Dans son numéro 2119 du 25 avril 2013, le magazine possédé par le milliardaire François Pinault a produit un énième dossier sur une France forcément « bloquée » qui « ne travaillerait pas assez » et qu’il conviendrait donc de « réveiller » par des (contre) réformes radicales par leur niveau... de régression sociale. Son titre racoleur, confirmé assez largement par le contenu étant le suivant : « Les vrais chiffres du temps de travail et du chômage. Les Français sont-ils paresseux ? »
Parce qu’il concerne un champ professionnel dans lequel notre syndicat intervient, SUD Intérieur ne s’attarde ici que sur un passage contenu dans un « article » au titre tellement... surprenant de « Quelques paradis pour bulleurs... » (page 80), qui, quelle surprise..., ne relève parmi eux que des agents publics ou anciennement (dockers). Les fonctionnaires des sous-préfectures ont donc appris à cette occasion grâce aux « limiers » du Point qu’ils ne « foutaient » rien [1]. Encart dans son intégralité : « Ils sont 5 580 fonctionnaires [chiffre 2010] (qui empochent près de 7 000 euros bruts en fin de carrière) en mal de travail. Et pour cause, depuis que des prérogatives leur ont été retirées (comme la délivrance de titres réglementaires, transférée aux collectivités locales), les employés des sous-préfectures se tournent les pouces et avec eux les 456 sous-préfets [2]. Leur service est "inconsistant" selon la Cour des comptes. »
Libre au Point de vociférer que les fonctionnaires sont trop nombreux et, par ailleurs des « glandeurs ». Plus problématique est la désinformation pratiquée à partir de mensonges caractérisés ou de biais orientés, servant simplement à justifier une conclusion écrite d’avance. Car la première obligation d’un organe qui a la vanité de se prétendre « d’information » ne serait-elle pas justement d’informer et, par conséquent, de renvoyer à des sources vérifiables ? SUD Intérieur va vous démonter, qu’en la matière, Le Point s’est lamentablement « vautré ».
Une myriade d’approximations et de mensonges caractérisés
« 5 580 fonctionnaires qui empochent près de 7 000 euros bruts en fin de carrière. »
Spectaculaire, cette "révélation" n’en est pas moins une véritable affabulation. SUD Intérieur est en mesure de vous affirmer que seuls les sous-préfets sont susceptibles d’atteindre cette rémunération.
En dehors de ce corps, la rémunération mensuelle brute maximum envisageable pour un fonctionnaire serait de :
- 4 458,97 € au titre du traitement indiciaire de base en fin de carrière - pour les seuls emplois fonctionnels de conseiller d’administration et chef des services techniques [3] ;
- 277,82 € de nouvelle bonification indiciaire (NBI), complément attribué selon la nature des fonctions occupées et sa situation géographique [4] ;
- 1 543,16 € de prime de fonctions (part F de prime de fonctions et de résultats (PFR) servie aux seuls corps de catégorie A [5] ;
- 150 € de prime de résultats (part R de la PFR). Soit 800 € annuels, un maximum rarement attribué par ailleurs [6].
Soit un total de 6 429,95 € que seuls une poignée de fonctionnaires sont en mesure d’atteindre en fin de carrière. Il aurait pourtant suffi aux « limiers » du Point de quelques minutes seulement de consultation des grilles indiciaires et de régime indemnitaire de la fonction publique pour établir ce diagnostic.
« Depuis que des prérogatives leur ont été retirées (comme la délivrance de titres réglementaires, transférée aux collectivités locales), les employés des sous-préfectures se tournent les pouces et avec eux les 456 sous-préfets. Leur service est “inconsistant ”selon la Cour des comptes. »
Au-delà du caractère insultant à l’endroit des agents évoluant en sous-préfectures, cette affirmation démontre une méconnaissance totale de leur activité, faussement réduite à ses seules fonctions de délivrance de titres réglementaires (dont le magazine se garde bien de détailler la liste), qui par ailleurs, pour bon nombre d’entre elles, continue de perdurer, totalement ou partiellement selon les cas.
Notre syndicat connaît bien le champ professionnel dans lequel il évolue, donc il sait, lui, ce qui s’y passe... Sachant que nous ne sommes pas les seuls à dire que la délivrance des titres n’a pas disparu. Ainsi dans son rapport public annuel 2012, dans sa partie consacrée aux sous-préfectures, la Cour des comptes signalait que « 23 sous-préfectures ne délivraient plus aucun titre et 85 ne délivraient plus de cartes grises en juin 2011 » [7]. Sur... 242.
En outre, même une réduction de « voilure » ne signifie pas « se tourner les pouces », bien au contraire, comme les « limiers » du Point auraient pu s’en rendre compte s’ils avaient effectué les quelques kilomètres qui les séparaient des sous-préfectures d’Île-de-France.
Ainsi, dans son annexe 2 sur le rapport accompagnant le projet de loi de finances 2013, le député Laurent Baumel, rapporteur spécial de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » signale, pour ce qui concerne les passeports biométriques et les cartes nationales d’identité, que « l’instruction et le contrôle sont intégralement réalisés en préfecture pour ces deux titres, après transmission des demandes réceptionnées en mairie » [8].
Il conclut enfin que les sous-préfectures sont sans doute tout, sauf... inutiles : « Sous réserve de ce que permettent les schémas d’emploi, une réforme ambitieuse pourrait, a priori, aussi bien conduire à réduire les effectifs dans certaines sous-préfectures qu’à procéder à des recrutements dans d’autres ». Les options qu’il préconise ne vont donc pas dans le sens d’une suppression massive des sous-préfectures, mais bien vers une évolution de leurs prérogatives - ajustées en fonctions de spécificités locales - voire de leurs implantations.
Enfin, le magazine fait dire au rapport de la Cour des comptes précité (dont il ne donne pas la date ni le lien pour le consulter) ce qu’il ne dit pas vraiment. Celui-ci, n’a jamais parlé d’un service « inconsistant », puisqu’il indique que « l’enquête récemment conduite par la Cour fait aussi apparaître un hiatus croissant entre l’intangibilité du réseau des sous-préfectures et les transformations de leur environnement, aussi bien économique et social qu’administratif. Ce niveau infra-départemental de l’administration de l’État devient de plus en plus inconsistant. »
Ce n’est pas exactement la même chose. Le Point a donc extrait un seul mot (sur 30 pages !!!) de son contexte pour accréditer la thèse qu’il défend : les sous-préfectures et les fonctionnaires qui y travaillent ne servent à rien.
Extraits de la charte d’éthique professionnelle des journalistes [9].
« Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des conditions d’exercice qu’elles nécessitent. La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources. »
Indiscutablement, le magazine n’a pas respecté ces obligations (non contraignantes), notamment parce qu’il ne fait guère de doute que le petit article rédigé sur les sous-préfectures (comme d’ailleurs l’ensemble du dossier vraisemblablement) a été bâclé, au mépris de tout travail sérieux d’enquête permettant de mettre en perspective les enjeux liés à la densité de leur maillage sur le territoire.
Le temps, c’est de l’argent, et pour le magazine possédé par le milliardaire François Pinault et régi, comme toute entreprise capitaliste, par la maximisation des profits, envoyer des journalistes enquêter en profondeur sur le sujet n’était certainement pas à l’ordre du jour.
Ce phénomène, couplé aux présupposés idéologiques d’un nombre important de journalistes - et à coup sûr des chefferies éditoriales des médias dominants dont celle du Point - sur le poids exorbitant des fonctionnaires [10], ne pouvait qu’engendrer un tel « article ».
Publication de fausse nouvelle
L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit que « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. »
Le site de la direction générale des médias et industries culturelles précisant que « les tribunaux considèrent que le délit est constitué dès lors que la fausse nouvelle est imputable à un journaliste professionnel à même de vérifier les renseignements obtenus par lui et qu’il y a eu de sa part une volonté délibérée de répandre cette fausse nouvelle » [11].
Si nous citons cette loi, à la suite des extraits de la charte ci-dessus, ce n’est certainement pas pour envisager de poursuivre le magazine en justice, mais bien pour montrer qu’une information de qualité est un bien public qui appartient à tout le monde et qu’elle doit être dégagée des contraintes économiques qui la rendent difficile à défaut d’impossible, le cas que nous évoquons dans ce tract le mettant en lumière de manière édifiante.
Le Point « gavé » d’argent...public !!!
Si l’hebdomadaire vocifère donc depuis des années contre le prétendu « trop plein » de fonctionnaires, leur coût « forcément » exorbitant et la « nécessité » de réduire les dépenses publiques s’y rattachant, il s’est toujours bien gardé d’accorder une très grande publicité auprès de ses lecteurs sur les aides publiques financées par... les contribuables qu’il reçoit chaque année de cet État dispendieux : 4 543 178 € d’aides directes pour l’année 2011 [12], une moyenne de 4 501 245 € sur la période 2009-2011 [13].
À cela, il faut y ajouter les aides indirectes comme le taux réduit de TVA à 2,1 %, des tarifs postaux préférentiels la déduction spéciale prévue en faveur des entreprises de presse qui bénéficie à 76 entreprises de presse et la réduction d’impôt pour souscription au capital des sociétés de presse qui bénéficie à 50 entreprises ayant un coût marginal [14], l’exonération de la contribution foncière ou le bénéfice d’un abattement de 20 % de cotisations sociales sur les rémunérations versées aux journalistes [15]. Excusez du peu...
SUD Intérieur a donc décidé de réparer ce « malencontreux » oubli. INFORMER n’est donc pas donné à tout le monde !
Nous attendons par contre toujours que Franz-Olivier Giesbert, le PDG du Point, qui bénéficie, en outre, lui-même et à titre personnel des « largesses » de l’État - qui le rémunère depuis 2001 sur les différentes chaînes publiques [16] - informe régulièrement ses lecteurs de cette « gabegie » absolument intolérable d’argent public à l’endroit de... l’hebdomadaire...
Soyez en tous cas certains que si un gouvernement venait à décider de diminuer les aides à la presse attribuées au magazine, Franz-Olivier Giesbert et ses acolytes monteraient immédiatement au « créneau » pour hurler à une atteinte intolérable au pluralisme et, par conséquent, à la démocratie, que naturellement, on « assassinerait ».
Si « assassinat » du pluralisme il devait y avoir, c’est plutôt du côté du... Point qu’il faudrait le rechercher, lui qui le brutalise consciencieusement depuis des années en nous « mutilant » d’une vulgate néolibérale qui ne peut que plaire à son propriétaire, François Pinault, qui n’a même pas besoin de donner ses ordres en ce sens tellement la chefferie éditoriale du magazine notamment récite son catéchisme chaque semaine avec gourmandise.
Comme vous pouvez le constater SUD Intérieur, a, lui, réalisé une enquête fouillée, vérifié ses informations et renvoie en outre à des sources identifiables et contrôlables. Les « paresseux » ne sont donc pas ceux que l’on croit...
SUD Intérieur a interpellé Le Point
Le 30 avril dernier. Pourquoi ? D’abord parce que nous avions lu sur le site de l’hebdomadaire la chose suivante : « Vous avez une question, une remarque, des suggestions ? Toute l’équipe du Point et du Point.fr sera heureuse de vous répondre » [17].
Fort de cette « invitation » au dialogue, SUD Intérieur avait écrit, via l’adresse électronique dédiée du magazine, aux directeurs de publication, à la rédaction ainsi qu’aux rédactrices et rédacteurs du « dossier » pour leur demander, entre autres, des réponses à nos questions sur les raisons des carences informatives de la partie consacrée aux sous-préfectures, mais aussi de présenter des excuses aux agents pour de telles calomnies [18], tout en leur précisant que nous restions naturellement à leur entière disposition pour discuter avec eux du sujet. Préférant cette initiative à celle d’un illusoire droit de réponse.
À ce jour, toujours aucune nouvelle... On se demande bien pourquoi.
SUD Intérieur