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Présidentielle 2017 : Des journalistes sportifs au bord du ring de TF1

par Henri Maler,

Après avoir contribué à évacuer les débats pendant près de deux mois, en prétendant que ces débats étaient évacués par les candidats eux-mêmes [1], les journalistes politiques allaient-ils renoncer à mettre en scène exclusivement (ou presque) les « affaires » et les péripéties tactiques pour enfin mettre en lumière les projets en présence ? Le débat organisé par TF1 pouvait en fournir l’occasion. L’occasion fut manquée.

La cause est entendue : une élection est une compétition, une « compétition électorale », précisément. Et un débat qui met aux prises les candidats, est, selon le mot cent fois entendu, un « match ». Et la tradition sportive veut qu’un tel « match » mobilise son lot de commentaires… et de commentateurs. Sur les chaînes en continu – ici BFM-TV et LCI – ce fut un festival !


On prépare le match

Toute la journée, sur LCI, la succursale de TF1 qui organisait la compétition, rien ne nous fut épargné : ni la visite du plateau, ni celle des loges, ni les passages par les QG. Les préparatifs des compétiteurs furent longuement décrits. On spécula sur leur style et leurs atouts rhétoriques. Et comme il fallut bien commenter les « enjeux », les bavards du jour donnèrent de ces enjeux l’interprétation que l’on attend des spécialistes du journalisme sportif. Non pas les enjeux de la confrontation des projets et donc la délimitation de leurs contenus, mais les chances respectives des candidats de défendre ou d’améliorer leurs scores sondagiers, les cibles que chacun d’eux devait viser pour parvenir à ses fins, la posture qui lui était conseillée, la stature qu’il devait proposer. Bref, la communication que l’on pouvait, que l’on devait attendre des compétiteurs.

Avec cet insoutenable suspense : comment allait bien pouvoir se dérouler la compétition ? Quels pronostics pouvait-on avancer sur le déroulement du débat et sur son issue ? Emmanuel Macron n’allait-il pas être la cible de tous les autres ? Allait-il donner les preuves de sa stature présidentielle ? Ce qui en langue savante se dit « présidentiabilité ». Et encore : Marine Le Pen serait-elle égale à elle-même ? François Fillon pourra-t-il faire valoir son expérience ? Qui, d’Hamon ou de Mélenchon, allait remporter le match dans le match ? Journalisme de pronostics, journalisme sportif.

BFM-TV, privée de la visite du studio et des loges des candidats, compensa, dès le matin et surtout l’après-midi durant, par une tournée des QG et les interviews des porte-paroles au sujet des préparatifs. « L’heure est à la concentration et à la préparation », apprit-on de source autorisée. Une tournée décorée par des commentaires avisés dont les titres résument la « substance »… substantielle : « Débat : l’épreuve de feu pour Macron » ; « Hamon : surfer sur le meeting de Bercy » ; « Mélenchon : marquer sa différence » ou, variante : « Mélenchon : s’imposer à gauche » ; « Marine Le Pen : travailler sa stature » ; « Fillon : faire oublier les affaires ». Des commentaires prospectifs d’une haute tenue, assortis de conseils prescriptifs sur ce que chacun doit faire. On eut même droit aux commentaires aisés de « Patricia Chapelotte, présidente d’Abbera Conseil » qui, préventive, susurra : « Il faut faire Président » et, en même temps « pouvoir être concret ». Rien que ça…

Aveuglés par tant d’éclairages, il nous fallut, aux alentours de 18h, faire un nouveau détour par LCI. Nouvelle tournée des QG de campagne, assurance assurée de la part de l’entourage : les candidats sont studieux et révisent leurs « fiches ». Des informations-clés assorties de commentaires et bandeaux de toute sorte, prétendant cibler les « enjeux » au gré de titres une nouvelle fois éclairants : « Débat : Macron prépare sa partition » ; « Débat : une première pour Marine Le Pen » ; « Débat : Hamon en duel avec Mélenchon ? » ; « Débat : Mélenchon espère convaincre les indécis ».

Essoufflés par ce jogging, nous avons alors bénéficié d’une pause récréative avec l’émission « 24 heures en questions », animée par Yves Calvi. Ce rendez-vous quotidien, qui réunit autour d’une table les chefs étoilés de la grande cuisine politicienne, avait pris pour titre cet alléchant programme : « Avant le 1er round : la pesée ». Ce soir-là, les chefs étoilés étaient conviés à troquer leurs toques contre des casquettes de commentateurs de boxe. Ce que firent sans hésiter Françoise Fressoz du Monde, Carl Meeus du Figaro Magazine, Philippe Dessertine de l’Institut de la haute finance et Jérôme Sainte Marie, de l’institut de sondages Pollingvox. Éblouissant pluralisme des experts qui, sans préciser lesquels, font parler les Français qui « pensent que… », évoquent les programmes sans vraiment les connaître, et s’interrogent gravement, à grand renfort de métaphores sportives, sur ce qui va se passer. Un seul exemple : « Faut-il évoquer les affaires ? Vont-ils évoquer les affaires ? », demande gravement Yves Calvi. L’auteur de ces lignes a tenu 40 minutes et a renoncé.


On vit l’avant-match

Insatiables, nous retournons finalement du côté de BFM-TV. L’heure du match approche : il est 19h30. Alors que des journalistes font le pied de grue devant les QG de campagne, les informations tournent en rond : Marine Le Pen est sortie des bureaux, Benoît Hamon, au « mental d’acier » est sans doute resté à son domicile puisqu’il n’a pas été vu à son QG, Jean-Luc Mélenchon est arrivé le premier, François Fillon avec dix minutes de retard « aux alentours de 20h06 », les soutiens des uns et des autres s’installent dans le public et, comble de suspense, on aurait même aperçu Pénélope Fillon !

Autant de reportages de terrain qui ponctuent, une heure et demi durant, les séquences analytiques animées en plateau par Ruth Elkrief. Fidèles aux préparations d’ « avant-match », les journalistes interpellent d’abord des « supporters » politiques des candidats. Puis vient le temps des « experts ». Une première table ronde– ô combien pluraliste ! – réunit Anne Rosencher, directrice déléguée de la rédaction de L’Express et Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication d’Atlantico. Pendant près d’un quart d’heure, après avoir glosé autour de la « déprime », « l’inquiétude », « l’anxiété », le « désarroi » et le « déboussolement » des Français, après avoir parié sur la cible privilégiée des uns et des autres, après avoir passé en revue les sondages faits maison, nos experts concluent leur (longue) méditation à micros ouverts en nous révélant l’enjeu du débat de TF1 : « que l’un ou plusieurs de ces candidats arrivent à générer une adhésion véritable ». Fichtre !

Mais ce n’est pas fini, et la seconde table ronde n’a rien à envier à la première : il est 20h quand Ruth Elkrief, sans doute dépaysée, « rejoint » le plateau fait maison d’Alain Marschall, qui réunit d’autres experts du cru : Thierry Arnaud, chef du service politique de BFMTV et Laurent Neumann, flanqués d’Anna Cabana de Marianne, pour commenter d’avance – c’est le titre – « Un premier débat inédit ». C’est sans doute Anna Cabana, à la faveur d’un aveu émouvant, qui résume le mieux la teneur de ce petit papotage entre amis : « C’est ça qui est passionnant : on ne sait pas ce qui va se passer ».

Dès lors, et pendant près de quarante minutes de plateau, nos journalistes se disputeront le pronostic le plus haletant. « C’est la campagne qui commence », « le débat va probablement bouleverser la campagne », se risquent les journalistes avant de déterminer – ou de prescrire –le « rôle » qu’interprétera ou devra interpréter chaque candidat : Macron président ? : « il faut qu’il le prouve » ; Fillon président ? « il devra dépasser et faire oublier les affaires ». Des commentaires sont sollicités pour « comprendre les enjeux », comme l’annonçait le présentateur. Ce qui nous valut, par exemple celui-ci de Laurent Neumann : « Il y a deux enjeux : il y a un risque clair pour les deux favoris, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, d’être attaqués et donc de dévisser à un moment ou à un autre pour une raison qu’on ignore avant que le débat ait commencé. Puis il y a un deuxième enjeu pour tous les autres qui aujourd’hui ne sont pas donnés qualifiés pour le deuxième tour, c’est de faire leur retard, c’est un enjeu absolu. »

Il ne restait plus qu’à s’interroger sur l’impact possible du physique des candidats. La palme de la réflexion la plus acérée revient sans nul doute à Thierry Arnaud : « Si vous me permettez de dire les choses brutalement, faut pas qu’il apparaisse comme un gamin ce soir Emmanuel Macron. Il y a ce côté juvénile dans son apparence et peut-être que ça jouera en sa faveur, mais on ne peut pas exclure totalement le risque que ça joue aussi en sa défaveur ce soir. »

Enfin, dans leur course aux commentaires, les chaînes d’info (mais aussi la presse écrite) ont rivalisé d’ingéniosité pour l’emporter dans cette autre compétition : le grand prix de la meilleure métaphore sportive, voire guerrière. Sur BFM-TV rien ne nous aura été épargné : des « fleurets mouchetés » aux candidats qui « cognent », en passant par « l’épreuve du feu », le « sourire bouclier », les « passes d’armes » le « peloton », le « coude à coude » et, enfin, l’inévitable « franchissement du Rubicon » !

Changement de chaîne. À partir de 20 heures, LCI nous offrit de pénétrer – c’est le titre – « Dans les coulisses du débat ». « Où vont-aller les électeurs ? », se demandèrent les experts conviés à confronter leurs horoscopes : Arlette Chabot (de LCI), Matthieu Croissandeau (de L’Obs), Soazic Quéméner (de Marianne), et, de nouveau, Jean-Sébastien Ferjou d’Atlantico. En direct de la rue, on eut droit à l’arrivée des candidats interrogés sur leur état d’esprit. Et en direct du plateau de l’émission, un journaliste de terrain nous offrit ses commentaires sur les images des préparatifs et de l’entrée des candidats interrogés, une fois de plus, sur… leur état d’esprit.

Puis vint le match qui, pendant plus de trois heures, réduisit au silence les journalistes sportifs. Et que fait-on après le match ? « On refait le match » [2].


« On refait le match »

Et pour refaire le match, sur LCI, on reprend les commentateurs d’avant match qui, sans dire un mot sur les positions des candidats sur les 15 thèmes mis en débat, s’employèrent à évaluer et à comparer les performances des compétiteurs. Qui s’est imposé et face à qui ? Quand ? Au début ou à la fin ? Qui a remporté les duels ? « Le Pen-Macron : le duel ? », s’interroge un titre à l’écran. Et les commentateurs de répondre à cette question : « Était-ce le duel essentiel ? ». Qu’a-t-on retenu sur LCI ? Non les propositions des candidats, mais les affrontements les plus saillants.

Avouons-le : nous n’avons pas eu le courage d’écouter davantage.

Mais qu’a-t-on retenu sur BFM-TV ? Les « échanges les plus musclés », seuls extraits rediffusés. Tard, très tard, lors d’un journal de la nuit, on entendit de la bouche de la présentatrice ce résumé : « Que retenir de ce débat ? Qu’il fut long : près de trois heures et demi. Plusieurs passes d’armes. C’est allé crescendo ».

Entre-temps, BFM-TV nous avait offert l’inévitable sondage de l’institut Elabe, avec les réponses à cette principale question : « Qui a été le plus convaincant ? ». Un sondage qui ne nous a pas… convaincus : c’est le moins qu’on puisse dire [3]

Aucun cas de dopage ne nous ayant été signalé dans le petit peloton des candidats et dans le grand peloton des accompagnateurs, nous en resterons là pour cette fois, non sans rêvasser : que, dans la suite de la campagne, les journalistes sportifs des chaînes en continu, déguisés en journalistes politiques, abandonnent le journalisme sportif pour s’informer et informer sur les positions en présence, et les présenter avec le plus de précision possible, en toute rigueur.

Mais ce n’est sans doute qu’un rêve.


Henri Maler (avec Pauline Perrenot et Elsa Tremel)


***



Annexe : Quelques exemples de titres sportifs dans la presse écrite

 Libération 20 mars 2017

 Les Inrocks, 21 mars 2017

 Le Parisien, 21 mars 2017

 
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Notes

[2Pour reprendre, dans un contexte qui lui convient, le titre de l’émission de commentaires sportifs animé par Pascal Praud sur RTL.

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