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Le Parisien et l’écologie : les tartuffes sont de retour

par Thibault Roques,

À l’approche de la conférence des Nations Unies sur le climat qui se tiendra dans quelques jours à Paris, il nous a semblé utile de revenir sur le traitement médiatique des questions environnementales, dans le prolongement de notre article paru début 2014, qui pointait la schizophrénie éditoriale au sein de nombreuses rédactions oscillant entre souci de la planète et dévotion au marché. À partir d’une étude de cas – celui du Parisien –, on constate, sans surprise, à l’occasion de cette grand-messe aussi médiatique que politique, que postures et impostures abondent dès qu’il s’agit pour la presse de « sauver la planète ».

C’est tout naturellement la rubrique « environnement » du Parisien qui a retenu notre attention, bien que la distribution en rubriques séparées (écologie, économie, politique…) soit problématique en soi. « Environnement », donc, ou plutôt, comme le journal la nomme, « Ma Terre », glissement sémantique qui annonce la réduction de ce vaste sujet, aux implications multiples, à une question individuelle et affective, voire bucolique.

Toujours plus présentes mais toujours plus accessoires sinon dérisoires, les rubriques « écolo » dans les grands médias se portent mieux que jamais à l’aube de la COP21. Est-ce à dire que la prise de conscience a eu lieu, y compris dans l’univers médiatique ? Mieux, l’offre médiatique en la matière ne fournit-elle pas désormais moult solutions pour régler ce grave problème ?

En 2014, nous avancions que « les questions environnementales sont appréhendées dans les médias dominants de telle sorte que la question de la compatibilité des logiques capitalistes avec la protection des écosystèmes reste hors-cadre. » C’est en deçà de la vérité, car force est de constater que Le Parisien y répond sans détours – mais dans le sens d’une compatibilité pure et parfaite, comme en témoignent les illustrations qui suivent.


De l’écologie à toutes les sauces médiatiques

Les grands médias ne manquent pas d’imagination pour nous inciter à écologiser nos pratiques. Tout semble bon, en effet, pour se mettre au vert. Surgissent ainsi, à intervalles réguliers, des papiers plus farfelus les uns que les autres, tantôt légèrement culpabilisateurs, tantôt foncièrement élogieux, qui ne peuvent qu’achever de convaincre le lecteur de vivre en harmonie avec la nature. Par exemple en posant cette question-ci :



Ou en relayant cette initiative-là :



Ou encore en nous éclairant sur cette prouesse aux effets insoupçonnés :



Comme le souligne lui-même le journaliste du Parisien, « faire de la spécialité culinaire de l’Alsace une source d’énergie, il fallait y penser. » En faire un article aussi… Car si l’on ne saurait reprocher aux individus de redoubler d’inventivité, et sans sous-estimer l’importance du jus de choucroute pour l’avenir de l’humanité, la hiérarchisation de l’information au Parisien – qui a manifestement pris la mesure des enjeux planétaires – laisse dubitatif.


Le capitalisme vert : dur à avaler…

Moins exotiques sans doute, mais plus significatifs encore, les innombrables articles qui chantent les louanges de telle ou telle multinationale proposant des solutions « de pointe », soucieuse qu’elle est d’une planète durable. Quand la logique médiatique épouse la logique marchande au mépris de l’environnement, cela donne entre autres ceci :



Ou encore cela :



La réputation de bon élève désintéressé et respectueux de l’environnement de Suez (et son charbon) ou de Veolia (et son eau à prix d’or) n’est certes plus à faire. On rappellera ainsi que l’entreprise GDF-Suez (devenue Engie) est régulièrement classée parmi les multinationales émettant le plus de gaz à effet de serre, se situant même sur le podium des fournisseurs d’énergie les plus polluants. Faut-il s’étonner de trouver ces articles associés aux pages « économie » du Parisien et de voir le souci économique primer le souci écologique ?

Quoi qu’il en soit, à tous ceux qui douteraient du fait que la marchandisation de tout et de tout le monde puisse aller de pair avec une démarche « responsable », Le Parisien répond sans ambages, et en images, sans une once de contradiction :



Il fallait y penser : le nec plus ultra de l’éco-responsabilité, ce pourrait être la publicité !


Des partenariats… insolites

Si l’on a constaté que certaines grandes entreprises savaient faire de juteuses affaires autour des enjeux écologiques, d’autres, plus audacieuses encore, n’hésitent pas à s’associer étroitement avec des titres de presse pour y figurer en bonne place et entonner, à leur tour, le refrain rassembleur de la chasse au gaspillage.

Ainsi Carrefour, qui ne « positive » plus mais qui désormais « optimisme » (sic), « s’engage » en accompagnant les gestes éco-citoyens des lecteurs du Parisien pris à témoin ; insigne privilège, ces derniers bénéficient au bas de chacune de ces pages d’une courte vidéo pédagogique de Carrefour à la gloire de Carrefour illustrant combien l’enseigne « se mobilise pour le climat » (une minute trente de retape tout de même !). Cette savante confusion qui confine au publi-reportage s’intègre harmonieusement – quoiqu’un peu ostensiblement – aux colonnes du quotidien, comme en témoigne la capture d’écran ci-dessous :



EDF, autre modèle de vertu, n’est pas en reste. Sans doute jalouse des faveurs obtenues par le géant de la grande distribution, l’entreprise énergétique, associée à d’ingénieuses et vertes trouvailles présentées dans Le Parisien, a ainsi obtenu des encarts promotionnels. Cherchez l’erreur…


So « green », so « chic »

Autre tendance notable dans Le Parisien, son savant mélange entre haut de gamme et haute tenue écologique. Ici encore, le journal n’hésite pas à bousculer les idées reçues. D’abord en consacrant une rubrique à part entière aux « Green people », qui rappelle judicieusement que la frugalité notoire des célébrités a pour corollaire imparable leur respect de l’environnement.



Visiblement soucieux de ne pas délaisser son lectorat gastronome à fort pouvoir d’achat, Le Parisien se fait fort de le sustenter :

Sans doute les grincheux rétorqueront-ils que le luxe a un prix, prohibitif pour la majorité de la population. Mais la mission d’un grand quotidien n’est-elle pas de savoir dénicher ce genre d’« exploits 100% bio » ? Renseignements pris, comptez tout de même entre 50 euros et 250 euros pour devenir, vous aussi, des « green people » rassasiés, sans compter le déplacement sur le rocher de Monaco dont on ignore s’il peut être lui aussi intégralement biologique.

En quête d’autres idées vertes et branchées à la fois ? Pas d’inquiétude, Le Parisien en a à revendre :



Grosses cylindrées écologiques, repas luxueux 100% biologiques, objets design recyclés, écotourisme au bout du monde : au nom d’une planète plus verte, tout peut s’acheter et se vendre… et en toute bonne conscience, bien sûr !


À méga-problème, micro-solutions

Tout ceci pourrait prêter à rire si les tartuffes de l’écologie qui sévissent dans les grands médias n’occultaient quasi systématiquement les causes profondes de la dégradation de l’environnement, à savoir le système (hyper)productiviste, et la (sur)consommation que ce dernier engendre et encourage.

C’est bien parce que les médias dominants « ne daignent jamais traiter d’autres options et d’autres chemins menant à une économie plus respectueuse de l’environnement, comme celles (…) qui visent à rompre plus ou moins radicalement avec le productivisme et avec une organisation de la production qui interdit tout choix collectif et engendre des inégalités abyssales » [1] que pullulent des articles aussi naïfs qu’inoffensifs sur les bienfaits de la « croissance verte ». Le traitement médiatique des dégradations environnementales, trop souvent présentées dans les grands médias comme un problème sans cause, débouche invariablement sur des solutions sans effets ou presque.

Faute de prendre la mesure – internationale mais aussi politique, économique, sociale, etc. – du problème, on se rabat alors sur la petite échelle et le champêtre pour mieux éluder les responsabilités.

Aussi louables que puissent être ces initiatives, force est d’admettre qu’elles s’apparentent souvent à des remèdes dérisoires, en tout cas très circonscrits, face à l’ampleur du problème. Plutôt que de souligner la dimension globale des enjeux, nombre de journalistes s’en remettent au local et à l’individuel, niveaux sans doute moins complexes et plus tangibles – mais moins pertinents pour appréhender l’essentiel.

En dernier ressort, c’est à l’individu, et à lui seul, de lutter au quotidien contre le gaspillage et la détérioration de son environnement, comme si, là encore, des gestes isolés et limités pouvaient suffire à contrecarrer des logiques collectives et mondiales.

« En partenariat avec Carrefour »...


Quand Le Parisien réenchante le monde

Fort heureusement, quand tout inciterait au pessimisme et à la résignation, Le Parisien sait encore s’émerveiller devant dame Nature :

Il est même le premier à s’inquiéter des dangers encourus par telle espèce ou tel écosystème. Qu’on se rassure, néanmoins : il n’est, pas plus qu’ailleurs, question d’informer sur les logiques qui conduisent au désastre. Mais plutôt d’émouvoir, tout simplement. En tout cas, sans s’interroger sur le rôle que les logiques commerciales faussement vertueuses vantées ici peuvent jouer dans les catastrophes dénoncées là…


***



Actualité de plus en plus pressante du changement climatique oblige, les grands médias, à l’instar du Parisien, se gargarisent à longueur de pages de vraies fausses solutions de proximité et de court terme, censées reverdir la planète. Points aveugles médiatiques, l’hyperproductivisme et l’ultralibéralisme de nos sociétés sont rarement mentionnés comme causes premières et profondes des dégâts environnementaux. Au contraire : « aux grands maux environnementaux, les grands remèdes marchands », voilà qui pourrait résumer la teneur de multiples articles figurant dans la rubrique « écologie ». À la veille d’un énième sommet de la Terre, l’incohérence schizophrène des grands médias demeure, et notre constat est inchangé : « la présentation des enjeux écologiques y est inoffensive, superficielle, dépolitisée, et finalement compatible avec les intérêts des grandes industries, même les plus polluantes – surtout si elles peuvent témoigner d’un "engagement pour la planète" ». Dans les médias dominants au moins, le « capitalisme vert » semble avoir de beaux jours devant lui.



Thibault Roques



P.S : Si Le Parisien fait figure de « modèle » indépassable, d’autres grands médias savent se mettre à l’heure de l’écologie. À Libération par exemple, on exhorte le consommateur – ou plutôt « l’écocitoyen » – à manger autrement pour préserver l’environnement :



Plus fort encore, BFM-TV dont nous avions déjà évoqué les ambiguïtés. La bande annonce de son émission consacrée aux « entreprises qui prennent soin de la planète » débute en ces termes, condensant les contradictions médiatiques patentes évoquées plus haut : « Pour tout savoir sur l’énergie, suivez "Business durable" … avec Total » (à vérifier ici, et si possible sans rire). Pauvre planète…

 
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