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Lu, vu, entendu : « Mondanités et précisions »

par Nicolas Boderault,

Petites brèves sans prétention : quelques nouvelles du microcosme - quelques exemples de rigueur.

I. Mondanités

Transfuge

Le 9 septembre 2010 le site de Libération nous apprend que : « Stéphane Fort, journaliste à France-Inter, vient d’être embauché comme directeur de la communication de Dassault-Aviation. […] Stéphane Fort, 40 ans, suivait les questions de défense à France Inter depuis 2002. Il était entré à Radio-France en 1995. Son embauche témoigne de la volonté de rajeunir et de moderniser l’image de Dassault [et de la porosité des frontières entre médias et complexe militaro-industriel]. »

Passation de pouvoir

Nicolas Demorand arrêtant de présenter « C politique » sur France 5, il lui fallait un(e) remplaçant(e). Et le plus simple pour les dirigeants de cette chaîne a été de choisir Géraldine Muhlmann qui co-dirige avec… Nicolas Demorand la collection « Médiathèque » aux éditions du Seuil. Dès le 27 février 2011 elle déclare au JDD : « Animer une émission politique est un must » en termes de carrière... Prémonitoire, Édouard Launet écrivait le 22 avril 2008 dans Libération : « Muhlmann et Demorand n’entendent pas remettre en cause le système [...] ».

Repos dominical

Depuis le 5 septembre 2010, Alessandra Sublet était la productrice/animatrice de « Je hais les dimanches », une émission qui était diffusée... les dimanches sur France Inter.

Cette émission était innovante et inédite… du moins si l’on en croit sa présentation sur le site de France Inter : « Alessandra Sublet propose un nouveau magazine. Un magazine d’anticipation. Je hais les dimanches, c’est tout d’abord un invité avec lequel elle décrypte l’actualité de la semaine prochaine et en profite pour lui poser son "questionnaire d’anticipation" : son prochain RDV, son prochain achat, son prochain rêve... Si dimanche rime avec repos, il est aussi le temps de prévoir la semaine ». Pour décrypter cette actualité inédite – puisqu’elle n’était pas encore l’actualité… –, Alexandra Sublet a donné à entendre des intervenants aussi imprévisibles que Jean d’Ormesson, Marc Lévy, Thierry Ardisson... rarement présents dans les médias, mais dont on peut prévoir – c’est une anticipation… - qu’on les entendra à nouveau.

Après trois « Best of » mis à l’antenne le 2 janvier, le 20 et le 27 février 2011 l’émission s’arrête. Rarement – voire jamais - une émission n’aura bénéficié, sur une période aussi courte, d’ autant de « Best of ».

Super promotion

Alesandra Sublet continue d’animer « C à vous » sur France 5 où elle retrouvera Joseph Macé-Scaron qui y remplacera Nicolas Poincaré. Une promotion… Joseph Macé-Scaron semble tout émoustillé à l’idée de travailler aux côtés de la grande professionnelle qu’est Alessandra Sublet, et il le dit à Télé2 Semaines.fr : « C’est une émission super sympa, que j’aime regarder quand je peux. J’aime ce qu’ils font, l’endroit est super, Alessandra Sublet est super… C’est un ensemble qui met en appétit, qui donne envie. » C’est super.

Pudeurs médiatiques

Précisions liminaires : Alain Minc est l’ancien président du conseil de surveillance du Monde et Pierre Bergé est un des nouveaux propriétaires du Monde.

 Alain Minc, plagiaire. Le 10 septembre 2010, sur le site du Nouvel Observateur, Aude Lancelin propose une recension du dernier « livre » d’Alain Minc. On peut y lire cette phrase, peu courante dans les comptes-rendus : « Le jeune normalien également remercié à la fin du livre pour sa minutie documentaire a fait ce qu’il a pu, mais l’auteur ne semble jamais vraiment habité par son sujet. » Dommage que Aude Lancelin n’aie pas rappelé qu’Alain Minc était habité par son sujet quand, à défaut d’avoir trouvé un documentaliste, il s’était documenté lui-même… en se livrant à un plagiat. En effet, le 28 novembre 2001, Alain Minc et les éditions Gallimard ont été condamnés pour contrefaçon à verser 100.000 francs de dommages et intérêts à Patrick Rödel. Ce dernier, auteur en 1997 d’une "biographie imaginaire" de Spinoza (éditions Climats) a relevé dans Spinoza, un roman juif, d’Alain Minc, publié en 1999, 36 emprunts, de deux mots à 27 lignes. Dont des scènes imaginaires, consciencieusement reproduite par Minc. Cet exploit du président du conseil de surveillance du Monde lui a permis d’entrer à nouveau dans un club très fermé : celui des plagiaires « de référence » [1].

 Pierre Bergé condamné. Il faut aller à la page 14 du Monde daté du samedi 5 février 2011 pour trouver ceci sous le titre : « Justice De Benedetti gagne contre une société d’Alain Minc et Pierre Bergé » : La Cour de cassation a confirmé partiellement, mardi 1er février, un arrêt qui donnait raison à l’industriel italien Carlo de Benedetti contre la société Oléron Participation, fondée par les hommes d’affaires Pierre Bergé, actionnaire du Monde, et Alain Minc. En 2008, ces derniers avaient été reconnus coupables de manœuvres frauduleuses à l’encontre de CIGA Luxembourg, une société du groupe Cerus de M. de Benedetti. Un an après, ce jugement avait été révisé sur certains points en appel. - (AFP) ».

Sur le site de Médiapart le 3 février 2011, en revanche un article de Laurent Mauduit informe sur l’ampleur de la condamnation, omise par Le Monde : « Dans un arrêt en date du 1er février et sur une plainte de l’industriel italien Carlo de Benedetti, la Cour de cassation vient de confirmer la condamnation à 6 millions d’euros pour "vente frauduleuse" de la société Oléron Participation, fondée en 1996 par Alain Minc et Pierre Bergé. Pour ce dernier, qui est l’un des nouveaux propriétaires du Monde, l’affaire est embarrassante. »

Une expertise humoristique

Le 25 décembre 2010, Le Monde Magazine publie une « enquête » d’Anne-Sophie Mercier : « Politiques : dans le piège des humoristes ». Elle fait preuve de beaucoup d’humour en n’interrogeant que cinq hommes ayant dépassés les 50 ans et spécialisés dans le travail d’escorte médiatique de l’activité politique :
- Roland Cayrol (« éminent politologue et fondateur de l’institut [de sondages] CSA »)
- Denis Muzet (« fondateur de l’institut Médiascopie » qui a pour client Le Monde Magazine)
- Jean-Luc Mano (« qui fut conseiller, entre autres, de Michèle Alliot-Marie et de Christian Estrosi » et a travaillé pour le paradis fiscal de Monaco (avec Stéphane Rozès, ancien compère de Roland Cayrol au CSA))
- Jacques Séguéla (« cofondateur de l’agence de communication RSCG (depuis absorbée par Havas et devenue Euro-RSCG) »)
- Stéphane Fouks (« directeur général du groupe Havas, conseiller des patrons et des politiques, notamment de Dominique Strauss-Kahn »).

Un petit Monde

Le 3 février 2011 Le Monde publie une « enquête » de Raphaëlle Bacqué et Corinne Lesnes (à Washington) : « Dominique Strauss-Kahn : l’embarras du choix ». On y apprend que, en villégiature à Marrakech, « [...] Dominique Strauss-Kahn, lui, s’est enfermé depuis quelques jours avec Anne Sinclair, dans le riad raffiné que l’ancienne journaliste a acheté. Le matin, il ne faut pas l’y déranger : il dort longtemps. [...] Mais l’après-midi et le soir sont consacrés aux amis. [...] on y croise [...] Matthieu Pigasse (Lazard), nouvel actionnaire du Monde [...] À Marrakech, en cette période de fête de fin d’année, Bernard-Henri Lévy (membre du conseil de surveillance du Monde), qui y possède lui aussi un riad, est venu en voisin. C’est lui qui doit éditer, chez Grasset, le livre qu’Anne Sinclair a projeté d’écrire sur sa famille [...] ». Quelques lignes plus loin Raphaëlle Bacqué et Corinne Lesnes complètent le passage en revue par les commentaires d’un expert « En ce tout début d’année, les sondages d’intention de vote à la présidentielle restent flatteurs pour DSK, malgré une baisse récente. "Il ne résistera pas au désir de la France", se sont mis à croire ses amis. Mieux, a noté Daniel Cohen (membre du conseil de surveillance du Monde) […] » Qu’importe ici ce qu’il a noté. Acrimed, en revanche, a noté que Raphaëlle Bacqué et Corinne Lesnes ont scrupuleusement noté l’appartenance au petit monde du Monde de l’entourage de DSK, mais sans s’interroger ouvertement sur ce que cela pourrait suggérer.

II. Rigueurs et précisions

« Mélenchon = Le Pen »

Quelques rappels sur la construction/naturalisation médiatique de cette équivalence.

 Le 7 novembre 2010, sur le site de L’Express, Élise Karlin prend appui sur un « expert » : « Certes, Jean-Luc Mélenchon n’est pas Jean-Marie Le Pen. Mais Pascal Perrineau, directeur du Cevipof, note que son discours n’est pas exempt d’un nationalisme économique que l’on trouvait plutôt jusqu’ici dans le discours du FN. "De la même manière, poursuit-il, les catégories mobilisées et les ressorts employés - diagnostic apocalyptique, environnement de toutes les menaces, dénonciation parfois haineuse des médias - ne le distinguent pas radicalement de l’extrême droite". »

 Le 8 novembre 2010, sur le site du Point, Emmanuel Berretta s’indigne : « Si Michel Drucker n’a eu aucun problème moral à inviter Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon, en revanche, Marine Le Pen n’aura pas les faveurs de son divan rouge dans Vivement dimanche. »

 Le 19 janvier 2011 Plantu publie dans l’Express ce dessin :

 Le 15 Février 2011 L’Humanité publie l’entrefilet suivant : « La collusion bidon du Fig mag - Plantu n’est pas le seul à mettre en scène dans L’Express, de manière aussi peu déontologique, un prétendu rapprochement entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Dans sa dernière livraison, Le Figaro magazine titre "Le Pen/Mélenchon : les mariés de l’an 12 ?" et illustre le "duel" entre le coprésident du Parti de gauche et la présidente du Front national par une photo où ils posent tout sourire côte à côte. Or, les crédits (les toutes petites lignes identifiant le photographe - NDLR) révèlent l’astuce : deux photographes ont œuvré. Les deux responsables politiques n’ont jamais posé ensemble, il s’agit donc d’un photomontage. Qu’est- ce qu’il ne faut pas faire pour faire avaler la pilule au lecteur... »

La boucle est bouclée : le doublet Mélenchon / Le Pen est devenu un sujet d’article tellement évident qu’évoquer le premier déclenche quasi-automatiquement l’évocation de la seconde. Et réciproquement.

Rigueur éditoriale

Le 24 février 2011 les sites du JDD (qui appartient au groupe du marchand d’armes Lagardère) et du Figaro (propriété du marchand d’armes Dassault) rendent dubitatifs leurs lecteurs communs :

 Le jdd.fr titre pudiquement

 lefigaro.fr titre triomphalement

Rigueurs aphatiques

Dans un billet intitulé « Du journalisme et des journalistes », publié sur son blog le 26 janvier 2011, Jean-Michel Aphatie réfléchit sur un beau sujet : « Les mots, les choses, et le journalisme qui doit les nommer ». « Pas facile », concède-t-il d’emblée. Mais avec un billet d’Aphatie, en trois exemples, tout devient plus clair.

  Premier à prendre une leçon de rigueur, Daniel Schneidermann : rapportant la visite secrète de Nicolas Sarkozy à son « Premier cercle », « le club des "plus gros donateurs de l’UMP" », le fondateur d’ASI prévoit, en le déplorant, que ce « joli scoop de France Inter » ne rencontrera guère d’échos dans la presse : « Comment la journaliste d’Inter a-t-elle été informée ? Était-elle la seule au courant ? Pourquoi ce type de réunion ne donne-t-il pas lieu à une dépêche de l’AFP (mais il n’est pas trop tard, la dépêche va peut-être venir dans la journée) ? Quand le même Sarkozy, quelques heures plus tôt, confie aux journalistes ses impressions sur West wing qu’il regarde le soir avec Carla, l’esprit de Cour dicte généreusement de nombreux articles. Mais pas là. »

Ce commentaire, nous explique Jean-Michel, nous montre bien comment « l’idéologie saisit le chroniqueur et le transforme de journalisme en militant ». Et l’interviewer star de RTL d’accomplir aussitôt la métamorphose inverse, en pointant la « faille » des « raisonnements et des sous entendus de Schneidermann » : « il ne s’agit pas d’un scoop de France Inter. RTL aussi a diffusé un papier ce matin, avec dedans le son d’un participant, sur cette réunion du "Premier cercle" ».

Et pan sur le bec de Schneidermann, qui « travestit la réalité, trop préoccupé de la décrire avec ses œillères à lui ».

  Deuxième round : Aphatie s’en prend à un journaliste de Libération, qui a commis deux énormes fautes professionnelles en une phrase. Il écrit en effet ceci, dans un papier consacré à Mélenchon : « Télés et radios sont friandes du verbe et des formules du tribun. Lui se plaît à ferrailler contre les "médiacrates" Elkabbach, Apathie, Demorand... ».

La première est anodine, mais elle en dit long : « Ne nous arrêtons pas sur l’orthographe approximative du nom qui ne témoigne pas d’un sens aigu de la rigueur ». La seconde est plus grave : « c’est l’utilisation du mot "médiacrate" qui est surprenante. Certes, le journaliste la fait figurer dans son papier entre des guillemets et en italique. Mais tout de même, il l’emploie ». Et Aphatie d’expliquer brillamment pourquoi c’est insupportable, par un raisonnement imparable : la médiacratie, c’est un régime où le pouvoir est détenu par les médias. Nous ne vivons pas, en France, en « médiacratie ». Conclusion : « Si donc il n’y a pas de médiacratie, il n’y a pas non plus de médiacrates ». Alors, « Pourquoi donc, fut-ce avec des guillemets et en italique, reprendre ce mot qui vise simplement à dévaloriser les noms des journalistes cités ? ». Certes ! Depuis quand est-ce le rôle des journalistes de rapporter des propos qui leur déplaisent ?

Aphatie a une explication à ce curieux phénomène : c’est que le journaliste « a lui même intériorisé l’idée que véhicule à chaque occasion le sujet de son papier : les journalistes de base sont formidables, ceux qui ont des responsabilités sont épouvantables ». Et Aphatie de conclure : « Le raisonnement de Jean-Luc Mélenchon possède la vertu des raisonnements binaires : il s’expose facilement et il est totalement faux ». Ce qui est totalement vrai, à condition de rendre à Jean-Michel ce qui n’appartient pas à Jean-Luc.

  Troisième leçon : à destination cette fois de Ségolène Royal qui « a expliqué avec une pointe de véhémence que ce n’était pas les journalistes parisiens qui choisiraient le candidat du parti socialiste ». Or, « "Journaliste parisien", cela n’existe pas ». Analyse : « Dans l’esprit de celui qui emploie la formule, cela signifie sans doute que ce journaliste vit dans un palace ou bien dans un 600m2 à Paris, qu’il se déplace dans une voiture de luxe le week-end et dans une voiture sportive la semaine, que ses amis ont tous à voir avec le CAC 40 et le Who’s Who, qu’il paie bien évidemment l’impôt sur la fortune dont il souhaite bien évidemment la disparition, et que ses dimanches s’écoulent entre parties de bridge et sortie vespérale dans les hippodromes ». Le fait que Jean-Michel Aphatie ait fait ses études de journalisme à Bordeaux explique-t-il cette révolte de chansonnier ?

Rigueurs philosophiques

 Le 16 février 2011, dans sa chronique hebdomadaire publiée par L’Humanité, la philosophe Cynthia Fleury écrit : « Ces nouveaux acteurs de l’espace numérique ressemblent aux "Rousseau des ruisseaux" (Lemieux) [...] ». Rendu perplexe par l’attribution à « Lemieux » de la formule « Rousseau du ruisseau », le service archives d’Acrimed consulte la page 546 de La France littéraire, un livre de Joseph-Marie Quérard paru en 1835. Et on y apprend que « Rousseau du ruisseau » servait à désigner le polygraphe Restif de la Bretonne. Rectificatif (26 juillet 2011). Une correspondante nous précise : « [...] il ne s’agit pas d’une erreur mais d’une citation de Cyril Lemieux reprise par Cardon. Lemieux comparant les nouveaux acteurs del’espace numérique aux "Rousseau des ruisseaux". D’où son nom dans lachronique, rendant à Lemieux l’expression de Lemieux. »

 Un livre d’entretiens entre Luc Ferry (« philosophe » médiatique et ancien ministre de l’Éducation nationale et de la Recherche de Jean-Pierre Raffarin) et Alexandra Laignel-Lavastine vient de sortir chez Denoël. Il est sobrement intitulé « L’anticonformiste, une autobiographie intellectuelle ». Pages 98 et 99 on peut lire cela :

- Alexandra Laignel-Lavastine : « Savez-vous comment réagirent à la lecture de votre essai [La pensée 68, co-écrit avec Alain Renaut et paru chez Gallimard à l’automne 1985] quelques-uns des penseurs mis en cause comme Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Pierre Bourdieu ? »
- Luc Ferry : « [...] Quant aux foucaldiens, aux deleuziens et aux lacaniens, ils nous auraient tués ! Foucault lui-même était fou de rage [...] »

Michel Foucault est mort en juin 1984, soit plus d’un an avant la parution du livre de Ferry-Renaut. Il est possible que Luc Ferry se prenne pour Victor Hugo parlant avec les morts... et témoigne ainsi de son anticonformisme. Cela étant, comment ne pas s’interroger sur l’existence de relecture d’un manuscrit avant publication chez Denoël ainsi que sur la rigueur de l’ancienne critique du Monde des livres qu’est Alexandra Laignel-Lavastine ?

Et pour finir
 Humour noir ?<br

le 13 mars 2011 vers 20h50, lemonde.fr fait preuve d’un humour noir très particulier en juxtaposant en « une » des informations dramatiques sur le Japon et un bandeau publicitaire pour IBM en pleine adéquation avec l’actualité :

 
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