Dans La Libre Belgique, le 31 janvier 2012, lendemain de grève en Belgique, Francis Van de Woestyne éditorialisait sous un titre qui, en soi, est tout un programme : « Au boulot ». Cet éditorial ne se borne pas à prendre parti, sans retenue, pour le gouvernement et le patronat et à faire passer les syndicats pour des irresponsables, il utilise quelques grosses ficelles de la propagande, au sens fort de ce terme. Et même de la propagande de guerre dont les principes élémentaires sont disponibles sur Wikipedia :.
Le court éditorial de La Libre Belgique réussit la prouesse de condenser les principes suivants :
- principe 2 : le camp adverse est le seul responsable de la guerre ;
- principe 3 : le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l’affreux de service ») ;
- principe 4 : c’est une cause noble que nous défendons et non des intérêts particuliers ;
- principe 6 : l’ennemi utilise des armes non autorisées ;
- principe 9 : notre cause a un caractère sacré ;
- principe 10 : ceux (et celles) qui mettent en doute notre propagande sont des traîtres.
Voici donc comment s’’appliquent ces principe dans l’éditorial en question :
« Il a donc fallu supporter, lundi soir [30 janvier] les communiqués triomphants des organisations syndicales se félicitant d’avoir paralysé le pays – chacun place sa gloire où il peut – pendant 24 heures. Une victoire ? Que non. »
Décryptage :
- principe 6 : paralyser le pays, c’est disproportionné. la grève est une arme non autorisée vu les circonstances ;
- principe 2 : ce sont les syndicats qui ont décidé de bloquer le pays. ils n’ont absolument pas été provoqués par des mesures gouvernementales.
« Mme Demelenne, la souriante patronne de la FGTB, avait donné des instructions pour qu’il n’y ait pas de barrages. Elle n’a évidemment pu empêcher que des brigades d’énergumènes contraignent de braves indépendants à clore leurs volets. Un scandale. Soit. »
Décryptage :
- principe 3 : le « souriante » est à la fois ironique et disqualifiant, d’autant qu’elle n’a « évidemment pu empêcher les barrages », accentuant le caractère barbare des hordes qu’elle « patronne » ; « brigades », c’est militaire, c’est organisé ; « d’énergumènes », ça fait peur, ils ne sont pas comme nous ;
- principe 4 : les syndicats défendent des intérêts particuliers. la preuve, les « braves indépendants » ont dû clore leurs volets (on ne sait pas combien ils sont, ni si tous sont contre la grève, mais les syndicats ne les représentent pas).
« On connaît la riposte syndicale : ils se battent et nous, les “jaunes”, profitons de leurs acquis. Reprenons les mots d’ordre de cette grève. La préservation de l’index ? Le PS, le SP.A, le CDH ont dit qu’il n’était pas question d’y toucher. La concertation ? Elle a lieu depuis un mois. Epargnés, les fraudeurs, les tricheurs ? Il y a un plan de lutte contre la fraude fiscale et sociale. La réduction des intérêts notionnels ? C’est fait. La définition d’un plan de relance ? Di Rupo fait le tour des capitales pour l’imposer à l’agenda européen. Le maintien de l’âge légal de la pension à 65 ans ? Acquis. Parenthèse : étant donné que l’on gagne un an d’espérance de vie tous les cinq ans – que l’on soit syndiqué ou non –, cet âge légal augmentera. »
Décryptage :
- principe 10 (magnifique exemple) : question courte, réponse courte, absence totale de nuance. L’énoncé est construit de telle façon qu’on ne peut qu’y adhérer. Or la concertation n’a pas lieu dans des conditions adéquates (puisque le gouvernement joue la montre prétendant être pressé par l’Europe), l’abolition de l’indexation est le fer de lance du patronat – et l’Open VLD (parti du gouvernement) l’a mis sur la table (tiens, on l’a oublié dans l’édito...) ; le maintien de la pension à 65 ans, c’est fallacieux puisque des travailleurs qui pouvaient s’arrêter avant ne le pourront plus (c’est toute la question de la réforme des prépensions !) ;
- principe 9 : Elio (Di Rupo) est un croisé.
Et en guise de conclusion une petite dose de paternalisme :
« Les syndicats sont indispensables. C’est grâce au dialogue avec les partenaires sociaux que la Belgique connaît la paix sociale, essentielle à l’économie et à la création d’emplois. Mais l’action syndicale, sous peine d’être totalement anachronique, doit évoluer. On a vu, lors de cette grève, les messages de colère qu’elle suscitait. Bloquer un pays ne sert à rien. A rien. Rendez-vous donc dans dix-huit ans, pour la prochaine grève générale. »
Paternalisme : vous, syndicats, êtes indispensables mais à certaines conditions, que nous décidons. Rappelez-vous : vous devez défendre la paix sociale (« mais qu’est-ce que vous avez fait hier ? Vous déconnez les gars »), vos actions doivent être constructives (« là, c’est anachronique ce que vous faites »), du coup « bloquer un pays ne sert à rien » ; pour être certain d’être bien compris, on répète : « à rien ».
Fabriquer du consentement, c’est en effet tout un boulot…
Nic Görtz