C’est donc en 2007 que Wolters Kluwer, à l’occasion de la fusion des huit sociétés qu’il a acquises en France, décide de se les racheter. Cette absurdité économique d’un rachat à soi-même n’a de signification que financière et fiscale, comme on va le voir. Pour régler la note, dont on peut facilement imaginer qu’elle a été fixée à l’amiable, WKF sollicite un prêt auprès de sa maison mère qui, sans surprise, le lui accorde : 445 millions d’euros. Ce prêt à soi-même est tout aussi absurde économiquement que l’achat à soi-même, mais il entre dans la même logique fiscalo-financière. Pour rembourser le prêt, assorti d’un taux d’intérêt conséquent, la filiale devra verser chaque année à sa maison mère quelque 30 millions d’euros pris sur ses bénéfices, et cela jusqu’en 2022. Deux dépréciations d’actifs viendront minorer le niveau de remboursement, mais depuis 2007 ce sont tout de même 95 millions d’euros qui ont été remboursés.
Conséquences : ladite filiale ne fait aucun bénéfice en France, et échappe ainsi à l’impôt sur les sociétés (avant cette opération, elle payait 16 millions d’euros par an selon la CGT), mais continue de bénéficier des aides publiques à la presse. La maison mère de son côté peut déduire la somme prêtée de ses impôts, selon la loi des Pays Bas où se trouve son siège. Mais cet argent n’est pas perdu pour tout le monde.
Les 445 millions d’euros (dont on aura remarqué qu’ils ne correspondent à aucune activité économique, mais à un simple transfert de propriété à l’intérieur du même groupe) ont permis de financer le rachat dont la plus value de cession, 555 millions d’euros, a été généreusement distribuée aux actionnaires de Wolters Kluwer aux Pays-Bas où la fiscalité des dividendes est deux fois moindre qu’en France.
Victimes collatérales, les salariés de WKF se trouvent privés de la participation aux bénéfices de l’entreprise qui migrent chaque année au royaume de Willem Alexander.
On s’en doute, les salariés en question, parmi lesquels on compte nombre de juristes chevronnés, et leurs syndicats, ne l’entendent pas de cette oreille. Ces derniers ont assigné en 2012 la direction de WKF au tribunal de grande instance de Nanterre pour contester le montage financier de 2007, neutraliser l’endettement artificiel de la filiale et récupérer leur participation aux bénéfices [2]. Audience le 27 novembre 2014 à 14h 20.
Dans le même domaine de l’évasion fiscale, dont elle semble s’être fait une spécialité, la société Wolters Kluwer, quatrième éditeur mondial en 2013, a acquis via sa filiale Corporate Trust Company, dans l’Etat américain du Delaware, notoire paradis fiscal, un immeuble accueillant plus de 280 000 boites à lettres de sociétés « off shore ». Elle héberge ainsi Google, Apple, Coca-cola, General Motors, Wall-Mart, Bank of America, et autres évadés fiscaux de par le monde [3], autant de témoins de moralité dont la firme pourra se prévaloir à l’audience du 27 novembre.
Jean Pérès