Difficile de ne pas relever, dans cette « Une » de Causeur, une allusion à peine voilée au célèbre slogan du Front national : « La France aux Français ! ». Le contenu du dossier ainsi délicatement annoncé mérite qu’on s’y arrête : Élisabeth Lévy et ses collègues s’en prennent vivement à France Inter, coupable selon eux d’être une radio politiquement homogène et quasiment policière. Pas moins : « Les journalistes, les animateurs et les humoristes de France Inter ont bien sûr le droit d’avoir des opinions politiques. Qu’ils partagent trop souvent les mêmes est déjà un problème. Qu’ils traquent avec rage et constance les opinions déviantes est un déni de service public. »
« L’information se fabrique sous le contrôle sourcilleux des syndicats »
En quoi consiste cette traque ? Réponse, toujours avec Élisabeth Lévy : « Si vous avez le malheur d’être un peu trop réac, trop pessimiste, trop catholique, ou trop souverainiste, et, plus grave encore, si vous avez le mauvais goût de voter FN ou de soutenir la Manif pour tous, vous prenez cher. » En résumé, France Inter est « une radio publique de gauche » qui faillit à sa mission de service public en ne reflétant pas la diversité des opinions existant en France.
Pour le très droitier avocat et essayiste Gilles-William Goldnadel, qui « décrypte toutes les semaines l’actualité pour FigaroVox », le verdict est sans appel : « Sur France Inter, le pluralisme va de la gauche à l’extrême-gauche ». L’universitaire Ingrid Riocreux, contributrice régulière du site de Causeur, renchérit : une journée à l’écoute de France Inter constitue selon elle « un voyage au paradis de la gauche angélique ». Selon Goldnadel, « 90 % des journalistes de Radio France véhiculent, sans même y penser, une idéologie gauchisante sommaire ». L’explication est aussi subtile que le diagnostic : « Il y a très peu de militants encartés, mais l’information se fabrique sous le contrôle sourcilleux des syndicats, qui ne se bornent pas à être extrêmement vigilants pour leurs intérêts corporatistes, mais interviennent dans le contenu de l’information. » Élisabeth Lévy complète ainsi la charge antisyndicale : « [Dans les années 2000], Daniel Mermet régnait en maître sur les esprits et les après-midi. Aujourd’hui, on ne l’entend plus, Laurence Bloch ayant mis fin à sa longue carrière, mais nombre de journalistes qu’il a formés, formatés ou fascinés perpétuent son héritage, en s’appliquant à produire une information aussi manichéenne et prévisible que lui. »
La toute-puissance des syndicats et de Daniel Mermet, que nous ne soupçonnions pas, se traduirait donc par un conformisme de gauche et par un acharnement systématique contre les opinions dissidentes. Les animateurs vedettes de la station en seraient d’ailleurs eux-mêmes victimes, à l’instar de Patrick Cohen : « [Il] a beau être le chef d’orchestre, la partition, déclinée dans les journaux et rubriques diverses, lui est en grande partie imposée et il n’apprécie pas toujours, semble-t-il, les élans parfois robespierristes de la rédaction [...]. La petite musique idéologique qui imprègne l’information traduit moins une ligne éditoriale édictée au sommet que la pensée spontanée de la base. » Résultat : sur France Inter, selon Ingrid Riocreux, « on vous aide à penser dans les clous ». Et les auditeurs sont au diapason, à en croire Goldnadel : « Les auditeurs qui interviennent à l’antenne posent tous des questions de gauche. Le seul sujet, en vérité, c’est l’extrême gauche qui engueule la gauche... Voilà ! » Haro contre le peuple de la rédaction et le peuple des auditeurs : il fallait y penser.
Généralités générales et allusions allusives
Cet implacable constat n’a pas manqué de nous surprendre : nous n’avions jamais remarqué à quel point l’antenne de France Inter était squattée par les gauchistes. Mais, prêts à nous laisser convaincre, nous avons étudié attentivement les preuves à charge apportées par les procureurs de Causeur. Et autant le dire franchement : nous n’avons guère été convaincus. Le dossier du mensuel manque en effet singulièrement de contenu, voire d’honnêteté : il repose principalement sur des vérités très générales, « illustrées » par des allusions très allusives et quelques rares exemples soigneusement choisis.
Ainsi, dans les quatre pages qu’occupe son « article de cadrage » du dossier, Élisabeth Lévy ne se réfère explicitement qu’à une seule émission de France Inter – la revue de presse d’Hélène Jouan datée du 7 octobre 2016 –, et fait trois rapides allusions à d’autres « événements » – sans la moindre citation à l’appui. Le choix du 7 octobre n’est pas innocent, puisque, de l’aveu même d’Élisabeth Lévy, c’était « la première fois » que le mensuel qu’elle dirige était cité par Hélène Jouan. Cette dernière avait en effet consacré ce jour-là une partie de sa revue de presse aux journaux de la « droite décomplexée », évoquant les « Unes » de Valeurs actuelles, du Figaro Magazine et de Causeur, titres qualifiés de « presse bien particulière » ; soulignant, par une référence à un article du Monde à propos de la soirée organisée pour les 50 ans de Valeurs actuelles, « que cette presse-là, ceux qui l’animent et les idées qu’ils défendent ont décidément le vent en poupe » ; et rappelant que les invités de la soirée n’avaient guère eu l’air de s’émouvoir que Valeurs actuelles ait été condamné pour « provocation à la discrimination ». Pas de quoi fouetter un chat, en somme, mais de quoi fâcher Élisabeth Lévy. À ses yeux, ces deux minutes constituent un « petit bijou de propagande » qui autorise cette fulgurante extrapolation : « À France Inter, on adore la différence, l’altérité, l’échange, le métissage. Mais pas avec n’importe qui. Et pas avec moi. De la diversité, en veux-tu en voilà, à condition qu’on ait les mêmes idées ou plutôt les mêmes références plus ou moins mythologiques. »
Suivent trois allusions de la directrice de Causeur, guère plus convaincantes. Première allusion : en 2012, Pascale Clark aurait refusé de se lever pour serrer la main de Nicolas Sarkozy. Deuxième allusion : le 9 mai dernier, France Inter a diffusé les témoignages de quatre femmes accusant Denis Baupin de harcèlement sexuel « sans que lui ou ses avocats aient eu la possibilité de réagir » (du « journalisme d’inquisition » selon Élisabeth Lévy). Troisième allusion : en septembre dernier, Patrick Cohen a reçu la romancière Léonora Miano « qui s’est exprimée à plusieurs reprises au nom “des colonisés”, sans que le premier matinalier de France pense à demander à cette citoyenne française par qui elle était colonisée. » Diantre !
Quelques précisions s’imposent, au risque d’apparaître comme les défenseurs acharnés de France Inter que nous ne sommes pas – ce que chacun pourra vérifier sur notre site. D’abord, comme le rappelle Élisabeth Lévy elle-même, Nicolas Sarkozy, invité le 18 octobre dernier, « a été très satisfait de ses échanges avec Patrick Cohen », et n’est donc visiblement pas un paria sur France Inter. Denis Baupin et ses avocats, quant à eux, avaient été sollicités par France Inter et Mediapart, mais avaient refusé de s’exprimer. Quant à la « citoyenne française » Léonora Miano, qui ne prétend d’ailleurs jamais, au cours de l’interview, s’exprimer « au nom des colonisés », elle est née au Cameroun, y a grandi jusqu’à ses dix-huit ans et possède la double nationalité. Force est donc de constater que la désinvolture d’Élisabeth Lévy, journaliste, est fort peu « déontologique ». Ajoutons que lors de la revue de presse incriminée, Hélène Jouan est lancée par un Patrick Cohen qui précise qu’elle a choisi pour une fois ce jour-là de « chausser les lunettes de l’invité », Raphaël Glucksmann, qui souhaite « désinhiber les progressistes face à une droite de plus en plus décomplexée », et que cette revue de presse singulière ne peut guère être considérée comme représentative du travail quotidien d’Hélène Jouan, dont Élisabeth Lévy ne dit d’ailleurs rien.
« Une journée en Inter » ou une sélection très sélective ?
C’est probablement ce manque de matériau « concret » qui a conduit Causeur à demander à Ingrid Riocreux d’écouter une journée de programmes de France Inter et de rendre compte de son « voyage au paradis de la gauche angélique ». L’article, dont le titre « Une journée en Inter » fait finement référence au film Une journée en enfer, prétend administrer, non sans ironie, une démonstration accablante de cette horreur : sur France Inter, « on vous aide à penser dans les clous ». Mais à y regarder de plus près, on constate rapidement qu’Ingrid Riocreux choisit soigneusement ses exemples et fait preuve d’une propension à la sélectivité qui confine souvent à la mauvaise foi.
Qu’a-t-elle retenu ?
1. un sujet consacré aux prisons payantes de Californie qui serait, selon elle, une « condamnation de l’Amérique comme pays de toutes les inégalités avec, en creux, la valorisation de notre système supposément plus juste » ;
2. un reportage en Chine où l’on apprendrait « que pour être “branché”, où que vous soyez dans le monde, il faut soutenir Hillary [Clinton] » ; une « petite chronique gentillette sur une PME qui a renoué avec la croissance grâce à des méthodes révolutionnaires » ;
3. une chronique de Thomas Legrand qui valorise les initiatives locales d’accueil pour les réfugiés ;
4. des « discours anti-Poutine » ;
_ 5. une interview de Caroline Fourest durant laquelle certains silences de Patrick Cohen signifieraient qu’il faut « entériner le communautarisme, sinon la radicalisation, afin de ne pas l’encourager » ;
6. une critique de l’émission de Karine Lemarchand, « Ambition intime », parce que la présentatrice a eu « l’idée saugrenue d’inviter Marine Le Pen » ;
7. des humoristes qui se moquent de partisans de la corrida et de la « Manif pour tous » ;
8. un reportage aux États-Unis consacré à « une loi qui permet aux clandestins de passer leur permis de conduire » ;
9. une édition du « Téléphone sonne » consacrée à l’agression de policiers à Viry-Châtillon, dont « on confie la conclusion à un sociologue, voix de la sagesse ».
Mais nous avons, nous aussi, écouté l’intégralité de la journée du 11 octobre sur France Inter et, étonnamment, nous n’avons pas entendu la même chose qu’Ingrid Riocreux. En effet, si la cobaye de Causeur s’attarde longuement sur quelques « morceaux choisis » qui vont à l’appui de son propos, elle omet soigneusement de relever quelques éléments « gênants », quand elle ne présente pas de manière biaisée les moments qui ont retenu son attention.
Ingrid Riocreux se réfère à la chronique de Thomas Legrand, mais elle a « oublié » celle du gauchiste Dominique Seux [3]. Celui-ci rappelait ce jour-là que les candidats à la primaire de la droite avaient « raison de dire que les réformes homéopathiques, cela suffit et que le niveau inouï du chômage comme le fait que la France enregistre pour la troisième année consécutive une croissance inférieure à celle de la zone euro, tout cela appelle à agir fort ». Et notre gauchiste de citer pêle-mêle « [la] retraite à 64 ou 65 ans, 300 000 fonctionnaires en moins au minimum, [le] temps de travail à 37 ou 39 heures, [les] impôts à la baisse ».
Ingrid Riocreux a retenu que l’émission « Ambition intime » a été critiquée en raison de l’invitation faite à Marine Le Pen, mais elle a « oublié » que c’est la prestation d’Arnaud Montebourg qui a été tournée en dérision lors de l’émission « L’Instant M ».
Ingrid Riocreux a également soigneusement « oublié » de relever que l’émission « Affaires sensibles », consacrée ce 11 octobre au krach de 2008, recommandait certes la lecture des ouvrages de Frédéric Lordon, mais aussi de ceux de Paul Jorion, qui écrivit un temps pour Causeur et qui fut notamment membre du groupe « Pour une économie positive », présidé par le bolchevik Jacques Attali, dans lequel on retrouvait entre autres les marxistes Jean-Luc Hees, Daniel Cohen et Michel Barnier.
Etc.
Quant à la sélection elle-même, le moins que l’on puisse dire est qu’elle prend parfois quelques libertés avec les faits. Ainsi du reportage en Chine, censément « pro-Hillary » : la majorité du temps de parole est en réalité donné aux arguments des « pro-Trump ». Ainsi également du « Téléphone sonne » qui, outre, en effet, « un sociologue » (Laurent Mucchielli), a lieu en présence... du maire UDI de Viry-Châtillon (Jean-Marie Vilain) et d’un représentant du syndicat de policiers UGP-FO (Luc Poignant [4]).
Si les éléments rapportés par Ingrid Riocreux ne sont pas faux, ils sont ainsi sélectivement déformés et parfois retaillés pour correspondre au propos du dossier de Causeur.
On se permettra enfin de souligner que « l’humour » d’Ingrid Riocreux, qui tourne en dérision les humoristes de France Inter, est d’un goût — si l’on peut dire — plus que douteux. En témoigne ce commentaire au reportage consacré à cette PME qui a bouleversé sa gestion des ressources humaines : « Cerise sur le gâteau, “les trois dernières recrues avec un peu de responsabilités” sont des femmes. L’histoire ne dit pas si l’une d’elles est issue d’une minorité ethnique ou de la communauté LGBTQIA. Le monde n’est pas encore parfait. » Sic.
Critique des médias ou croisade politique ?
Les auteurs du dossier de Causeur, dont le reste est à l’image de ce que nous venons de décrire, ont donc trouvé ce qu’ils cherchaient. Mais le problème est qu’ils ont soigneusement oublié le reste. Quand elle se prétend exhaustive, la critique de l’absence de pluralisme est menacée d’être biaisée et sélective, surtout lorsqu’elle est presque exclusivement motivée, comme c’est le cas pour Causeur, par des partis pris politiques et par la concurrence entre les médias. Critique des médias et critique médiatique font rarement bon ménage.
Nos propres observations ne sont sans doute pas au-dessus de toute contestation, mais leur dimension politique, quand elle existe, n’a rien à voir avec la contre-propagande systématique ou la guéguerre entre partis pris auxquelles se livre Causeur. Ainsi, parce que notre critique du pluralisme, même si elle n’est pas dénuée de présupposés, ne prétend pas à l’exhaustivité et est indépendante de la confrontation qui met aux prises les médias et les journalistes entre eux, nous ne pouvons pas nous défendre d’un grand éclat de rire (et peut-être même d’un peu d’indignation) lorsque Causeur s’obstine à vouloir démontrer que France Inter serait un repaire de gauchistes. Nous avons par exemple analysé les invitations de l’intervieweuse Léa Salamé sur une période d’un an (août 2014-juillet 2015), et en étions notamment arrivés au résultat selon lequel la journaliste avait invité 16 fois plus de patrons que de syndicalistes ou représentants de salariés [5]. Une bien étrange « gauche ». Nous avons également eu l’occasion à de nombreuses reprises de nous pencher sur les interviews de Patrick Cohen ou les éditoriaux d’Arnaud Leparmentier [6] (qui n’est curieusement jamais cité dans le dossier de Causeur), deux journalistes loin d’avoir cédé aux sirènes du gauchisme qui régnerait sur la station, et qui, contrairement à l’omnipotent Daniel Mermet, n’ont pas été mis à la porte.
La « démonstration » de Causeur n’en est pas une, et ne poursuit en réalité qu’un seul but : expliquer, sous couvert de défense du « pluralisme », que ce qui n’est pas assez présent à l’antenne de France Inter, ce sont... les positions défendues par Causeur. Une cause, chacun l’avouera, beaucoup moins noble, et qui n’a pas grand-chose à voir avec la critique des médias. Soulignons ici que ce reproche nous est parfois adressé par une certaine extrême droite qui considère qu’Acrimed aurait pour véritable objectif de faire davantage entendre les idées de la gauche radicale dans les grands médias. Nous invitons chacun à se faire son idée en comparant nos travaux, nos démonstrations et nos arguments à ceux de Causeur dans sa croisade contre le prétendu « gauchisme » de France Inter.
Une croisade à laquelle Valeurs actuelles a également pris part, dans sa livraison du 1er décembre 2016, en sortant une artillerie encore plus lourde que celle du mensuel dirigé par Élisabeth Lévy, comme en témoigne la « Une » de l’hebdomadaire :
On ne pourra tout d’abord s’empêcher de relever que dans l’éditorial de ce numéro, le directeur de la rédaction Yves de Kerdrel est formel : « C’est désormais quasi certain. François Hollande devrait annoncer dans les heures ou dans les jours qui viennent son intention de briguer un second mandat en 2017. [...] Pour tenter d’être réélu, François Hollande piétine cinq années d’engagements, de promesses et de discours pour s’allier à celles [Christiane Taubira, Martine Aubry, Anne Hidalgo] qui ont saboté ses réformes. Et à des idéologues dangereuses, dont le seul but est de déconstruire les pierres angulaires de notre société. » Dans une livraison consacrée notamment aux « mensonges » et autres « manipulations » des médias, c’est gênant. Mais passons, et concentrons- nous sur le dossier qui, tout en étant plus court que celui de Causeur (11 pages contre 20), ressemble à s’y méprendre à ce dernier. On notera d’emblée, et sans surprise, que l’article de cadrage d’Élisabeth Lévy est cité dans l’article de cadrage de Valeurs actuelles, qui convoque également Gilles-William Goldnadel, et que le dossier se clôt par une tribune... d’Ingrid Riocreux. Le monde de la critique droitière des médias est décidément petit !
Une opération médiatique et politique
La problématique du dossier semble d’ailleurs être un copier/coller de celle de Causeur, élargie à l’ensemble des grands médias : « Le problème [n’est] pas que les journalistes aient des opinions mais que, ayant transformé ces opinions en vérité, ils ne parviennent plus à imaginer qu’il en existe d’autres. Le jour où le réel leur en suggère, ce qui arrive de plus en plus souvent, ils choisissent alors de les ignorer. » Un constat auquel nous pourrions presque souscrire, en y introduisant certaines nuances, mais qui ne prend tout son sens, dans le cas de Valeurs actuelles, que lorsqu’on le rapporte à la critique idéologique formulée par l’hebdomadaire : « Les journalistes, dans leur grande majorité, ne sont pas réacs, ils ne croient pas au “déclin” de la France, ils ne sont ni catholiques, ni souverainistes. [...] Dans la presse, à la télé, à la radio, on aime le “vivre-ensemble”, le bio et l’Europe sans frontières. »
Nous y sommes. La « critique » est motivée par de seuls considérants idéologiques, et Valeurs actuelles reprend ici à son compte le « constat » formulé par son invitée Ingrid Riocreux dans son ouvrage La Langue des médias lorsqu’elle expose ce que recouvre, selon elle, la « soumission idéologique » des journalistes : « sans-frontiérisme, antiracisme, européisme, un certain féminisme, une certaine doctrine climatologique, etc. » (p. 39). On apprendra ainsi au long du dossier que « la droite est présente dans les médias mais, comme on dirait au football, elle joue toujours à l’extérieur, en terrain parfois très hostile », que le CSA est « le gendarme de la pensée unique » ou encore que « dans l’univers de l’enseignement, de la culture et de l’information, la prégnance des idées de gauche reste très forte et le terrorisme intellectuel ne désarme pas ».
Nous épargnerons à nos lecteurs et lectrices une critique minutieuse de ces 11 pages riches en clichés, caricatures et outrances, mais de nouveau sans analyse sérieuse des faits. La « Une » donnait le ton : « les médias » sont aux mains des gauchistes et de leur « pensée unique », et c’est ce qui explique la désaffection du grand public à leur égard. Mais que l’on se rassure : « Les choses changent. Fidel Castro est mort. On peut aujourd’hui critiquer le communisme, ce qui était encore très compliqué il y a vingt ans. Peut-être un jour pourra-t-on affirmer que l’immigration n’a pas été une chance pour la France ou que l’islam semble porteur de violence. » Sic.
« Peut-être » oserons-nous émettre l’hypothèse que ce jour est déjà arrivé et qu’à l’instar de Causeur (et de Don Quichotte), Valeurs actuelles se fabrique un adversaire imaginaire, mais à sa mesure : la « gauche bien-pensante » qui aurait, selon ces aventuriers du pluralisme, la mainmise sur les principaux médias. Un « constat » non dénué d’intérêts boutiquiers qui, là encore, ne peut que faire sourire les observateurs sérieux des médias, qui ne critiquent pas le déficit de pluralisme pour la seule raison que leurs opinions propres ne seraient pas suffisamment représentées et refusent de céder à la facilité d’une critique purement idéologique et, partant, hémiplégique. Comme Causeur, Valeurs actuelles semble en effet « oublier » des pans entiers du paysage médiatique, et fabrique une « pensée unique » qui a bien du mal, et pour cause, à s’incarner dans des exemples concrets et dans des études qualitatives ou quantitatives.
Les deux livraisons de Causeur et Valeurs actuelles évoquées dans cet article sont exemplaires de l’opération politique et médiatique menée par une médiacratie de droite qui essaie de surfer sur une légitime défiance à l’égard des grands médias pour faire valoir ses idées, et seulement ses idées, au nom d’une prétendue défense du pluralisme. Une tentative de hold-up sur la critique des médias qui, de raccourcis en amalgames et d’omissions en petits mensonges, dévoile son vrai visage et ses véritables objectifs, quitte à frôler parfois le ridicule dans la dénonciation d’une prétendue « bien-pensance de gauche » omniprésente dans les grands médias.
C’est ainsi que Causeur, obnubilé par sa dénonciation du « gauchisme » de France Inter, ne s’est pas livré à une opération élémentaire que nous n’avons pour notre part pas manqué de réaliser : vérifier si les invités du mensuel iconoclaste dirigé par Élisabeth Lévy avaient ou non droit de cité sur la si conformiste France Inter. Résultat : sur les cinq invités « hors dossier » interviewés par Causeur en novembre 2016, trois l’ont également été sur France Inter : Patrick Buisson (invité de la matinale le 29 novembre), Frédéric Encel (invité de la matinale le 20 décembre) et le cinéaste Asghar Farhadi (invité de « L’heure bleue » le 4 novembre). Piqués par la curiosité, nous avons réalisé le même exercice pour les interviewés de décembre, et le résultat est identique : sur les cinq personnalités invitées par Causeur, trois l’ont également été par France Inter : le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio (invité du « Nouveau rendez- vous » le 24 octobre), le géographe Christophe Guilluy (invité du « Club des idées » le 2 octobre) et le réalisateur Olivier Assayas (invité de « La bande originale » le 14 décembre). Tout ça pour ça ?
Julien Salingue