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EN BREF

Quand les médias dominants consacrent la « bonne » critique des médias

par Benjamin Lagues, Denis Souchon,

Depuis la parution début février 2015 de son livre Sauver les médias, Julia Cagé est régulièrement invitée dans les médias dominants pour exposer son diagnostic sur l’état du paysage médiatique et ses préconisations pour le sauver. Bien que son ouvrage, qui porte essentiellement sur les structures capitalistiques de la presse écrite, soit souvent fondé dans ses analyses, dont nous avons pointé les limites ici [1], le nombre d’invitations dont elle bénéficie interroge : si le thème du devenir des médias intéresse tant, pourquoi d’autres formes d’analyses (notamment critiques et radicales) sont-elles si peu, pour ne pas dire jamais, entendues dans les colonnes ou sur les ondes des « grands » médias ?

La liste (peut-être non exhaustive !) des très nombreuses invitations dont Julia Cagé a bénéficié depuis la sortie de son livre le 5 février dernier (voir en annexe), illustre les logiques sociales de sélection des experts médiatiques et le manque de pluralisme auquel elles aboutissent. Ainsi, il aura suffi d’un livre et de quelques semaines à Julia Cagé pour s’imposer comme l’experte ès médias que tous les médias s’arrachent – rejoignant le petit club fermé des experts accrédités sur la question, tels Dominique Wolton, Jean-Marie Charon, ou Jean-Louis Missika.

Le corollaire de cette ubiquité médiatique est la fermeture des médias aux autres formes de critique des médias. En ce sens, la présence dans les médias de Julia Cagé est un révélateur de ce que l’espace médiatique est disposé à tolérer à propos de ce qu’il est. Et si l’on ne peut que se réjouir d’entendre dans les grands médias un discours qui esquisse une critique de la propriété des médias, ainsi que des propositions pour y remédier, on ne peut que déplorer que ce soit le seul discours critique audible.

Cette omniprésence médiatique s’explique notamment par le suivisme et le conformisme des rédactions qui veulent rester en terrain connu (et prévisible) avec des invités au pedigree professionnel impeccable (et très « institutionnel ») [2], et possédant toutes les qualités du « bon client » (aisance, disponibilité, phrases courtes, disposition à commenter des sujets relativement différents) qui font qu’elle et son discours sont quasiment d’emblée ajustés aux attentes des chefferies éditoriales.

C’est finalement très (socio)logiquement, que le 2 novembre 2015 le Conseil supérieur de l’AFP a nommé Julia Cagé au sein de son conseil d’administration en tant que personnalité qualifiée. Ou comment les grands médias consacrent eux-mêmes la « bonne » critique des médias… pour mieux la digérer ?

Benjamin Lagues et Denis Souchon


Annexe

Interventions du 05/02 au 08/10/2015 de Julia Cagé dans les médias à propos de son livre et/ou de la question des médias :

05/02/2015, invitée des Matins de France Culture

05/02/2015, interview dans Télérama

06/02/2015, interview dans Les Inrocks

06/02/2015, invitée de L’invité de l’éco sur France 24

11/02/2015, invitée d’Europe 1 social club

13/02/2015, interview dans Libération

14/02/2015, invitée de Médialogues sur la RTS

19/02/2015, invitée de L’instant M sur France Inter

20/02/2015, interview dans La Croix

Entretien dans le numéro de mars 2015 d’Alternatives économiques

01/3/2015, interview dans Mediapart

04/3/2015, invitée de Precepta stratégiques TV

14/3/2015, invitée de La suite dans les idées sur France Culture

21/3/2015, invitée de L’atelier des médias sur RFI

28/3/2015, invitée du Grand Oral La Première - Le Soir

03/4/2015, interviewée dans 20 minutes

03/4/2015, participation à Ce soir ou jamais sur France 2

13/4/2015, interview sur le site BSC news

05/6/2015, interviewée dans Stratégies Magazine

15/6/2015, invitée de La grande table sur France Culture

21/6/2015, invitée de L’alphabet numérique sur France Culture

10/7/2015, invitée de Mediapart

03/9/2015, invitée de L’instant M sur France Inter

04/9/2015, interviewée dans La Tribune

10/9/2015, invitée de La matinale d’Europe 1

17/9/2015, invitée des Matins de France Culture

20/9/2015, invitée de Média le Mag sur France 5

22/9/2015, invitée du Téléphone de France Inter

08/10/2015, interviewée sur le site Atlantico

 
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Notes

[1En soulignant notamment « [qu’]une cogestion qui associe les petits porteurs (salariés et lecteurs) aux grands actionnaires est des plus discutables, notamment parce que la gestion proposée ne semble pas distinguer les options économiques et l’orientation éditoriale. Si des mesures de démocratisation ne sont pas à rejeter par principe, le projet global d’une "démocratisation du capitalisme", à supposer qu’il ne soit pas une chimère comme on est en droit de le penser, exigerait des transformations d’une tout autre ampleur. »

[2Diplômée de l’École normale supérieure et de Harvard, Julia Cagé est professeur d’économie à Sciences Po Paris ; elle est par ailleurs membre de la Commission économique de la Nation, et a travaillé pour l’OCDE, la Banque Mondiale et la Commission européenne.

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