« Avec le choco, fini l’effet yoyo ». C’est la promesse d’une campagne de communication émanant de l’Institute of Diet and Health pour un régime amaigrissant révolutionnaire à base de chocolat. En mars 2015, le Bild, numéro 1 des quotidiens allemands, titrant en Une « Ceux qui mangent du chocolat restent minces », a été le premier à l’annoncer ! Dans la foulée, le Daily Star, le Cosmopolitan allemand, le Times of India, le Daily Express [2], le site allemand du Huffington Post et des chaînes de télévision au Texas [3] et en Australie, ont repris l’information, suivis par d’autres médias grand public.
Le 5 juin 2015 à 22h25, la chaîne Arte a diffusé un film de 53 minutes, intitulé Pour maigrir, mangez du chocolat ! Vérité scientifique ou manipulation ? [4]
Le film révèle que l’étude sur laquelle s’appuie la campagne pour le régime au chocolat existe bien mais qu’il s’agit d’une supercherie : ses auteurs ont volontairement singé une étude scientifique authentique.
Leur objectif : montrer qu’une étude faite avec des moyens scientifiques limités et basée sur un concept peu vraisemblable, « le chocolat fait maigrir », pouvait être publiée dans une revue scientifique, puis reprise par d’autres médias.
L’expérience
Seize sujets volontaires, cinq hommes et onze femmes de 19 à 67 ans, ont suivi les recommandations des expérimentateurs pendant trois semaines, mais ils ignoraient qu’ils allaient participer à une étude truquée. Ils avaient été recrutés par une annonce sur Facebook. Certains d’entre eux voulaient vraiment maigrir. D’autres étaient attirés par les 150 euros de dédommagement financier.
Trois groupes ont été formés dans lesquels les participants ont été répartis au hasard. Chaque groupe a suivi un régime alimentaire particulier. Pour le groupe A, diète et chocolat noir à raison de 100 g par jour, pour le groupe B, diète sans chocolat. Le groupe C n’a pas changé ses habitudes alimentaires.
Au départ, chacun des seize participants a rempli un questionnaire sur son état de santé, a été pesé, mesuré sous tous les angles, a eu une prise de sang... Dix-huit paramètres (cholestérol, protéines sanguines, etc.) ont été contrôlés. Les sujets se sont pesés chaque jour pendant vingt et un jours. Pour établir le profil avant et après de chacun, les chiffres ont été notés soigneusement par écrit. Un participant a abandonné. Au bout de trois semaines, l’étude a conclu que les sujets du groupe A avaient bien perdu du poids. CQFD.
Les chercheurs
L’expérience a été conduite par deux journalistes de la télévision allemande, Diana Löbl et Peter Onneken, qui préparaient un documentaire sur « l’industrie » des faux régimes alimentaires. Ils ont été guidés par Uwe Knop, un nutritionniste. Un médecin généraliste, Gunter Frank, a lancé l’étude et un analyste financier, Alexander Haars, a accepté de manipuler les chiffres obtenus pour qu’ils conduisent à la conclusion que le chocolat a un effet amaigrissant. Ils ont fait appel à John Bohannon, journaliste scientifique auprès du MIT (Massachusetts Institute of Technology) et de Harvard, docteur en biologie moléculaire de l’Université d’Oxford, baptisé pour l’occasion Johannès Bohannon et présenté comme directeur de l’Institute of Diet and Health [5], en réalité un simple site Internet créé pour les besoins de la cause.
Quelques jours plus tard seulement, l’étude a été publiée dans une revue spécialisée, l’International Archives of Medicine, moyennant simplement la somme de 600 euros et sans aucune relecture par les pairs [6]. Le 29 mars, un communiqué de presse émanant de l’Institute of Diet and Health a été diffusé par les journalistes. Son titre : « La minceur par le chocolat. De nouvelles études ont découvert que le chocolat accélère la perte de poids [7] ». Un grand nombre de médias se sont alors emparés de la nouvelle sans poser aucune question.
Fin mai, avant qu’Arte ne se manifeste, John Bohannon a dévoilé la supercherie sur le site io9 et décrit en détail le processus utilisé [8]. L’International Archives of Medecine a alors retiré l’étude de son site [9].
Les leçons de l’histoire
John Bohannon n’en était pas à son coup d’essai. En réalité, le régime chocolat n’était qu’un prétexte. En 2013, dans un article « Who’s Afraid of Peer Review ? » [10] dans Science, il avait montré que l’on peut faire publier une étude apparemment sérieuse, mais en réalité factice, non seulement par des journaux grand public, mais aussi par des revues scientifiques et qu’elle peut être diffusée auprès de millions de personnes partout dans le monde.
Cette fois-ci, deux objectifs ont été atteints : montrer que l’on peut faire dire n’importe quoi à des études si on sait s’y prendre. Le domaine des régimes alimentaires et amaigrissants s’y prête particulièrement. Et montrer que certaines revues scientifiques et certains journaux grand public ne vérifient même plus la validité des publications avant de les accepter [11].
Toutefois, d’après John Bohannon, plusieurs lecteurs sceptiques ont posé dans les commentaires en ligne des questions que les journalistes auraient dû poser ou ont pris les choses avec humour : « Tous les jours on trouve un poisson d’avril dans la nutrition », a écrit l’un d’entre eux.
N’est-ce pas rassurant ?
Brigitte Axelrad