En cette rentrée de septembre 2002, il nous paraît nécessaire d’exprimer notre extrême inquiétude devant les conséquences de la politique conduite depuis plus de trois ans par Madame Laure Adler. Beaucoup avait accueilli son arrivée avec espoir et confiance. Notre déception n’en est que plus vive. Si nous partageons avec Madame Adler les objectifs qu’elle affirme viser, nous n’en sommes que plus déçus de l’écart grandissant entre les discours tenus, les actions accomplies et les résultats atteints.
Aujourd’hui, la grille des programmes est une nouvelle fois bouleversée et modifiée en profondeur, comme elle l’a été à chaque rentrée depuis l’arrivée de Madame Adler, sans parler des ajustements qui interviennent en cours d’année. En trois ans, nous avons assisté avec consternation et impuissance à la disparition d’émissions tant anciennes que nouvelles, auquel les auditeurs étaient attachés, ou commençaient à s’attacher, et dont tous, y compris elle, reconnaissaient la qualité, comme si faire disparaître les repères de la chaîne était pour elle la seule manière de monter en spectacle son autorité.
A notre inquiétude devant les conséquences de cette politique, s’ajoute un sentiment très fort de la dégradation de l’atmosphère de France Culture, qui tient à la manière autoritaire, capricieuse et irréfléchie de ses relations avec la majorité du personnel. L’écart entre le discours tenu sur la concertation et la réalité des rapports établis est devenu, au cours des trois ans passés, de plus en plus insupportable. La liberté que suppose le travail radiophonique est sans cesse contrecarré par les interventions abusives, changeantes et contradictoires de la direction dans la programmation, le choix des thèmes ou des intervenants.
Détruire, dit-elle.
Toute radio repose sur la maîtrise du temps d’écoute, dans son rythme journalier, hebdomadaire, pluriannuel. La notion de rendez-vous y est capital pour fidéliser l’auditeur. France Culture à un rapport au temps plus particulier encore, puisqu’il s’agit de partager avec ceux qui nous écoute, le temps d’une pensée, d’une curiosité, d’une aventure, ce qui s’y suppose de trouver le juste tempo.
Cet équilibre subtil à été brutalement rompu. Dans un souci mal compris d’innovation, Madame Laure Adler a brisé ce double lien à la durée : la grille des programmes (qu’il est naturel de retoucher, mais qui ne saurait être refondue aussi souvent sans casser le lien de fidélité et de connivence entre la chaîne et son public), et la durée des émissions (dont le rythme était le fruit d’une expérience qui avait fait ses preuves) ont été bousculées sans réflexion, sans ménagement, et à plusieurs reprises, pour un piètre résultat.
A son arrivée, des émissions phares qui sont des repères majeurs pour nos auditeurs ont été supprimées, déplacées, ou ont changé de nom, sans qu’aucune justification raisonnée n’en soit donnée. Les exemples sont trop nombreux pour être ici analysés ; le plus évident suffit. On avait reproché à son prédécesseur d’avoir changé le nom et déplacé l’horaire des " Chemins de la Connaissances ", qui sous la pression des auditeurs avait retrouvé sa place de 8h30 à 9h. Madame Adler a fait plus fort, elle a supprimé l’émission " le Cabinet de curiosité ", qui était le nouveau nom des " Chemins de la Connaissances ". Devant le tollé suscité chez les auditeurs par cette disparition, elle décida de rétablir en janvier 2000 " les Chemins de la Connaissance ". Aujourd’hui la nouvelle grille s’attaque à nouveau à cette émission, qui incarne la générosité savante de France Culture et qui est l’émission préférée des auditeurs, en modifiant son horaire et en réduisant sa durée.
De façon plus déconcertante encore, nombre d’émissions nouvellement introduites par elle ont été, elles aussi, brutalement interrompues au moment où elles commençaient à s’installer sur la chaîne, à trouver leur rythme et leur public, ou changées d’horaire, ou raccourcies ou rallongées, sans que la moindre argumentation radiophonique ait été donnée.
La critique impossible
Cette analyse d’un immense gâchis de compétences, anciennes ou nouvellement acquises, n’est pas seulement celle d’une large part du personnel de France Culture, mais aussi des auditeurs. Plusieurs associations d’auditeurs ont en effet tenté d’alerter la directrice de France Culture sur les graves conséquences de cette politique arbitraire, comme ont tenté de le faire plusieurs membres du personnel travaillant depuis longtemps sur la chaîne : soit ils ne sont pas écoutés, soit ils ne sont même pas reçus, soit ils subissent des représailles (leurs émissions disparaissent, ou leurs contrats ne sont pas renouvelés). Raisons pour lesquelles les auteurs de ce texte souhaitent rester pour l’instant anonymes.
Pour se défendre, Madame Laure Adler met en avant le droit à l’expérimentation, à l’invention, et la nécessité de casser les routines. Ce faisant elle oublie que l’expérimentation et l’invention ont toujours fait partie de la mission de France Culture, et que toutes les libertés qui autorisaient ces expérimentations et ces inventions ont été en grande partie foulées au pied par sa direction. Sa seule réponse à toutes les critiques exprimées depuis son arrivée a été de se poser en victime (de quel complot ?), sans jamais répondre sur le fond. Avec une certaine impudence, elle prétend être à l’origine d’émissions qui existaient déjà avant son arrivée, et dénigre ce qui se faisait avant elle pour se faire valoir, ce qui ne peut tromper que les crédules ou les ignorants.
A cela s’ajoute l’absence de bienveillance et de courtoisie. Il est malheureusement trop fréquent de croiser des collègues bouleversés, défaits, voire en pleurs, sortant de son bureau, ou bien simplement perturbés de voir leurs rendez-vous, déplacés, supprimés, oubliés, sans explication et sans excuse. Faute de la moindre analyse, les éloges excessifs finissent eux aussi par perdre tout leur sens. La multiplication des départs dans tous les secteurs (en trois ans et demi, la chaîne a vu partir trois administrateurs) est un des signes, parmi d’autres, de cette grave dégradation des rapports humains, dans une maison qui pouvait se flatter d’être une maison où la cordialité était de mise.
Nous sommes de ceux qui pensons que France Culture a plus que jamais sa place dans le monde contemporain. Que l’instrument doit être à la fois préservé et renouvelé, qu’il doit continuer à inventer des formes neuves et à permettre à tous d’entendre les compétences les plus variées, les savoirs nouveaux et les pensées critiques, dont notre époque a besoin.
Il est clair pour nous que Madame Adler n’est pas la femme de la situation. Seuls ceux qui ne la connaissent que de loin peuvent croire en ses déclarations d’intention ; ceux qui la pratiquent depuis trois ans savent que son " j’ai bien réfléchie " veut dire " car tel est mon caprice ".