prochain article sur l’inquiétante situation actuelle à France Télévisions dans une interview avec un syndicaliste à France 3 et membre d’Acrimed.

Les raisons de la critique d’Emmanuel Macron ? Toujours d’après Télérama, ce dernier a déclaré que l’audiovisuel public est « très cher », souffre d’« une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique existe ; [d’une] synergie quasi inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques [et d’une] une production de contenus de qualité variable ». Par ailleurs, Emmanuel Macron a aussi dénoncé un système « complètement incestueux » qui profite à des entreprises « abonnées à la commande publique ». D’autres critiques ont été émises par le Président de la République sur les évolutions technologiques et les programmes, que l’on peut lire dans le même article de l’hebdomadaire.


Qui doit avoir honte ?

Certains de ces reproches peuvent s’entendre et doivent être débattus. Acrimed n’a d’ailleurs jamais compté ses critiques à l’égard de la télévision et de la radio publiques, notamment sur certains de leurs programmes.

Mais avant d’en venir aux propositions, il est nécessaire de revenir sur certaines responsabilités… politiques. Car qui, sinon les gouvernements successifs, dont celui d’Édouard Philippe, ont dépecé consciencieusement l’audiovisuel public ? Qui, sinon les gouvernements successifs, accompagnés des directions de l’audiovisuel public (aujourd’hui représentées par Mathieu Gallet à Radio France, Delphine Ernotte à France Télévisions, entre autres), ont sabordé le service public en appliquant des coupes budgétaires année après année et en imposant un « management prétendant faire mieux avec moins » ? Qui a décidé de la suppression partielle de la publicité sur France Télévisions, la privant d’importantes ressources financières sans combler cette perte de moyens ?

Pour comprendre la lente asphyxie de l’audiovisuel public, il faut en effet remonter le fil de toutes les réformes gouvernementales ayant lentement organisé son délabrement, ce que notre association s’est attachée à faire :

 de 1997 à 2007 ;

 sous le règne de Sarkozy ;

 sous celui de François Hollande ;

 et désormais sous celui d’Emmanuel Macron.

Si l’audiovisuel public est une « honte », cette supposée calamité a donc ses responsables. Au rang desquels Emmanuel Macron, qui, prolongeant l’œuvre de ses prédécesseurs, impose à présent une baisse de budget de 50 millions d’euros à France Télévisions dès 2018, entre autres mesures mortifères, comme nous l’écrivions il y a quelques semaines :

Si elles ne sont guère surprenantes, ces « pistes » de réforme n’en seraient pas moins destructrices dans un groupe déjà budgétairement supplicié depuis des années : leur logique strictement comptable et largement idéologique – il s’agit avant tout de réduire le périmètre de l’intervention publique pour laisser libre cours aux forces et aux intérêts du marché –, élude toute considération sur les missions dévolues à l’audiovisuel public.

Une stratégie du démantèlement, consistant à détruire patiemment [1], pour ensuite crier au scandale en clamant que rien ne fonctionne. Une stratégie inéluctable, étant donné les contraintes financières ? Certainement pas ! Il existe en effet des alternatives. Dont celles que défend Acrimed.


Pour un audiovisuel public démocratique et débarrassé de l’obsession gestionnaire

Comment le secteur public médiatique peut devenir un service public ? Notre association propose plusieurs séries d’évolutions.

D’abord, doter l’audiovisuel public d’un financement pérenne et suffisamment solide pour qu’un vrai service public digne de ce nom puisse exister. Cet objectif passe par plusieurs évolutions, dont :

 inscrire dans la constitution l’existence et le financement de l’audiovisuel public avec un budget pluriannuel ;
 élargir l’assiette de la redevance à tous les foyers quels que soient les modes de réception ou mettre en place une taxe forfaitaire universelle ;
 préparer la suppression totale de la publicité en mettant en œuvre un financement de substitution.

Ainsi que d’autres propositions, qu’on trouvera détaillées dans notre article « Pour une refondation de l’audiovisuel public ».

Ensuite, permettre le développement de l’audiovisuel public de manière à permettre qu’il devienne un vrai service public. Pour ce faire, nous suggérons de :
 développer des projets de grandes chaînes régionales de plein exercice en métropole et dans les outremers ;
 développer une offre nationale nouvelle avec une chaîne pour enfants sans publicité ;
 faire de France Télévisions (ou de la future grande société de l’audiovisuel public) un acteur majeur du numérique avec un investissement spécifique lui permettant, par exemple, de développer une plate-forme de vidéos à la demande par abonnement (SVOD) [2].

Enfin, une vraie réforme par le haut de l’audiovisuel public appelle des changements profonds dans son pilotage. Ces changements doivent être guidés par un idéal démocratique, ce qui nécessite de :
 soumettre la désignation des PDG de l’audiovisuel public à leur élection par un Conseil national des médias démocratique ;
 refonder la composition du Conseil d’administration de France Télévisions, notamment en renforçant notablement la représentation des salariés et en l’ouvrant au monde associatif.


***


Ces propositions, sans doute incomplètes et discutables, ont au moins le mérite de sortir l’audiovisuel public de l’obsession gestionnaire dans laquelle les gouvernements l’ont enfermé. En l’état, le secteur public médiatique n’a en effet aucune chance de devenir un vrai service public tant le rabotage budgétaire, manifestement considéré comme le nec plus ultra du petit soldat réformiste, fossilise son sous-financement. Cette politique, imposée par des gouvernements qui n’ont aucun projet autre que gestionnaire, appliquée par de petits zélotes qui n’en ont pas plus (aujourd’hui, Delphine Ernotte pour France Télévisions), tue à petit feu l’audiovisuel public. Pourtant, un vrai service public de l’information et de la culture, correctement financé et démocratiquement piloté, n’est pas une option. C’est un impératif démocratique.


Benjamin Lagues

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Cette stratégie est à l’œuvre dans l’ensemble des services publics.

[2Un projet qu’appelle de ses vœux Delphine Ernotte, mais dont on peut douter qu’il soit réalisable tant les moyens financiers ne suivent pas...

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