Le Journal "Fakir" (d’Amiens) en procès
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" Allez exercer votre métier ailleurs ! " C’est ce que déclarait Gilles de Robien, alors maire d’Amiens, en février 2001 à un rédacteur du journal Fakir, associatif et 100% bénévole.
Depuis deux ans, équipe municipale et institutions locales font leur possible pour parvenir à ce but : le premier adjoint et n°2 de la Chambre de Commerce, Roger Mézin, réclamait 4 millions de F pour un droit de réponse non-diffusé (il n’a rien obtenu, le tribunal jugeant son courrier effectivement " trop long ") ; le même nous poursuit pour diffamation, demandant 140.001 F " symbolique " pour avoir parlé de " gaspillage " et de " clan " (après une condamnation, le procès sera examiné en appel le jeudi 27 juin) ; enfin, c’est au tour du Courrier picard, détenteur du monopole de l’information sur la Somme depuis 50 ans, financièrement lié à la Chambre de Commerce, au Crédit Agricole, au Conseil Régional, de nous attaquer : nous avions qualifié leur chef de locale à Amiens de " Chien de garde de la mairie ". Intolérable : 80.000 F suffirait à réparer cet affront... et l’objectif serait atteint : tuer cette publication marginale.
Ces péripéties posent une question de fond : est-il possible d’avoir une presse non-consensuelle en province ? Qu’on mesure le fossé entre les réactions locales et nationales au trimestriel Fakir. A Amiens, dans " la ville la plus démocratique de France " (dixit Gilles de Robien), outre des plaintes et des menaces à répétition, Pascal Pouillot, président du club de football et avocat de la Ville, aperçoit des " parasites sociaux ", des " terroristes journalistiques ", des " talibans de l’information ". Et toujours devant les magistrats, il affiche la couleur : " Un journal qui se livre à la critique, ce n’est pas bien. "
Hors d’Amiens, Le Monde entrevoit un journal " poil à gratter " et (presque) mesuré (14/02/01). Le Monde diplomatique découvre d’ " excellentes enquêtes " et vante " un exemple de ce que devrait être la presse dissidente partout où les quotidiens régionaux sont en situation de monopole " (Avril 2000). L’équipe de Fakir reçoit le prix J-Presse du " Meilleur journal de ville et de quartier " pour l’année 2001. Un journaliste du Canard enchaîné déclare que " si vous êtes attaqués pour ça, alors le Canard peut disparaître en une semaine. "
Au-delà du conflit avec le Courrier picard, la manifestation festive de vendredi prochain (28 juin, à 19 h, devant le Courrier, rue Alphonse Paillat) se centre sur ce débat : peut-il exister de " vilains petits canards " en province (et en tout cas à Amiens) ? Ou doit-on se contenter de quotidiens régionaux qui, par leurs connivences et leurs silences, satisfont pleinement les notables, les entreprises, les élus du coin... mais pas toujours les lecteurs ?