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L’actualité des médias n°27 (20 mai au 4 juin 04)

par William Salama,

Lire aussi : L’actualité des médias n°26 et les éditions précédentes.

I. Audiovisuel

 CII. Le début du rayonnement de la France est prévu en juillet 2005, depuis une grille de programmation calquée sur LCI (France-Soir, 23 mai). Mais pour l’instant, cuisinés par Bruxelles, les parrains de la chaîne d’information à la française attendent le feu vert de la Commission, pour assécher de 70 millions d’euros le contribuable français et « concrétiser » ce projet attribué à TF1 et à France 2 (Le Figaro Economie, 27 mai).

  Le « paquet télécoms ». Le « paquet télécoms » est entériné, dans le « consensus » (La Tribune, 2 juin), malgré quelques retouches cosmétiques de nos sénateurs. Ainsi, la convergence entre audiovisuel et télécoms, dans une joyeuse dérégulation, a désormais force de loi. Dans ce paquet cadeau, on trouve notamment la nouvelle loi anticoncentration qui permet à une chaîne nationale de prendre 33 % d’une chaîne locale, et un calendrier fixé pour la TNT.

 TNT. Adieu à la suprématie de la Tour Eiffel : du côté diffusion, Towercast, filiale de NRJ, attend avec impatience le calendrier de lancement de la TNT. Il lui reviendrait 11 sites pour diffuser les chaînes. Une autre société privée en aurait 5... et TDF, la pauvre, « le solde  » (Les Echos, 3 juin). Un calendrier certes, mais pas encore arrêté par le CSA, bien tourmenté. M6 a d’ailleurs rejoint sa rivale TF1 dans son lobbying pour le retarder afin d’attendre la télé haute définition (AFP, 3 juin).

 Thématiques. Dans leur objectif d’amélioration de leur offre (un double produit d’appel pour les clients et les annonceurs), TF1 et AB recueilleraient les chaînes bientôt orphelines du groupe Pathé (TMC, Comédie, Voyage et Cuisine TV) qui ne lui rapportent rien. Le groupe de Murdoch serait d’ailleurs intéressé par Voyage pour sa chaîne Discovery (Stratégies Newsletter, 1 juin).

 Equipe TV. Alors que le quotidien du groupe Amaury, L’Equipe, a repris des couleurs (13 % des ventes supplémentaires de janvier à mai 2004, grâce à un « traitement de choc marketing  » - CB News, 2 juin), sa chaîne - L’Equipe TV - est moins en forme : 16 suppressions de postes sont prévues. Son personnel s’en est ému auprès de Philippe Amaury, président, pour demander son « arbitrage » (ce qui semble indiqué pour une chaîne de sport) et avant de se mettre en grève 24 heures, le 26 mai (Le Monde, 24 mai).

 Chaînes préférées. Avis aux annonceurs : « les chaînes [sont] toujours prisonnières de la ménagère de moins de 50 ans » annonce CB News (24 mai) sur la foi d’un sondage auprès de la gent, qui dit toutefois préférer M6. Voilà qui va faire plaisir à la chaîne de Nicolas de Tavernost, car aucune autre (préférence) n’arrive en seconde position - et TF1 est troisième.

  Intermittence et précarité dans le service public. Le syndicat SNJ-CGT du service public a demandé le 26 mai dernier dans une lettre publique à la Direction du Développement des Médias (DDM) d’intervenir auprès des directions de Radio France et de RFI pour l’ouverture de négociations, en vue de « requalifier en CDI les journalistes employés abusivement en CDD ou piges, voire au cachet ».

II. Presse écrite

 Les effets des quinzomadaires TV. Les quinzomadaires TV font des ravages.

- D’abord pour les kiosquiers. Un courrier d’un kiosquier parisien prend l’exemple d’un quinzomadaire : « Je verse 1095 euros de loyer mensuel (...) il faut y ajouter 150 à 200 d’électricité. Ce Monsieur (éditeur du quinzomadaire) m’oblige à vendre son magazine sur lequel je ne gagne presque rien. De son côté, il entend bien se servir de mon commerce et du système coopératif des NMPP (...) gratuitement sans participer aux frais. Et sans me reverser une partie de ses recettes publicitaires ! (...) Je rappelle que les kiosquiers sont ne sont payés que sur le prix facial tandis que certains éditeurs se ‘‘goinfrent’’ avec la publicité » (Stratégies, 20 mai).

- Mais aussi chez les concurrents. Panique : le groupe Emap France a perdu 15 à 20 % de client(e)s sur ses titres phares (Télé Star et Télé Poche) à cause du Télé 2 Semaines de Prisma Presse (Prisma-Bertelsmann). Riposte : 9 millions d’euros pour les relancer et baisse de 8 % de ses tarifs publicitaires (Les Echos, 26 mai). Emap international affiche cependant de « bons résultats annuels » : c’est ce que retient en titre dans sa brève Le Figaro Economie (26 mai).

 Dépréciation (1) : les DVD. Stratégies (3 juin) met les DVD, les lancements à bas prix et les gratuits dans le même panier pour s’alarmer de ce que la presse est dans « la spirale du low cost », avec pour effet, selon le sociologue Gérard Mermet (en opération séduction, voir ci-après), « la logique de dépréciation  ». Mais ce ne sont pas seulement les kiosquiers qui sont mécontents des DVD qui alourdissent leurs étals mais également le monde du cinéma et des lettres (la SACD, notamment) qui y voient aussi une dévalorisation [1]. Parmi les pollueurs ou dépréciateurs, comptons Le Monde. Le “journal de référence’’ a enregistré une hausse de plus de 100 000 exemplaires (à 5 euros) grâce au DVD qu’il propose depuis le 15 mai - soit 41% du volume (Stratégies Newsletter, 28 mai).

 Dépréciation (2) : les « Gratuits ». Du robinet à dépêches au robinet d’eau tiède ? Cornaqué par le sociologue Gérard Mermet, le quotidien gratuit Métro a décidé de se positionner comme un média utile et citoyen. Il a au moins le mérite d’afficher cette prétention (contrairement à son concurrent 20 Minutes), ce qui nous laissera toute latitude de juger sur pièce. Cela se complique quand il envisage la future ligne éditoriale comme « neutre », selon lui, « gage de crédibilité » mais « engagé sociologiquement (...) pas idéologiquement  ». Une « quête de sens  » prise de haut par Les Echos du 26 mai (la « quête de sens  » avait déjà fait long feu quand elle était revendiquée par TF1, désormais partenaire de 20 Minutes).

 Dassault. Pour lui accorder le droit au rachat de l’armada de titres de la Socpresse, Bruxelles exigerait de Dassault qu’il mette en vente La Vie Financière, l’un des hebdomadaires du Groupe Expresss-Expansion, filiale à 100 % de la Socpresse (La Tribune, 28 mai). Car sinon, Dassault, propriétaire via le groupe Valmonde (Valeurs actuelles...) du Journal des finances, se retrouverait dominant dans les investissements publicitaires du " segment " presse financière. Les autres " segments " sont certainement moins apparents aux yeux de la Commission.

 Activisme de TF1. En bonne et juteuse filiale, TF1 Entreprises s’en va « décliner » en version papier deux des émissions de sa mère de chaîne : Téléfoot et Ushuaïa (Les Echos, 27 mai).

 Procès Le Monde/Fayard (Péan-Cohen). A lire dans Capital, de juin : « un médiateur pour éviter un procès à scandale » qui se révélerait « contre-productif  » pour le quotidien à « l’image déjà écornée » (lire Le Monde vs Péan-Cohen : une médiation ? dans notre rubrique rubrique 226).

  Le Monde s’apprête à licencier. Information relayée par L’Humanité (1er juin) (lien périmé) : le groupe Le Monde discute actuellement avec les syndicats de son imprimerie un projet de suppression de 130 postes sur 350.

 Presse de genre. « Masculins : un air de famille » (CB News, 25 mai). A lire, sans obligation, pour les « repères » (lectorat, cibles et les 40 millions d’euros d’investissements publicitaires). Dossier sur la presse sportive, dans CB News du 1er juin.

  L’Express du lundi fait flop. « Déception », titre Stratégies (20 mai) : l’hebdomadaire qui pensait se relancer en sortant le lundi enregistre une baisse de ses ventes en kiosque (11 % par rapport à 2003), quand ses concurrents progressent. Cependant, Marianne lui laisse la place (il envisage de sortir le samedi à la rentrée).

III. Edition

 Wendel. En discussions exclusives avec Lagardère, le fonds d’investissements du Baron Seillière achète Editis après une représentation médiatique et procédurière, qui s’est égrenée au jour le jour dans les journaux jusqu’à la confirmation éclatante [2]. Qu’en disent-ils désormais ?

Le Canard Enchaîné (26 mai) est direct : Wendel est « celui qui a présenté l’offre la plus haute ». Ce qui ne l’empêche nullement de rappeler l’ardoise pour notre industrie culturelle : « Résumons : un bétonneur propriétaire de la première télévision de France (TF1), deux marchands de canons (Dassault et Lagardère-Hachette) qui se partagent le plus gros morceaux de la presse quotidienne et hebdomadaire tricolore, un maître des forges devient (derrière le même Lagardère-Hachette) deuxième éditeur du pays ».

Faut-il entériner cet état de fait ? A lire certains commentaires, la résignation, plus ou moins outragée l’emporte sur la protestation. Télérama (26 mai) dit la même chose que Le Canard, réalité oblige, mais ne trouve « aucun procès d’intention dans ce constat » (sic). Le Nouvel Observateur rapporte les propos d’un « rival » : « Wendel Investissement a bénéficié d’un accès privilégié au dossier » (27 mai). Ah bon ? Et alors ?

Le pompon revient aux Echos (26 mai) qui, sous le titre « Wendel ou le retour du capitalisme relationnel », célèbrent doctement un renouveau des bonnes vieilles mœurs.

Extraits obligatoires :

« Qu’entend-on par capitalisme relationnel ? D’une part, la mise à profit d’un réseau de relations, d’administrateurs, de banquiers, d’entrepreneurs pour déceler les bons investissements, les faire aboutir et organiser leur financement (...) D’autre part, le capitalisme relationnel, cela consiste, dans la bonne marche quotidienne des affaires, à accorder plus d’importance aux relations entre les dirigeants qu’aux évolutions des cours de Bourse, aux liens de confiance qu’aux tableaux de comptes trimestriels ».

Bref, il « convient simplement mieux dans les périodes où les capitaux se raréfient, où les frontières ont tendance à se refermer et où l’on reparle de champions nationaux ». Et « Bien sûr le capitalisme relationnel a aussi ses côtés obscurs, lorsque les petits arrangements entre amis l’emportent sur le jeu des affaires, et finalement sur l’intérêt des actionnaires. Mais les Wendel ont pour avantage de pouvoir présenter un « track record » de trois siècles à faire pâlir d’envie plus d’un investisseur financier. Et leur principal mérite, au cours de ces trois cents ans de prospérité, c’est d’avoir toujours su anticiper les évolutions du système capitaliste tout en restant fidèle à leur éthique d’investisseur.  ».

Dans cette analyse, Les Echos omettent de rappeler (ce que fait La Tribune, le 3 juin) que la BNP, qui prête 400 millions à Wendel est, ô hasard, conseillère de Lagardère.

Notons, pour terminer, que Les Echos n’en finissent plus d’applaudir, remettant le couvert, le 1er juin, dans un édito qui se pâme du « triple exploit » de Wendel : « il s’impose au nez et à la barbe de la fine fleur de l’édition et de la finance (..) il paie un prix raisonnable (...) se place en positionnant de talonner un Lagardère qui ne dominera plus autant qu’il l’espérait ».

Et en effet, Wendel et Lagardère, à peine le marché conclu, se bouffent déjà entre eux à coup de déclarations. Grossir est le credo du nouveau né Wendel Investissement qui affiche des ambitions d’expansion pour Editis. Il « sera à l’affût (sic) sur le marché francophone  » (Les Echos, 2 juin). Avec un milliard dans sa besace, on peut être rassuré. Aux dires du président de son directoire (Alain Kouck ou bien de Seillière dans Paris-Match du 3 juin), ils ne s’occuperont pas de ligne éditoriale mais d’argent.

Ce qui n’est pas tant rassurant, car « l’indépendance éditoriale  » est un leurre et la censure n’est pas directe mais un larvée : dans l’optique du profit (« 20 % de rentabilité » imposés), en effet, les collections d’Editis ne vendront que ce qui plaît au consommateur. Si Bové plaît toujours, Bové sera encore édité... Soit, en fait, le renforcement de la règle d’usage dans le paysage éditorial français, une inversion de la ligne éditoriale, non plus impulsée par l’offre (les choix des directeurs d’édition) mais suggérée par la demande (le marketing).

 Wendel Investissements. Vrai ou faux, cet ‘‘indiscret’’ de L’Express (24 mai) ? L’Elysée craint que l’opération de vente d’Editis à Seillière remonte « les syndicats d’enseignants  ». A savoir que la vente de l’édition scolaire au patron du Medef ne « crispe le climat social  ». Pour les autres craintes sur l’édition française ignorées par l’Elysée, lire nos éditions précédentes ou bien la suite.

 Seillière parle... Le nouveau patron de l’édition française est interviewé dans Paris Match (3 juin). Sur Bové qu’il édite : « franchement cela m’amuse. [Grand rire] (sic). Je trouve cela complètement normal, ..., la règle du jeu c’est d’accepter les extrêmes ». Et sur l’altermondialisme : « il faut bien qu’ils manifestent leur désarroi ou leur opposition. Ils le font en disant : un autre monde est possible. C’est une formule romantique mais malheureusement vide.  »

 Pression et censure par la publicité. Le Canard Enchaîné (26 mai) met en lumière le sort d’un livre - Louis Vuitton, une saga française », Fayard -d’abord « ardemment souhaité » par LVMH, mais vite voué aux gémonies par Bernard Arnault, son Pdg, dès sa sortie en mars dernier. Retraçant, comme son titre l’indique, la saga Vuitton, l’ouvrage, logiquement, consacre 80 pages au passé vichyste du maroquinier de luxe. Le Canard relate et constate que ce travail sur l’entreprise - « troisième budget publicitaire de la presse écrite de la presse écrite et son patron, Bernard Arnault, propriétaire de La Tribune » - a fait un flop médiatique. Les détails fournis laissent à penser que ce flop n’est pas fortuit.

IV. Et pour finir...

 Chers patrons. Dans le classement des plus grandes fortunes de France de Capital (ça ne s’invente pas), numéro de juin, Bernard Arnault est second, avec un patrimoine de 14,41 milliards d’euros ; troisième : Serge Dassault avec 10 milliards... ; et douzièmes les Bouygues avec 1,45. Honte à Lagardère et autres Amaury, ils ne font pas partie des 30 premiers (le ticket d’entrée est à 840 millions).

  L’Express . Numéro particulièrement aux petits oignons pour l’extrême-gauche, ce 22 mai : un article sur « Besancenot : populaire pour quoi faire ? » et un autre sur la « grille idéologique » des « Inrocks » dont « les coups suscitent curiosité et malaise » car il « surfe sur la vague anti-raffarin, au risque d’en faire trop (sic) », une allusion répétée cependant dans le journal de Dassault sur l’homosexualité de Donnedieu de Vabres révélée par le « magazine musical ». Plus loin, un appel à la mise en place d’un contexte favorable à la précarisation du travail (que préconise Etchegoyen ‘‘philosophe’’ et Commissaire au Plan) dans « vive les petits boulots ! » (re-sic).



 Méfaits de l’industrie culturelle.
« Désormais, c’est le consommateur qui est standardisé dans ses comportements par le formatage et la fabrication artificielle de ses désirs » : citation extraite de l’analyse du philosophe Bernard Stiegler qui dénoue les manœuvres sournoises et liberticides du capitalisme hyperindustriel, contraires à ses intentions affichées - « Le désir asphyxié, ou comment, l’industrie culturelle détruit l’individu » (Le Monde Diplomatique, juin 2004). A lire aussi : Dans la même veine, « Les jeux vidéo : reflet de notre société ? » (L’Humanité, 3 juin) ; « Les jeux vidéo : la nouvelle pop culture » et « Des jeux plus réalistes que les informations télévisés » (Courrier International, 3 juin).

 Cavada en campagne. Plan média aux petits oignons pour Jean-Marie Cavada, tête de liste apparentée UDF dans le Sud-Ouest : Le Point et Le Nouvel Observateur (27 mai) proposent un reportage sur la campagne de l’ancien Pdg de Radio France. Libération a attendu une semaine (3 juin). Cavada reprend le journaliste du Point en disant qu’il entre « dans la vie publique » et non pas « en politique  » (car Radio France n’est pas une radio publique et les élections européennes ne sont pas de la politique - ndlr). Et il s’y voit déjà (« 7 à 8 % devrait lui suffire »).

 
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Notes

[1Lire « Pour parer aux DVD bradés, les auteurs s’inspirent de l’édition », « Le DVD de cinéma devient-il un gadget ? » La Croix, 22 mai.

[2« Lagardère prolonge ses négociations exclusives avec Wendel Investissement » dans Les Echos, Le Figaro Economie, La Tribune, Libération, le 27 mai, et « Une dizaine de points restent à négocier entre Lagardère et Wendel » (Les Echos, 26 mai) et le 28, « l’officialisation ».

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