Accueil > Critiques > (...) > Après le départ de Laure Adler (2005-2010)

Laure Adler programme Laure Adler, se célèbre et célèbre son successeur

Laure Adler quitte la direction de France Culture et s’approprie l’une des émissions les plus prestigieuses. Laure Adler quitte la direction de France Culture, célèbre son passé et ceux qui, de tous bords, lui ont déroulé les tapis nécessaires. Elle abandonne cette direction à David Kessler et nous offre à cette occasion un bel exercice de flagornerie mondaine.

Reprenons...

Acte I : Auto-programmation

Avant de quitter la direction de France Culture, Laure Adler a signé la grille des programmes jusqu’en juillet 2006, alors que son successeur est connu depuis des mois. Une grille qui propose très peu de changements, excepté pour une émission, la plus prestigieuse et celle ouvrant droit au plus haut taux de rémunération en droits d’auteur : « À voix nue ».

Cette émission quotidienne était destinée à une interview en profondeur d’une personnalité intellectuelle, artistique ou politique particulièrement marquante. Une telle exigence supposait que l’émission ne soit pas exclusivement confiée à un seul producteur, mais au contraire que, pour chaque émission, soit choisi un producteur ou une productrice particulièrement compétent sur la vie et/ou l’œuvre de l’invité. Cette règle permettait, de surcroît, d’échapper au cercle des affinités que chacun est tenté de former autour de soi, de diversifier les invitations et d’en réserver quelques-unes à des personnalités peu présentes dans les médias. C’est cette émission que Laure Adler a décidé de s’offrir en remerciement des services rendus à France Culture. Lire à ce propos la réaction du SNRT-CGT : « OPA de Laure Adler sur les chaînes de Radio France ».)

Laure Adler, directrice, savait sans sourciller licencier du jour au lendemain des producteurs précaires en leur assurant que c’était « pour mettre fin à leur précarité scandaleuse à France Culture ». Laure Adler, ex-directrice, a su avant de partir assurer ses arrières, quitte à précariser un peu plus les producteurs tournants, une quarantaine chaque année, qui participaient à l’émission « A voix nue » [1]. Ce n’est pas un parachute qu’elle s’est offert, mais une montgolfière !

Mais ne pouvant pas s’inviter elle-même dans ce qui est désormais sa propre émission, il fallait, pour se prêter à l’autocélébration de l’ex-directrice par la productrice auto-désignée, que quelqu’un d’autre se dévoue. Ce fut Marc Voinchet.

Intermède culturel sur le rôle de passe plat

Le mercredi 31 août 2005, « Tout arrive » émission quotidienne de Marc Voinchet de 12h à 13h avait comme invités Laure Adler et David Kessler, directeurs de France Culture. Le lundi précédent, premier jour de rentrée à France Culture, c’est encore lui qui servait la soupe au studio 104 au Président de Radio France, Jean Paul Cluzel qui adore se faire interviewer sur les antennes des radios publiques : Il avait beaucoup apprécié cet exercice lors de la dernière grève où Fogiel et quelques journalistes zélés lui avaient généreusement ouverts les micros !

Devant les personnels de France Culture, Marc Voinchet, avant de rejoindre son émission, a posé au PDG des questions convenues ou faussement provocatrices pour que le PDG puisse dire tout le bien qu’il pensait de son nouveau logo et quelques autres fadaises loin des véritables enjeux de Radio France. L’image avant tout ! Le logo a été présenté par son concepteur qui, pour justifier de son travail (et de son budget public !), n’a rien trouvé de mieux que de dire : « Il ne faut pas se la raconter, un logo c’est toujours un nom dans un carré ou dans un rond ». Effectivement, c’est dans deux carrés que l’on retrouvera le nom des différentes chaînes : ça vaut bien les 70 000 euros minimum qu’aura coûté la seule conception du logo du service public de radio !

Mais revenons à la réception offerte par Marc Voinchet, en l’honneur de Laure Adler et de David Kessler, dans l’émission de Marc Voinchet (« Tout arrive » 12h/ 13h) le mercredi 31 août, juste avant qu’elle ne quitte la direction de France Culture.

Acte II : Congratulations

Morceaux choisis sur un air de tango :

- Marc Voinchet : - C’est une tâche difficile de recevoir ma directrice et directrice de France Culture encore jusqu’à minuit et qui, à partir de minuit je pourrais dire consœur puisque vous redevenez après ces six années de direction de France Culture, productrice à France Culture pour les « À voix nue » qui ont commencé depuis lundi et puis on vous entendra sur France Info et puis chez nos amis du Mouv’ [il faut comprendre dans « amis du Mouv’ » que c’est la chaîne chouchou de la présidence il fallait donc que ça se sache que MV l’aime aussi, et puis c’est la radio jeune et peu coûteuse] mais beaucoup bien sûr et ce qui semble légitime sur France Culture et mon nouveau directeur David Kessler qui prendra ses fonctions à minuit..... »

- Laure Adler : - Au terme de consœur, je préfèrerai le terme d’amie, j’espère que je reste votre amie »

- Marc Voinchet : - Y a pas de problème, évidemment et consœur également ! Comment ça se passe après ces 6 ans, vous dites « Ouf »....

- Laure Adler - Je dis pas ouf, je dis pas mais, je dis pas bilan. J’ai vécu ici six années de bonheur, d’exaltation, de dépassement de nous-mêmes, nous tous dans cette équipe et dans cette communauté d’esprit que représente France Culture. Effectivement, nous avons essayé dans la collégialité de notre équipe de direction et avec vous tous producteurs mais aussi techniciens, chargés de réalisation, tenté d’apporter des réformes et un souffle nouveau à cette chaîne qui est une exception dans le monde. Hélas, France Culture n’a pas de radio concurrente dans le monde et là je dis hélas car la concurrence crée l’émulation, la stimulation et donc France Culture, depuis que j’ai pris mes fonctions, quand Cavada m’a appelé je ne m’attendais pas à ce que je devienne directrice. ... J’ai commencé ma vie professionnelle comme attachée d’émission, d’abord comme secrétaire dans une émission qui s’appelait « Panorama ».

- Marc Voinchet : - Et qui commençait à cette heure justement...

- Laure Adler : J’ai tout appris ici, la solidarité, le travail en équipe, l’apprentissage de soi - même la construction de son identité personnelle mais aussi professionnelle, l’amour du cinéma, l’amour de la lecture parce que j’ai commencé comme secrétaire et puis ensuite très vite il fallait que je fasse des comptes rendus de bouquins tous les jours en deux minutes 30... J’ai tout appris des gens qui sont encore aujourd’hui mes amis et qui travaillent encore ici à France Culture et je crois que c’est formidable de pouvoir lâcher prise, laisser la main, tendre la main exactement comme dans le sport il y a des courses avec des coureurs qui se relayent sur la piste cendrée et bien moi je suis très heureuse que David Kessler ait accepté de prendre le relais d’une chaine qui n’a pas de bilan mais qui est une série de continuités dans la défense du service public et dans l’ouverture à toutes les paroles d’artistes, d’intellectuels, de créateurs de tous bords, de toutes origines et de toutes disciplines. David a 10 ans de moins que moi ; David partage avec moi, et nous nous connaissons depuis très longtemps, l’amour et le respect des artistes, la culture des autres dans tous les sens du terme. Il est normalien, il écoute les gens. Moi, je l’ai rencontré quand il était très jeune, et qu’il arrivait à Antenne 2 au moment où nous faisions tous les deux partie de l’équipe d’ Hervé Bourges et au service public télévisuel, essayer encore d’avoir des forteresses en termes de documentaire et de magazines culturels. Je l’aime, je l’admire, j’ai confiance en lui, il y a déjà des ondes de bienveillance dans cette maison qui d’ailleurs est très, très bienveillante, et je suis ravie de redevenir votre amie parce que le pouvoir ça pèse, non pas pour soi mais dans le regard des autres. Quand vous êtes nommé directeur, ce qui m’est arrivé il y a six ans et bien, les autres vous regardent différemment et moi j’ai eu beaucoup de mal à comprendre pourquoi dans le regard des autres j’étais différente alors que j’avais pas l’impression d’être différente mais même dans votre regard, j’étais différente n’est ce pas ?

- Marc Voinchet : Le « vôtre » est général ?

- Laure Adler : ...Non je parle à vous, Marc Voinchet , à toi.....

[...]

Au terme d’un long passage consacré à David Kessler, Marc Voinchet rappelle que ce dernier a été « conseiller de Lionel Jospin... »

- Laure Adler : ... Que j’ai rencontré à vélo à 14h40 dans le Quartier latin. Il était tout en blanc je me suis dit tiens qu’est-ce que c’est ce beau mec à vélo, je l’ai regardé, c’était Lionel Jospin. Alors je l’ai salué, je lui ai dit « salut Lionel », il s’est arrêté. Il y avait quelqu’un avec une très belle veste rouge derrière qui a dit « merde tu devrais t’arrêter un peu moins vite parce que tu me crée des difficultés », c’était Sylviane Agacinski, comme quoi tout arrive, une nouvelle vie commence, à vélo !

- David Kessler : Je croule sous les éloges de Laure, mais je sais qu’ils sont marqués de la sincérité.....

Au moment de leur dire au revoir, Marc Voinchet enfonce le clou.

- Marc Voinchet : - Je devrais vous dire à ce soir car, 17heures, c’est l’heure d’ « A voix nue ».

Cette épaisse connivence donne la nausée à l’heure du repas. Il est vrai que Laure Adler avait présenté cette émission lors de la présentation de grille en septembre 2003 comme une émission « où le plan de table compte plus que ce que l’on a dans les assiettes » !

Vincent Mutin

 Lire la suite : Laure Adler s’explique sur le « management » de l’émission « À voix nue » (avec une fichier .pdf réunissant les deux articles)

 
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Notes

[1Pour mémoire : lorsque que Laure Adler avait été remerciée par Antenne 2, elle avait fait un procès à la chaine publique pour obtenir les « compensations » auxquelles elle estimait avoir droit...

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