Rien n’arrête le quotidien lyonnais quand il s’agit d’informer sur les questions les plus brûlantes de l’actualité. Dans son édition du 21 mars, Le Progrès sondait l’opinion de ses lecteurs sur une question essentielle. Qu’on en juge ici-même :
Tout dans cet encart pseudo-sondagier impose respect et admiration :
– l’audace et la pertinence journalistiques, mises au service d’un sens de la hiérarchie de l’information incontestable, pour mettre en avant LE thriller qui tient en haleine le monde de la culture en France (et sans doute bien au-delà) depuis des mois (si ce n’est des années) – à savoir la succession de Philippe Bouvard pour animer l‘émission « Les grosses têtes » ;
– la rigueur méthodologique, ensuite, mise au service d’une technique de pointe, les « questions du jour », ces simulacres de démocratie directe en ligne et en temps réel, utilisées par tous les médias ou presque, et dont nous avons déjà souligné l’inanité comme la nocivité. À mi-chemin entre le micro-trottoir improvisé sur le net et l’ersatz de sondage, ces pseudo-enquêtes « d’opinions » pourraient faire passer les sondeurs « classiques » pour des modèles de déontologie et de rigueur scientifique ! Alors que les sondages en ligne réalisés par les instituts officiels sont déjà suspects de souffrir de graves tares méthodologiques, ces « consultations » montées en quelques heures par des médias dont ce n’est évidemment pas le métier laissent craindre le pire quant à leur fiabilité et leur validité… ;
– l’exigence éditoriale, enfin, car il s’avère que ces « questions du jour » sont aussi des machines à réduire l’intelligibilité de « l’actualité » en bouillie, en traitant indifféremment et en mettant finalement sur le même plan les questions les plus insignifiantes et les plus « politiques ». Comme on peut le constater ci-dessus, la question incontournable du 21 mars avait été précédée, le 20 mars donc, par « la mise au vote »… de la diminution des indemnités des chômeurs ! Avec ce résultat, guère surprenant, de 59 % de répondants – dont on ne sait évidemment rien de la représentativité – favorables à une diminution « de la durée et du montant des indemnités chômage ». Une proposition un rien polémique et orientée, tranchée dans le vif grâce à la sagacité du Progrès et de ses lecteurs. Du moins la question n’est-elle réglée qu’en apparence, car l’utilisation du futur (« Faudra-t-il… ») laisse planer quelque doutes sur le sens des réponses : faudra-t-il le faire dans six mois ? dans cinq ans ? dans trente ans ? dans tous les cas ? seulement si le chômage continue à augmenter ? etc.
Le débat public est ainsi doublement pollué : par des informations « dérisoires » promues en sujets majeurs, et parallèlement, par le traitement dérisoire que reçoivent des questions cruciales. On peut évidemment sourire de cette mascarade journalistique orchestrée chaque jour par Le Progrès. Mais les plaisanteries les plus courtes sont souvent les meilleures, et on est aussi en droit d’être excédé par ces procédés éditoriaux bas de gamme et irresponsables qui parasitent l’information, caricaturent les enjeux les plus graves et escamotent toute discussion sérieuse et éclairante !
Blaise Magnin (grâce au signalement d’un adhérent lyonnais)
Annexe – sur Europe 1 aussi…
… on s’applique quotidiennement à entretenir une caricature de démocratie et d’information ! Comme on peut le voir sur cette capture d’écran réalisée sur le site de la station, jeudi 27 mars, le bandeau permettant de choisir le thème de l’émission de Wendy Bouchard se passe de commentaires…