Nous avons donc lu attentivement le dossier et, le moins que l’on puisse dire est qu’en comparaison des ambitions affichées et des déclarations tonitruantes du directeur de la rédaction de Marianne Joseph Macé-Scaron, nous sommes restés sur notre faim. En effet, une fois de plus [2], Marianne nous propose un dossier qui déborde de biais journalistiques divers, du plus insignifiant au plus grave : approximations, raccourcis, amalgames, absence de pluralisme, manœuvres voire manipulations, et sensationnalisme à peu de frais.
Critiquer l’islam ? C’est évidemment le droit de tout un chacun, de même que chacun doit pouvoir librement dénoncer les dangers représentés par les intégrismes religieux, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, et par leurs alliés. La critique des intégrismes religieux et des religions en général est même un exercice indispensable en démocratie, à la condition toutefois d’accepter certains principes : ne pas confondre une religion, des expressions radicalisées de cette religion, et les croyants ; tolérer la « critique de la critique » sans tomber dans le binarisme bushien (« Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes avec les terroristes ») ; être construite de manière argumentée, rigoureuse et intègre.
Or le moins que l’on puisse dire est que le dossier de Marianne est loin, très loin de répondre à ces critères.
Pour ne pas accabler nos lecteurs et lectrices, et par souci de cohérence, nous avons concentré notre examen critique du dossier sur le long article de cadrage (huit pages, soit un tiers du total), rédigé par Éric Conan. Cet article condense en effet l’essentiel des thèses du dossier, les autres articles (que nous évoquerons brièvement en dernière partie) servant essentiellement à illustrer le propos d’Éric Conan, ainsi résumé dans le chapeau introductif : « Quatre mois après les attentats de janvier, certains arguments et certaines pratiques ont refleuri, qui, par lâcheté, idéologie, cynisme ou naïveté, balisent le chemin de l’islamisme. Enquête sur ces complicités, pas toujours conscientes mais toujours dangereuses ».
I) Un voile sur la déontologie et la rigueur
« L’enquête » d’Éric Conan s’appuie, comme toute enquête qui se respecte, sur un nombre important de témoignages, analyses et commentaires, venus d’intellectuels, de journalistes, d’universitaires, de responsables politiques et autres acteurs de la sphère publique. Si l’on s’en tient aux personnes (et groupes) explicitement cités (guillemets à l’appui), on dénombre pas moins de 43 noms, certains étant cités à plusieurs reprises.
À première vue, le journaliste de Marianne a donc sérieusement enquêté et conduit un nombre important d’entretiens avec des acteurs divers, qui ne manquent pas de fournir matière et crédit à ce long article.
Mais, à y regarder de plus près, les choses sont un peu différentes : la quasi-totalité des citations sont en effet extraites d’interviews ou de déclarations antérieures, pour la plupart déjà publiées dans d’autres médias. Sans qu’Éric Conan ne juge bon de le préciser, laissant penser qu’il est l’auteur de ces entretiens.
Démonstration, chiffres à l’appui.
Pour rendre justice à Marianne, nous avons retiré de notre comptabilité les déclarations publiques des responsables politiques français (tout en conservant les interviews « exclusives » accordées à certains médias), que l’hebdomadaire n’entend pas présenter comme des témoignages qu’il aurait lui-même recueillis [3], ainsi que celles du ministre des Affaires religieuses algérien Bouabdellah Ghlamallah. Nous avons également enlevé les citations lorsque la référence à l’original était explicite, ainsi qu’une déclaration de l’AFP, une déclaration d’enseignants de Seine-Saint-Denis et une déclaration du syndicat des chefs d’établissements. Nous avons enfin retiré, pour des raisons évidentes, une citation de Charb.
Ce qui donne la répartition suivante :
Déclarations publiques de responsables politiques : 6
Citations sourcées : 4
Déclaration de l’AFP : 1
Déclaration d’enseignants du 93 : 1
Déclaration du syndicat des chefs d’établissements : 1
Citation de Charb : 1
Autres noms : 30
Total : 44 [4]
Puis, nous nous sommes intéressés à ces « autres noms », et avons tenté d’établir combien d’entre eux avaient été réellement interrogés par Marianne, en examinant si les citations étaient des citations inédites ou si elles avaient été « empruntées » [5]. Le résultat est sans appel :
Citations inédites [6] : 2
Citations empruntées : 29
Total : 31 [7]
Soit, plus précisément [8] :
Au total, ce sont donc plus de 93% des témoignages, opinions ou analyses rapportées par le journaliste de Marianne qui sont issus d’articles de presse ou d’interviews antérieures et, au mieux, 7% d’entre eux qui sont des « nouveautés ». L’originalité de « l’enquête » en prend un coup : ces chiffres signifient en effet qu’Éric Conan s’est largement contenté de bricoler un article sur la base du travail préalable de ses confrères, reprenant les noms et les citations en les agrégeant pour produire un effet de légitimation dans son argumentation.
C’est bien évidemment son droit le plus strict, mais la moindre des choses est, dans ce cas, de ne pas prétendre proposer une « enquête » et, surtout, de faire savoir que la quasi-totalité des citations sont « empruntées » à d’autres journalistes.
On ne pourra en outre s’empêcher de relever que les citations (éventuellement) originales sont le fait de personnes tenant des propos qui vont à l’appui des thèses défendues par Marianne. En d’autres termes, et dans la mesure où il n’est précisé nulle part, dans l’article, que X ou Y aurait été sollicité mais aurait refusé de répondre aux questions d’Éric Conan [9], on en déduit que le journaliste n’a, au pire, pas contacté celles et ceux qui expriment un point de vue divergent, ou n’a, au mieux, pas jugé bon de publier leurs propos [10].
Une démarche qui ne surprend guère quand on s’aperçoit que, parmi les « interlocuteurs » [11] cités, la proportion de personnes dont les déclarations vont à l’appui du propos général d’Éric Conan est de 24 sur 30, soit 80% des noms listés dans notre tableau.
Ainsi :
1) La rigueur et la déontologie d’un journaliste qui se contente, pour l’essentiel, de copier-coller des citations trouvées chez ses confrères, sans même prendre la peine de mentionner les sources originales, laissent à désirer.
2) Le fait de n’avoir sollicité (ou fait parler) aucun opposant à ses thèses, de même que le fait d’avoir (très) largement privilégié les propos légitimant ses propres opinions, n’est pas le signe d’une enquête contradictoire, mais plutôt d’une instruction à charge. C’est ainsi par exemple que, lorsque le journaliste évoque « la scission d’une partie des Économistes atterrés dénonçant le suivisme d’Attac », une seule des deux parties a droit à la parole.
3) Davantage que d’une enquête, il s’agit donc d’un article à charge construit autour de citations glanées ça et là et servant le propos général de l’auteur, sans que le parti-pris de ce dernier soit clairement assumé, et sans que les « emprunts » soient signalés. Des pratiques journalistiques condamnables, a fortiori lorsque Marianne se permet d’infliger (nous y reviendrons), dans le même dossier, des leçons de journalisme à ses confrères de Beur FM.
II) Petites et grosses manipulations : l’intégrité sacrifiée
Les biais que nous venons d’exposer ne sont, malheureusement pour Marianne, pas les seuls. Force est de constater qu’une fois de plus [12], les petites et grosses manipulations ne manquent pas, qu’il s’agisse des citations tronquées ou détournées de leur signification originale, des mensonges par approximation ou des amalgames douteux.
1) Premier exemple de ces manipulations, avec un passage de l’article d’Éric Conan consacré à ce qui est selon lui l’un des multiples avatars des « complicités avec l’islamisme » : le « clientélisme diplomatique ». Extrait (p. 47) :
Reprenons : si François Hollande, en privilégiant le nom « Daech », refuse d’associer à ce que Marianne nomme « l’État islamique », les termes de « monstre » ou une référence explicite (en français [13]) à l’islam, c’est pour plaire aux pétromonarchies du Golfe. Mais l’AFP a quant à elle « sèchement » refusé d’avoir recours à un tel « subterfuge ». On en déduit, et c’est ce que semble confirmer la citation attribuée à l’AFP, que cette dernière n’hésite pas, quant à elle, à utiliser le terme « État islamique ».
Mais la vérité est très différente, et il suffit de se reporter au texte original de l’AFP [14], mais dans sa version non coupée par Marianne, pour s’en apercevoir :
Comment appeler l’« État islamique » ? Nous avons décidé de ne plus employer telle quelle l’expression « État islamique ». Désormais, l’AFP utilisera l’expression « l’organisation État islamique » ou « le groupe État islamique ». Dans les titres des dépêches ou dans les « alertes », nous utiliserons si possible l’expression « djihadistes de l’EI ».
[En d’autres termes, l’AFP rejette « sèchement » le nom adopté (entre autres) par… Marianne. Il valait donc mieux couper ce passage.]
Une agence de presse internationale ne peut céder au « politiquement correct », ni aux pressions des uns et des autres pour que nous employions des termes tendancieux comme « terroristes » ou « égorgeurs ».
[La manipulation d’Éric Conan est ici évidente : il a coupé la fin de la phrase (après « tendancieux ») pour laisser entendre que le terme considéré comme « tendancieux » par l’AFP était « Daech ». Il n’en est rien ! Ce sont les termes « terroristes » et « égorgeurs » qui sont visés ici par l’AFP. Et aussi, probablement, « monstres » ?]
Bien sûr, nous ne pouvons pas changer le nom de cette organisation si elle a décidé de s’appeler comme ça, ni employer quelque chose comme « organisation qui se fait appeler État islamique ». De même, le mot « Daesh », l’acronyme de l’EI en arabe qui a été choisi notamment par le gouvernement français pour désigner l’organisation, est difficilement compréhensible pour le plus grand nombre.
[Le refus d’utiliser le terme « Daech » n’a donc rien à voir avec les motifs « politiques » avancés par Éric Conan. Il s’agit d’un problème de « compréhension ».]
Nous jugeons que l’expression « État islamique » est inappropriée pour deux raisons : un, il ne s’agit pas d’un véritable État, avec des frontières et une reconnaissance internationale. Et deux, pour de nombreux musulmans, les valeurs dont se réclame cette organisation ne sont en rien « islamiques ». Le nom « État islamique » est donc susceptible d’induire le public en erreur.
[Soit l’argument exactement opposé à celui d’Abdennour Bidar et d’Éric Conan : l’AFP refuse d’assimiler « l’organisation État islamique » à l’islam en général et privilégie un nom qui permet d’opérer une distinction entre les deux entités, contrairement à Marianne qui, si l’on en croit l’AFP, utilise un nom « susceptible d’induire le public en erreur ».]
Petit mensonge ou grosse manipulation ? À nos lecteurs et lectrices de juger.
2) Autre exemple de ces manipulations, la référence (p. 49) au « rapport Obin », rédigé en 2004 :
Donc, le « rapport de l’inspecteur Obin » aurait porté sur « les incidents islamistes et antisémites à l’école », et aurait de ce fait été « dissimulé ». C’est tout ? C’est tout.
Mais, à la lecture des 37 pages dudit rapport Obin, il semble que les choses soient un peu plus complexes que ce que veut bien nous dire le journaliste de Marianne. Le titre du rapport tout d’abord, qui est sensiblement différent de la formulation d’Éric Conan : « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Nuance ?
Le concept même d’« incident islamiste », ensuite : le terme « islamiste » ne figure à aucun moment dans le rapport Obin qui, s’il entend décrire, entre autres, un développement des expressions « islamiques » dans certains établissements scolaires, ne les confond jamais avec une pénétration « islamiste ». Un détail ? Pas vraiment. Nous y reviendrons.
De même, et si le rapport Obin dénonce, entre autres, le développement d’un antisémitisme qui serait « généralement le fait de condisciples d’origine maghrébine » (p. 22), il n’est à aucun moment établi de corrélation directe entre l’islam et l’antisémitisme, contrairement à ce que la formule d’Éric Conan (« incidents islamistes et antisémites à l’école ») pourrait laisser entendre. Tout au plus peut-on lire ce qui suit (p. 15) :
Ainsi, certaines « manifestations d’appartenance religieuse d’élèves » pourraient déboucher sur des incidents, et parfois sur certaines formes de racisme (et pas seulement l’antisémitisme). Mais une lecture attentive du rapport nous confirme que, parmi les religions étudiées, l’islam est loin d’être seul en cause, que l’antisémitisme n’est pas le seul des racismes constatés, en d’autres termes que la présentation un peu hâtive du rapport Obin comme étant un rapport « sur les incidents islamistes et antisémites à l’école » est largement erronée, pour ne pas dire malhonnête. Extrait (p. 15) :
On constate donc, quand bien même l’honnêteté intellectuelle nous amène à dire que c’est surtout de l’islam (et non de l’islamisme, répétons-le) qu’il est question dans ce rapport, que les nuances sont un peu plus subtiles que ce qu’Éric Conan veut bien laisser entendre. Et, en l’espèce, l’argument de la nécessité d’être concis n’est pas recevable, a fortiori dans un article de huit pages : soit le rapport Obin est évoqué, et dans ce cas il convient de restituer sa complexité et ses nuances, soit il n’est pas évoqué. Le raccourci simplificateur du journaliste de Marianne, qui « résume » un rapport par une formule laconique destinée à servir son propre propos, n’est pas à son honneur, et nous lui conseillons en outre de (re- ?)lire attentivement le rapport auquel il se réfère qui, s’il peut venir à l’appui de certaines de ses thèses, comporte de nombreux passages tendant à les relativiser, voire même à les contredire [15]. On ne peut enfin que recommander à Éric Conan de tenir compte de l’avertissement figurant à la page 6 du rapport Obin : quand bien même les établissements scolaires étudiés constitueraient « sans doute un panel assez représentatif de cette marge particulièrement active du système éducatif », « cette étude ne peut donc prêter à généralisation et à dramatisation excessive : les phénomènes observés l’ont été dans un petit nombre d’établissements ».
3) Islam ou islamisme ? Dernière manipulation (ici par approximation) que nous évoquerons : la confusion soigneusement entretenue par Marianne entre « islam » et « islamisme », voire même entre « intégristes », « musulmans » et « personnes d’origine étrangère ».
Précisons tout d’abord que Marianne réussit l’exploit de consacrer un dossier de 24 pages aux « complices de l’islamisme » sans jamais donner de définition précise de ce que serait « l’islamisme » [16]. Voilà qui est pour le moins gênant, surtout lorsque l’on sait que ce terme est très loin de faire consensus : pour certains, le mot « islamisme » lui-même est ainsi sujet à caution, tandis que ceux qui l’emploient peinent à s’entendre, y compris et notamment dans le milieu de la recherche universitaire, sur l’étendue et la continuité du spectre qu’engloberait cette appellation. Cette absence de définition est non seulement une faiblesse majeure du dossier de Marianne, mais elle est en outre un terreau sur lequel peuvent s’épanouir confusions et amalgames.
Nous venons ainsi d’évoquer la référence au « rapport Obin » comme un rapport portant sur « les incidents islamistes et antisémites à l’école », alors qu’il porte avant tout, comme son titre l’indique, sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » : un exemple de cet amalgame récurrent dans le champ politique et médiatique français, qui consiste à assimiler « naturellement » expression d’une identité musulmane [17] et « radicalisation islamique ».
Un autre passage de l’article d’Éric Conan, où les positions supposées d’Edwy Plenel sont décriées, est emblématique de cette confusion (volontaire ?). Extrait (p. 46) :
Nous doutons qu’Edwy Plenel ait jamais dit ou écrit que « l’islamisme » avait été « humilié par la colonisation », et nos lectures de ses livres et articles nous incitent plutôt à penser que selon lui ce sont les Musulmans, voire l’islam, qui ont été « humiliés ». Mais c’est à lui de répondre, s’il le souhaite. Ce qui est à noter ici, c’est que Marianne tire un trait d’égalité entre « islamisme », « catholicisme » et « judaïsme ». En d’autres termes, on assiste à une mise en équivalence entre deux religions (le catholicisme et le judaïsme) et l’expression particulière (et déformée) d’une troisième (« l’islamisme »). Si Marianne avait souhaité faire une distinction nette entre « islam » et « islamisme » (en général compris comme l’expression d’un islam radicalisé), il aurait alors fallu le mettre en parallèle avec, par exemple, « l’intégrisme catholique » et « l’intégrisme juif ». Ce qui n’a pas été fait, et ce qui entretient (volontairement) la confusion…
Des confusions qui ne sont pas nouvelles, comme nous l’avions déjà relevé dans notre précédente étude d’un dossier de Marianne [18]. Tellement peu nouvelles que l’hebdomadaire recycle un exemple déjà utilisé (il y a quatre ans !) dans le dossier en question, exemple qui, s’il dégageait déjà une odeur peu agréable à l’époque, sent cette fois-ci très fortement le moisi (p. 51) :
Puisque Marianne se répète, nous nous répéterons aussi :
En quoi l’hostilité fondée sur une référence nationaliste à la Turquie est-elle musulmane ? (…) Bien malin serait le journaliste de Marianne qui pourrait nous expliquer ce qui, en islam, proscrit l’enseignement du génocide arménien.
Ici, il ne s’agit plus seulement de mélanger « islam » et « islamisme », mais bel et bien d’amalgamer à l’intégrisme islamique des populations d’origine étrangère, ici les Turcs, sous prétexte que leurs parents ou leurs grands-parents auraient émigré d’un pays majoritairement musulman. Une forme d’essentialisation donc, qui consiste à lire les comportements des individus et des groupes musulmans (réels ou supposés) à travers le seul prisme d’une référence à l’islam.
Puisqu’il affirme mener des « enquêtes », Éric Conan devrait savoir que la contestation du génocide arménien n’a rien à voir avec l’islam. Ce génocide a d’ailleurs été commis par un pouvoir, le régime des Jeunes-Turcs, qui brandissait fièrement le drapeau de la laïcité.
Et le fond ? Telle est la question que certains nous poseront peut-être, avec des intentions plus ou moins louables, à la lecture de cet article. Le problème est qu’en l’espèce, il nous est impossible de séparer le fond de la forme. Nous le disions en introduction : Peut-on critiquer l’islam ? Oui ! L’intégrisme religieux ? Évidemment ! Celles et ceux qui, à visage couvert ou découvert, seraient les alliés d’un projet de société réactionnaire ? Bien sûr ! Et ce n’est certainement pas Acrimed qui affirmera le contraire.
Tout le problème est que le dossier de Marianne est un dossier empli de parti-pris non assumé, de légèreté déontologique, d’approximations, de manipulations et d’amalgames [19]. Impossible dès lors de produire un jugement distancié sur le « fond » qu’il prétend apporter, a fortiori si l’on ajoute à notre étude de l’article principal un examen des autres articles du dossier : de l’attaque en règle contre une station de Radio, Beur FM, sur la base de deux phrases prononcées par des invités en avril dernier [20], à la critique virulente du Parti des Indigènes de la République sans qu’aucun des documents politiques de l’organisation ne soit cité, en passant par les six pages (un quart du dossier !) consacrés à un « imam radical » de Toulouse, à propos duquel l’hebdomadaire lui-même avoue ne pas savoir s’il est « obscurantiste ou illuminé », on reste dans le ton et la méthode de l’article d’Éric Conan.
Si Marianne entendait démontrer autre chose que son manque de professionnalisme et d’honnêteté, c’est raté : la médiocrité du dossier et les méthodes contestables, voire déplorables, employées, ne convaincront personne sinon les lecteurs déjà convaincus par leurs propres préjugés. On serait même tenté de dire que l’ensemble de ces biais tendent à largement décrédibiliser par eux-mêmes la thèse de Marianne, à savoir l’existence d’un vaste réseau d’alliés et de complices de « l’islamisme » qui mettraient en péril le « ciment républicain ». Il serait temps que certains comprennent que les approximations, amalgames et manipulations, destinés à flatter les préjugés et à jeter l’opprobre ou la suspicion sur des individus ou des secteurs entiers de la société, n’ont rien à voir avec le journalisme.
Julien Salingue
P-S : L’auteur de cet article, qui participe de façon régulière à l’émission « Les Z’informés », mise en cause par Marianne, a été présenté dans l’article consacré à Beur FM comme y intervenant en tant que « représentant d’Acrimed ». Ce qui n’est absolument pas le cas : il n’a jamais été, et ne s’est jamais, présenté comme tel. Encore une approximation de Marianne...
Les membres de l’association Acrimed peuvent avoir des interventions (orales ou écrites) diverses, qui n’engagent personne d’autre qu’eux-mêmes, et en aucun cas l’association elle-même : la parole d’Acrimed s’exprime sur son site et dans son magazine Médiacritique(s), ainsi que dans ses propres initiatives publiques ou lorsque des membres de l’association prennent la parole publiquement au nom, et sur mandat, de l’association. (Acrimed)
Annexe : les 29 « emprunts » d’Éric Conan
1) Abdennadour Bidar
2) Michel Wievorka
3) Serge Tisseron
4) Hubert Védrine
5) Patrick Kessel (a), Patrick Kessel (b)
6) Joan Stavo-Debauge
7) Christophe Rameaux
8) Edwy Plenel
9) Jean-François Kahn
10) Raphaël Liogier
11) Rokhaya Diallo
12) Benoît Hamon : Le Canard enchaîné du 19 novembre 2014
13) Pierre Bouchacourt
14) Gilles Kepel : Le Nouvel Observateur du 30 août 2013
15) Jack Lang
16) Jean-Paul Lilienfield
17) Daniel Leconte : Causeur n°80 (février 2015)
18) François Boespflug
19) Caroline Fourest
20) Gérard Biard : Charlie Hebdo du 4 mars 2015
21) Michel Onfray
22) Alain Seksig
23) Dounia Bouzar
24) Marc Trevidic
25) Olivier Roy
26) Soheib Bencheikh [21]
27) Dominique Schnapper : Revue Commentaire n°149 (printemps 2015)
28) Marcel Gauchet
29) Zineb el-Rhazoui