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Non merci, Mme Royal, je ne veux pas de la Légion d’honneur

par Hervé Kempf,

Nous reprenons, avec l’aimable autorisation du site Reporterre et d’Hervé Kempf, un article publié par ce dernier le lundi 14 novembre. Il y explique les raisons qui l’ont motivé à refuser la Légion d’honneur que Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, souhaitait lui remettre.

Nous trouvons en effet que les motivations avancées par Hervé Kempf dans sa lettre à Ségolène Royal correspondent largement à la critique des médias que nous entendons pratiquer et soutenir.

Qui plus est, cette publication est l’occasion de rappeler que d’autres journalistes ou éditorialistes – et ils sont nombreux [1] – n’ont pas eu la même louable attitude, à l’instar de Jacques Julliard lors de la promotion du 14 juillet 2016 (Acrimed).


Chère Madame Royal,

D’abord, j’ai cru à une plaisanterie : un appel de votre chef de cabinet adjoint me demandant si j’acceptais d’être décoré de la Légion d’honneur. J’ai retenu mon envie de rire. Et puis le courriel est arrivé, confirmant la proposition.



Je vous remercie de votre attention, mais ai l’honneur de refuser cette distinction. Elle me parait tout à fait incompatible avec l’exercice du métier de journaliste, dont un principe de base est, pour assurer sa liberté, de se tenir à distance des personnes de pouvoir et d’en refuser les avantages ou distinctions qu’elles voudraient lui prodiguer.

Permettez-moi, d’ailleurs, de vous rappeler l’état déplorable de la liberté de la presse :

- Quasiment tous les grands médias, écrits et audiovisuels, appartiennent à des milliardaires ou à des grandes entreprises. Voyez cette carte, dressée par Acrimed et Le Monde diplomatique :



- La liberté de la presse subit des attaques régulières : loi sur le « secret des affaires » en 2015, procès d’oligarques contre les médias libres, ou, en ce moment, projet de loi « Egalité et citoyenneté » ;

- Les journalistes sont de plus en plus fréquemment empêchés d’informer le public : qu’ils subissent des violences policières (comme l’a constaté le Rapport de la mission d’information civile sur les actions de maintien de l’ordre établi par Reporterre), ou qu’ils soient poursuivis en justice sous des prétextes fallacieux, comme notre confrère Gaspard Glanz ;

- Et le journalisme environnemental est particulièrement visé dans le monde : depuis 2010, dix journalistes ont été assassinés parce qu’ils enquêtaient sur des scandales écologiques.

Tout ceci rend impossible à un journaliste, s’il lui en prenait la fantaisie, d’accepter une décoration de la part d’un gouvernement qui n’a rien fait, au contraire, pour limiter le pouvoir des oligarques et les atteintes à la liberté d’informer.


Rétablir l’équité entre les médias des oligarques et les médias libres

Je travaille, au sein de l’équipe de Reporterre et comme beaucoup de journalistes et de médias libres, pour que puissent être entendues d’autres voix que celles du néo-libéralisme, de la xénophobie, et du productivisme. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de décorations, mais de la liberté de travailler, et de l’équité.

Comment expliquez-vous qu’Aujourd’hui en France, qui appartient au milliardaire Arnault, Libération, qui appartient au milliardaire Drahi, Le Monde, qui appartient au milliardaire Niel et à ses comparses, Le Figaro, qui appartient au milliardaire Dassault, reçoivent de l’État respectivement 7,8 millions d’euros, 6,5 millions, 6,5 millions et 5,4 millions ? Alors que, pour prendre un exemple au hasard, Reporterre ne reçoit pas un centime de ces aides ?

Je ne tends pas la main pour mendier, Mme Royal, mais pour qu’on mette tout le monde sur pied d’égalité : que soient supprimées les subventions à ces titres de milliardaires, et on verra qui recueillera l’attention du public.


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- suivi attentif du mouvement Nuit debout et de Notre-Dame-des-Landes,
- premier portrait en France de Bernie Sanders - le candidat qui aurait battu Trump si le Parti démocrate ne l’avait pas défavorisé,
- rapport sur les violences policières,
- mise en évidence du phénomène encourageant des néo-paysans,
- révélations sur l’homicide par les gendarmes de Rémi Fraisse...


Bientôt sur Reporterre, l’interview...

Au fait, Mme Royal, vous nous avez refusé jusqu’ici une interview [2]. Maintenant que vous voulez me donner une décoration, ça sonne vraiment bizarre, ce refus. On se parle bientôt ?

Avec mes salutations respectueuses


Hervé Kempf

 
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Notes

[1On pourra se reporter à notre rubrique « Récompenses pour journalistes et dirigeants des médias ».

[2Un refus dont nous nous étions fait l’écho (note d’Acrimed).

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