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TF1 et France 2 au secours des mal-aimés de la police

par Julien Salingue,

Le mercredi 18 mai étaient organisés, dans plusieurs villes de France, des rassemblements contre la « haine anti-flics », à l’initiative de plusieurs syndicats de policiers. Une telle mobilisation ne pouvait manquer d’attirer l’attention des médias, et il nous a semblé utile de scruter attentivement la couverture de ces rassemblements par les deux principaux journaux télévisés de la mi-journée, ceux de TF1 et de France 2. Et nous n’avons pas été déçus, a fortiori lorsque l’on compare le traitement de la mobilisation policière avec celui d’autres mobilisations organisées le même jour : celle des routiers et celle des cheminots.

I) Sur TF1 : « remonter le moral des forces de l’ordre »

À tout seigneur tout honneur, c’est par le 13h de Jean-Pierre Pernaut que nous commencerons cette étude. Le JT s’ouvre par deux sujets consacrés aux routiers et aux cheminots mobilisés.


Amuse-bouche

À propos des routiers, TF1 a choisi un angle… original : s’intéresser, non aux motifs de la grève, mais à ses conséquences. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 1’25 de reportage, 1’15 (soit près de 90% du temps) sont consacrées aux répercussions de la grève des routiers au Havre, avec entre autres les embouteillages et le début de pénurie de carburant. L’inévitable micro-trottoir donne la parole à plusieurs automobilistes, forcément en colère, durant 25’’. Et même si 10’’ sont généreusement accordées au co-secrétaire de l’union locale CGT, on ne saura à peu près rien des motifs de la grève et des revendications des grévistes.

Puis, vient le tour des cheminots. Ou plutôt, des « usagers ». Dans le lancement d’un sujet lui aussi exclusivement occupé par les conséquences de la grève, Jean-Pierre Pernaut précise : « motif de ce conflit : les négociations sur les règles de travail des cheminots ». C’est tout ? C’est tout. Et l’on n’en apprendra pas davantage dans le « reportage » tourné en gare de Toulouse, dont plus de la moitié du temps (40’’) consiste en… un micro-trottoir réalisé auprès des « usagers ». Aucun cheminot ou représentant des cheminots n’est interrogé. On ne saura donc rien, là encore, des motivations des grévistes. On apprendra toutefois qu’ils sont 15% « selon la direction ». Et selon les syndicats ? Mystère.


« Une mobilisation exceptionnelle »

Après ces amuse-bouche, vient l’heure de la mobilisation « exceptionnelle », selon les termes de Jean-Pierre Pernaut, des policiers. Une fois n’est pas coutume, le présentateur du JT de TF1 prend le temps de détailler les motifs de la mobilisation, avec un lancement explicatif de 35 secondes, durant lequel on apprend, entre autres, que les rassemblements sont « à l’appel de tous les syndicats de policiers, excédés par deux mois de violences dans les manifestations contre la Loi travail », que « les policiers veulent dire leur désarroi » et que « c’est toute une profession qui se sent dénigrée et insultée, y compris par les affiches de la CGT il y a quelques jours ».

Le reportage qui suit est tout à la gloire des policiers, et la parole est donnée à deux représentants syndicaux (Alliance et le Syndicat des commissaires de police), qui peuvent s’exprimer durant plus de 30 secondes sur les raisons de leur mobilisation. Puis, retour plateau, et Jean-Pierre Pernaut questionne, en duplex, Pierre Baretti, en direct de la place de la République. La réponse de ce dernier mérite d’être reproduite in extenso :

C’est vraiment une première du genre puisque là ce n’est pas une manifestation catégorielle. Un mois avant les attentats, le 14 octobre, Place Vendôme, les policiers avaient manifesté pour des moyens. Cette fois-ci c’est vraiment plus qu’un coup de gueule, c’est un signal d’alarme au gouvernement en disant « nous on nous dénigre systématiquement, nous sommes visés, nous sommes des cibles d’une minorité violente, nous n’accepterons pas ça plus longtemps ». C’est bien ce qu’ils sont venus dire. Et les chiffres que vous avez rappelés, 350 blessés chez les CRS, les gendarmes mobiles et les policiers en civil sont là pour tout dire, il y a eu des manifestations extrêmement violentes, les policiers qui ont pris des pavés, des fusées de détresse, bref, toutes les munitions à la disposition d’une frange extrêmement violente. Les policiers surtout nous disent autour de nous aussi qu’ils aimeraient être mieux commandés, plus vite, pour pouvoir réagir non pas pour réprimer, mais pour éviter ces grands débordements. Il y a eu d’ailleurs une grande vidéo, derrière nous, qui a été diffusée, pour dire non à la haine du flic, non à ce que tous les policiers de France ressentent, cette peur, cette haine du flic, c’est cela qu’ils veulent dénoncer aujourd’hui.

A-t-on vraiment besoin d’insister sur l’exceptionnelle empathie du journaliste de TF1, visiblement de tout cœur avec les policiers mobilisés ? Et surtout, est-il nécessaire de souligner à quel point le JT de Jean-Pierre Pernaut illustre, jusqu’à l’excès, le « deux poids deux mesures » dans le traitement des mobilisations, selon qu’il s’agisse de cheminots (et de routiers) ou de policiers ?


Remonter le moral de la police

Après Paris (et 25 secondes de Bernard Cazeneuve déclarant son soutien aux policiers), TF1 nous propose quelques images de la mobilisation des policiers à Nantes (« où il y a eu tant de violences lors des manifestations de ces dernières semaines »). Puis, Jean-Pierre Pernaut évoque le sondage publié par Le Parisien le 18 mai au matin, selon lequel 82% des personnes interrogées auraient « une bonne opinion des policiers ». Nous aurons probablement l’occasion de revenir sur ce sondage qui, comme tout sondage, comporte de nombreux biais, mais ce qui nous intéresse ici est la lecture et l’interprétation qu’en fait Jean-Pierre Pernaut. En effet, selon le présentateur du JT, « [les policiers mobilisés] dénoncent la haine anti-flics et une immense majorité de Français les soutient. Dans un sondage publié ce matin par Le Parisien, 82% des Français ont une bonne opinion de la police et 91% comprennent leur ras-le-bol d’aujourd’hui ». Une question aurait-elle été posée concernant la mobilisation du 18 mai ? Vérification faite, non. Les 91% correspondent en réalité au taux de réponse favorable à la question suivante : « Avec l’état d’urgence qui dure depuis des mois, le mouvement Nuit debout et les manifestations contre la loi El Khomri, de plus en plus de policiers disent ressentir du ras-le-bol et de la fatigue physique et morale. Vous, personnellement, les comprenez-vous ? ». La question, dont la formulation est déjà fort discutable, ne porte donc absolument pas sur la mobilisation du 18 mai qui dénonce, rappelons-le, la « haine anti-flics ». Mais ce n’est pas un problème pour Jean-Pierre Pernaut, qui réussit à transformer les réponses à cette question en soutien à la mobilisation…

Suit alors un court reportage réalisé à Lille, destiné à illustrer les résultats du sondage, avec un inévitable… micro-trottoir. Durant 35’’, des passants s’expriment et témoignent de leur confiance, de leur soutien, de leur empathie pour les policiers. Et, pour terminer en fanfare, la journaliste nous apprend que « même chez les plus jeunes, l’image du policier qui secourt et protège existe encore » [1]. Preuve à l’appui (?) avec le témoignage d’un jeune, sans aucun doute choisi au hasard, qui affirme, dans un court extrait de 7 secondes, qu’il n’a « pas de raison particulière de ne pas aimer la police ». CQFD.

La conclusion de ces 6’30 consacrées à la mobilisation policière peut alors être énoncée : « De quoi peut-être remonter un peu le moral des forces de l’ordre, en plein état d’urgence depuis plusieurs mois ». « Remonter la moral des forces de l’ordre » : tel était sans doute l’objectif du JT de Jean-Pierre Pernaut. Mission accomplie ?


II) Sur France 2 : « les policiers sont soutenus par les commerçants »


Les commerçants « solidaires » ?

Le JT de France 2 a choisi d’ouvrir avec la mobilisation des policiers, tout en y consacrant un peu moins de temps (5’05) que TF1. Et là encore, tout est fait pour susciter l’empathie, sinon la sympathie des téléspectateurs, à commencer par le lancement en plateau : « C’est donc un mouvement exceptionnel. Des policiers, en ce moment dans la rue, parce qu’ils se sentent mal-aimés, agressés. Applaudis après les attentats, ils sont pris pour cibles depuis le début des manifestations contre la Loi travail. Plus de 300 agents blessés depuis deux mois ». Idem avec le lancement du sujet tourné à Paris : « Cette fois ce sont eux qui manifestent. Des centaines de policiers place de la République, là même où plusieurs rassemblements de Nuit debout ont dégénéré. Les policiers dénoncent les violences à leur encontre. 350 d’entre eux ont été blessés depuis le début des manifestations contre la Loi travail ». Les raisons de la mobilisation sont là encore longuement rappelées (violences dans les manifestations, policiers blessés, etc.), et la parole est donnée aux représentants syndicaux, avec 35’’ d’interviews. Ce qui ne sera pas le cas, comme on le verra, des cheminots et des routiers…

Petite originalité (service public oblige ?) avec un sujet réalisé « à Rennes, ville où les manifestations contre la Loi travail ont été très violentes » et où, apprend-on, « les policiers sont soutenus par les commerçants, excédés eux aussi par les casseurs ». À l’écran, cela donne ça :




Qu’apprend-on dans le reportage ? Que « les » commerçants, donc, sont « excédés » : « vitrines dégradées, baisse de fréquentation et de chiffre d’affaires ». Illustration (?) avec des images du rassemblement des policiers à Rennes, où « une centaine de policiers excédés [décidément, que d’excès !] manifestent devant le commissariat ». Et, apprend-on : « Dans le rassemblement, quelques commerçants de la ville ». La démonstration que « les commerçants » de Rennes « soutiennent » les policiers s’appuie donc sur la présence de « quelques »-uns d’entre eux dans le rassemblement… La parole leur est (évidemment) donnée par France 2, avec le témoignage d’une commerçante présente. Retour en centre-ville ensuite, où, nous dit-on « les commerçants comprennent l’exaspération des policiers » et « tous sont concernés par les violences ». D’ailleurs, deux commerçantes interviewées par France 2 le confirment. Une enquête rondement menée ! On se demande si le journaliste a demandé aux commerçantes ce qu’elles pensaient du tir de flashball qui a valu à un jeune Rennais, âgé de 21 ans, de perdre un œil. Mais on a comme un doute.


Cheminots, routiers, circulez !

La mobilisation à la SNCF fait l’objet du reportage suivant. Le ton change soudain en plateau, ainsi que la qualité des informations quant aux raisons de la mobilisation. En témoigne le lancement : « Dans ce contexte social très chargé, l’autre actualité de la matinée c’est la grève des cheminots à la SNCF. Conséquence, d’importantes perturbations sur les rails et en gare pour les voyageurs ». C’est tout ? Là encore, oui, c’est tout. Et comme on pouvait s’y attendre, ce n’est pas le reportage qui nous en apprendra davantage, puisque le sujet de 1’35 consacré à la grève des cheminots (soit quatre fois moins que pour les policiers) est en intégralité centré sur les perturbations (avec 45’’ de micro-trottoir), avec seulement… six secondes (et une phrase) consacrées aux raisons de la grève : « une grève, à l’appel de la CGT et Sud-Rail, contre la Loi El Khomri, et pour défendre le statut des cheminots ». Point. Comme sur TF1, aucun cheminot, et aucun représentant des cheminots, n’est interrogé.

Avant de « passer » à la mobilisation des routiers, le JT de France 2 informe : « Et notez que demain le trafic sera aussi perturbé dans les airs, en raison d’une grève lancée par le premier syndicat de l’aviation civile. 15% des vols seront annulés à l’aéroport d’Orly ». Les raisons de la grève ? Aucune, visiblement. Une grève pour rien, sans doute.

Vient ensuite, donc, le tour des routiers, avec plus de 3’ consacrées à leur grève. Mais là encore, l’essentiel n’est pas la mobilisation, mais ses conséquences, avec un sujet jumeau de celui de TF1 (au Havre) consacré aux bouchons et à la pénurie de carburant, durant lequel, alors que 30’’ ont été proposées aux automobilistes (évidemment « excédés »), seules 12 secondes sont offertes généreusement à un gréviste avec, de surcroît, une question particulièrement neutre : « L’objectif c’est d’asphyxier la ville ? ».

On ne saura donc pas grand chose des motivations des grévistes, et on ne saura pas non plus si d’autres secteurs de la population sont « solidaires » de leur mouvement. Car l’essentiel est ailleurs : un camion qui a voulu contourner un barrage routier à proximité du Havre a percuté une automobile, dont le conducteur est décédé sur le coup. Voilà qui méritait bien un duplex avec la journaliste envoyée au Havre, durant environ 35 secondes. La mort de l’automobiliste est bien évidemment un fait divers tragique. Mais cela méritait-il, lors d’une « page » du JT consacrée, ou présentée comme telle, à la mobilisation des routiers, trois fois plus de temps que la parole des routiers eux-mêmes ?


***

On l’aura compris : sur TF1 comme sur France 2, une mobilisation n’est pas égale à une autre. Mais paradoxalement, la couverture des rassemblements policiers démontre, jusqu’à l’excès, que le mal-traitement médiatique des mobilisations sociales n’est pas une fatalité. Il ne s’agit bien évidemment pas de demander aux journalistes de faire preuve d’autant d’empathie à l’égard des cheminots, des routiers, voire des étudiants ou des enseignants, qu’ils en ont fait preuve à l’égard des policiers, car tel n’est pas le rôle d’un média d’information. Mais on se prend à rêver qu’à l’avenir, les mobilisations sociales bénéficient d’un traitement aussi « fourni » et précis quant aux motivations des grévistes et/ou des manifestants, chiffres et interviews à l’appui, et que les téléspectateurs soient aussi bien renseignés qu’ils l’ont été le 18 mai à propos des policiers mal-aimés. Peut-être lors de la prochaine manifestation contre les violences policières ?


Julien Salingue

 
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Notes

[1Notons que là encore, TF1 « joue » avec le sondage du Parisien. En effet, lorsqu’on lit les résultats détaillés de l’enquête et les commentaires de l’institut Odoxa, on apprend que « l’hostilité à la police, bien que très minoritaire, a presque doublé en l’espace de six mois, passant de 6% en octobre 2015 à 10% aujourd’hui [et que] ce sentiment, très fort, concerne tout de même 22% des sympathisants d’extrême-gauche, 22% aussi des jeunes âgés de 18 à 24 ans et 16% de leurs aînés âgés de 25 à 34 ans ».

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