Une présentation biaisée
D’une manière générale, les critiques émises à l’encontre de Lorànt Deutsch, ou plus précisément de sa conférence organisée par des institutions publiques [3] ont été au mieux passées sous silence, au pire grossièrement caricaturées, et toujours réduites à un quelconque « billet de blog » éructé du fin fond de l’internet [4].
Au-delà du titre sans nuance du Point, on peut lire dans le corps de l’article que si des enseignants ont protesté contre sa venue, c’est simplement parce qu’ils « ne partagent pas son approche de l’histoire ». De même, dans l’interview de Lorànt Deutsch au Figaro, les critiques sont vite expédiées : « La vision enthousiaste de l’histoire de France de Lorànt Deutsch, auteur à succès d’ouvrages de vulgarisation, ne semble pas faire l’unanimité dans le corps enseignant. » La défiance qu’il suscite dans le monde enseignant est donc ramenée à des différences de « valeurs » et d’« approche » ; et qui peut mieux que… Lorànt Deutsch lui-même, longuement cité, voire interviewé, expliquer au lecteur en quoi consistent ces différences ? Manière bien étrange d’informer sur une polémique que d’en confier le compte rendu à l’un, et un seul, de ses protagonistes…
L’article du Parisien consacré à la polémique repose sur le même procédé. Les critiques sont rapidement exposées en une citation, avant que la parole ne soit donnée à Nicolas Dainville, conseiller départemental suppléant (DVD) qui, soutenant le comédien, dénonce la « position sectaire » des enseignants et invoque rien moins qu’une grave « atteinte au principe même de la liberté d’expression ». Une accusation un rien saugrenue, voire outrancière, ce qui n’empêchera pas un journaliste du Figaro de l’utiliser aussi dans une question au comédien : « Vous défendez une passion désintéressée de l’histoire mais vos censeurs vous reprochent de la teinter d’idées monarchistes... ». Puis, le 25 octobre, Le Figaro diffuse une tribune appuyant cette idée de censure : « Affaire Lorànt Deutsch : quand les enseignants s’érigent en grands prêtres de l’Histoire ».
Le chapô de la publication, écrit par Le Figaro pour introduire la tribune, résume ainsi le contexte dans lequel elle intervient : « Deux professeurs d’Histoire ont mis leur veto à la tenue d’une conférence de Lorànt Deutsch. » On ne dira rien de plus sur les propos du « tribun » qui affirme que les enseignants, ces « censeurs trappistes », sont bien en peine de « justifier leur veto à la tenue d’une conférence de Lorànt Deutsch [qui] s’est donc vu interdire l’accès de cette cité de la banlieue parisienne, dont la majorité des habitants sont issus de l’immigration. » [5]
La parole au seul Lorànt Deutsch
On n’attendait évidemment pas du Figaro ou du Point qu’ils prennent fait et cause pour les enseignants ayant considéré que leurs élèves pouvaient tout à fait se dispenser de la conférence de Lorànt Deutsch, mais au moins auraient-ils pu, auraient-ils dû restituer leur argumentaire [6]. L’art de la synthèse du Point cache mal l’asymétrie qui structure son article, un seul paragraphe étant consacré aux critiques adressées à Lorànt Deutsch, avant que trois paragraphes ne lui offrent un boulevard pour réduire ses contempteurs à des idéologues, tout en balayant d’un revers de main la question de sa propre orientation idéologique :
L’écrivain, qui a choisi d’annuler sa visite, dénonce un parti pris idéologique et fait référence au militantisme de deux enseignants encartés au Front de gauche. « Ces deux enseignants, dont je ne remets pas du tout les compétences en cause, sont des militants du Front de gauche. Leur démarche est, me semble-t-il, idéologique. Je souhaite simplement rencontrer les élèves pour leur faire partager ma passion de l’histoire. Eux, ils se servent de l’histoire pour faire passer des idées politiques », explique-t-il. « Ceux qui me reprochent d’être un historien militant sont souvent des militants du Front de gauche qui n’hésitent pas à professer leur idéologie. C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité. […] Je n’ai jamais été encarté dans le moindre parti politique », se défend-il. [7]
Une bien triste et scandaleuse histoire, donc : dans une démarche aussi généreuse que désintéressée, un comédien reconnu, amateur éclairé et « auteur à succès d’ouvrages de vulgarisation », souhaitant simplement faire partager bénévolement « sa vision enthousiaste de l’histoire de France » et transmettre sa passion (pour l’histoire et pour la France) à des adolescents issus de quartiers défavorisés, a dû renoncer face aux « levées de boucliers » d’enseignants politisés et à la démarche militante !
Incontestablement, Lorànt Deutsch a le sens du récit ; récit qu’il a pu librement livrer au Figaro et au Parisien, ensuite repris dans toute la presse, sans que jamais la parole ne soit donnée à celles et ceux qui le critiquent. Sans non plus que les journalistes volant au secours de Lorànt Deutsch n’aient l’idée de vérifier ses dires. Ils auraient alors pu découvrir que les deux enseignants mis en cause comme des militants du Front de gauche ne sont en réalité encartés dans aucun parti politique ainsi qu’Alexis Corbière, responsable du Parti de gauche, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon et professeur d’histoire lui-même, a dû l’expliquer dans sa tribune parue le 25 octobre sur le site du Figaro.
Et comme si permettre à Lorànt Deutsch de déployer sa défense en partie mensongère sans rencontrer la moindre contradiction ne suffisait pas, l’iconographie choisie par certains médias, Figaro en tête, contribue également à la construction d’un personnage éminemment sympathique et populaire. Visiblement, Lorànt Deutsch, lui, arrive à faire sourire les enfants :
Au Figaro :
Sur 78Actu :
Ou encore au Parisien :
Cette petite revue de presse montre pourtant que Lorànt Deutsch, en guise de « censure », a eu droit à une couverture médiatique importante et tout à son avantage. On ne peut pas en dire autant des enseignants, qui ne bénéficient ni de citations dans les titres des articles, ni d’interviews, ni des choix iconographiques avantageux pour la star de l’histoire.
Vincent Bollenot (avec Blaise Magnin)