Avec le lancement de ce nouveau programme, le 7 septembre 2009 à 19 h 45, M6 a annoncé son projet de rivaliser avec les « grands » journaux de TF1 et France 2. Malgré des différences considérables de budget – M6 dispose d’un budget d’environ 12 millions d’euros pour assurer deux éditions d’un quart d’heure par jour, comparé aux 70 millions d’euros consacrés à l’information par TF1 et aux quelques 300 millions d’euros de France 2 – la chaîne a de l’ambition : « On peut réussir à fabriquer un JT moderne avec une dizaine de millions d’euros » , estime le directeur de l’information, Jérôme Bureau [1].
Pour réussir ce pari, la chaîne a mis toutes les chances de son côté. Si les horaires anticipent les « grands » JT (début à 19h45 au lieu de 20h), ils permettent surtout d’éviter un autre redoutable concurrent : « Nous rendrons l’antenne autour de 20 h 03, donc avant le démarrage du feuilleton Plus belle la vie de France 3 », précise le directeur de l’information [2].
Afin de tirer son épingle du jeu, M6 souhaite imprimer sa marque personnelle sur le genre. D’après la description proposée sur le site de la chaîne, il s’agit de mettre en avant « une certaine manière de raconter l’actu à travers des histoires personnelles », reposant sur « la force des images, la pédagogie dans le traitement des infos et le rythme d’un journal qui va à l’essentiel ». A vérifier…
Un journal « de proximité »…
A première vue, c’est avant tout sur la forme que le JT de M6 se distingue de ses concurrents. Au début de l’émission, la présentatrice, Claire Barsacq, se tient debout, affichant une déconctraction apparente, et esquisse quelques pas vers les spectateurs, fiches à la main, pour présenter les titres. Derrière elle, un décor virtuel donne sur une rue piétonne lumineuse, bordée d’arbres, où se promènent des passants. « L’exact contre-pied de TF1, qui nous regarde du haut de sa tour grâce à une vue plongeante sur le Périf’ », souligne un journaliste de Télérama sur son blog [3].
La proximité, mais au sens du voisinage, voire du voyeurisme, semble donc être le mot d’ordre. Première conséquence : « notre JT couvrira moins l’international et s’intéressera davantage à la France » explique Jérôme Bureau, « de ce fait, nous serons moins ethnocentrés sur Paris. » [4] De quoi inquiéter Jean-Pierre Pernaut…
Un simple examen des titres du journal du 14 au 18 octobre suffira pour confirmer que le JT de M6 échappe effectivement à la tentation de l’ethnocentrisme… puisque les faits divers franco-français y sont systématiquement mis en avant. En témoignent les « gros titres », dédiés tour à tour à la libération d’un malade mental ayant envoyé des lettres de menaces à des hommes politiques (14 octobre), un prisonnier en cavale (15 et 16 octobre) et à un accident entre deux avions de tourisme s’étant percutés en plein vol (17 octobre).
… pour une information « de proximité »
Mais l’actualité est aussi le prétexte pour raconter des histoires « de proximité ». Dans le premier JT du 7 septembre, en ouverture, on découvre le quotidien de la petite Cécile, élève au lycée d’Arsonval, mise en quarantaine après avoir contracté la grippe A – son quotidien (elle tousse, elle a de la fièvre) et les précautions prises par sa mère (où l’on apprend qu’elle « isole son linge de toilette »). Depuis les premières émissions, le petit reportage à la mode Jean-Pierre Pernaut est une partie intégrante du JT. D’illustres inconnus y défilent, Yazid, John, Charles-Antoine, Carole, au fil de reportages insolites, parfois sans aucune valeur informative. « Il s’agit de retrouver dans les news le ton et l’écriture que M6 a su façonner dans les magazines » explique le directeur de l’information [5].
Autre type d’information-magazine, les séances de conseils de vie pratique se succèdent au fil des JT, inspirées ou non par l’actualité. « L’idée, c’est de pouvoir répondre le plus possible aux questions que les gens se posent », explique la présentatrice vedette Claire Barsacq [6]. Comment se vacciner contre la grippe (7 septembre) ? Quel danger représentent les ondes relais (16 octobre) ? Quels sont les interdictions au volant (17 octobre) ? Faut-il craindre de figurer dans les nouveaux fichiers de la police (18 octobre) ? Alors, les tests ADN suffiront-ils à découvrir l’assassin du petit Gregory (22 octobre) ? Des questions « d’actualité » censées brûler les lèvres des téléspectateurs.
Le spectacle de l’information
Si les faits divers divertissent à moindre frais, il arrive cependant que l’actualité internationale reprenne timidement ses droits. Au milieu du journal, une place de choix lui est attribuée par défaut sous forme de brèves. Les 14, 15 et 16 octobre, les attentats en Afghanistan, la réforme de santé aux Etats-Unis, la faim dans le monde sont expédiés en quelques minutes, avec professionnalisme. Pourtant, certains sujets échappent au catalogue : c’est le cas le 18 octobre, où des émeutes urbaines à Rio de Janeiro font les titres du journal. On y voit des images spectaculaires de guérilla urbaine, un hélicoptère de la police qui s’écrase, des fusillades dans les favelas, ainsi que des policiers blessés sur un fond de commentaires alarmants ; « situation de guerre civile », « les barons de la drogue font la loi ». Sans plus d’explications. Le sujet illustre un traitement de l’actualité internationale sur un mode spectaculaire, avec des images fortes et sensationnelles rachetées semble-t-il à moindre coût. Lors de la campagne de lancement, le directeur de l’information avait d’ailleurs prévenu : « notre priorité sera de donner des explications par l’image. » [7]
L’actualité sociale suit la même loi. Ainsi, les images de tracteurs paradant dans les villes de France à l’occasion de la journée d’action de la FNSEA feront les titres le 16 octobre. Le même jour, les manifestations des retraités ainsi que la journée d’action pour l’égalité homme-femme du 17 octobre, certes moins massives – et sans doute moins télégéniques – seront, elles, expédiées dans les brèves.
Parfois, l’information déserte définitivement l’image, qui est alors livrée à sa seule fonction de divertissement : quelque part en Australie, un landau est tombé sur une voie de train, « une image qui ne manquera pas de vous faire frémir », commente la présentatrice au terme de l’édition du 16 octobre.
« Interactivité »
Outre la proximité et le spectaculaire, la chaîne mise sur « l’interactivité » : « la meilleure manière de sonder [les téléspectateurs], c’est de leur poser directement la question et Internet est pour ça un vecteur formidable », s’enthousiasme la présentatrice vedette du JT [8]. Ces « sondages à valeur non-scientifiques » agrémentent les éditions de questions délicieuses : Avez-vous peur de vous retrouver dans les fichiers de la police (18 octobre) ? Les femmes ont-elles encore des raisons de lutter pour leurs droits (17 octobre) ? On croirait voir l’aboutissement d’un art abstrait du sondage : les résultats sont très rarement accompagnés de commentaires, on sonde pour sonder, par principe, et peu importe d’ailleurs si les résultats n’ont pas de sens.
Le JT de M6 prétend correspondre aux attentes du public : « Nous devons parvenir à faire une adéquation entre ce que nous avons envie de traiter, et ce que les gens ont envie de savoir » explique sérieusement Claire Barsacq [9]. Comme si les attentes n’étaient pas façonnées, ne serait-ce qu’en partie, par l’offre de programme…
Il semble que ce journal pousse jusqu’au bout la logique et les méthodes qui ont façonné les lignes éditoriales des JT depuis une quinzaine d’années. La forme avant le fond. Des images fortes, saisissantes, des histoires belles ou tragiques : il s’agit de rendre l’information sensationnelle. A ce titre, le JT de M6 est représentatif de l’évolution de l’information télévisée, guidée par la mesure de l’audimat, vers une information-spectacle de plus en plus vidée de son contenu et de son sens.
Frédéric Lemaire