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TF1 : l’actualité internationale sacrifiée à l’audimat

Robert Namias, patron de l’info sur TF1, et Régis Faucon, ancien responsable de la politique étrangère sur cette chaîne, s’affrontent dans les colonnes du Monde [1].

Le crime parfait

Le Monde Télévision (8 juin 2002), chronique de Daniel Schneidermann.

[...] C’est un véritable bouleversement qui s’est produit depuis quelques temps à la rédaction de TF1. La semaine dernière, les lecteurs du courrier du " Monde Télévision " du 1er juin apprenaient que la première chaîne française n’avait plus de correspondant à Berlin, l’Allemagne ayant la regrettable particularité de n’être dotée ni d’un pape à tremblements ni d’une reine à jubilés. Dernier titulaire du poste, Alain Chaillou n’a pas été remplacé. Mais ce n’est pas tout. Le cri de colère d’Alain Chaillou a ouvert d’autres bouches. Et l’on apprend aujourd’hui que depuis le départ concommitant - et tout aussi discret - l’an dernier de son chef du service international, Régis Faucon, la chaîne privée n’a plus non plus de chef de service international. Ni d’ailleurs de service international, à proprement parler.

Il faut répéter ces mots, pour bien comprendre ce qu’ils signifient. La première chaîne française, celle qui constitue la source principale, voire unique, d’information pour de nombreux citoyens, ne compte plus de journalistes spécifiquement chargés, chaque matin, de se demander ce qui s’est passé dans le vaste monde. La politique étrangère a disparu silencieusement des journaux de TF1. Ni fleurs ni couronnes aux funérailles, et d’ailleurs pas même de cadavres : le crime parfait. D’autant qu’il reste des leurres. Les journaux de TF1 continuent de montrer d’instructives images étrangères : n’a-t-on pas récemment appris que les Coréens mangeaient du chien, ou que des marabouts sénégalais avaient "marabouté" l’équipe de France de football ? [...]

Une lettre de Robert Namias, directeur de l’information de TF1

Le Monde (15 juin 2002)

Après la publication dans le MondeTV du 8 juin, de la chronique de Daniel Schneidermann, intitulée "Le Crime Parfait", nous avons reçu les précisions suivantes de Robert Namias, directeur de l’information de TF1 :

A en croire Le MondeTV, il ne faudrait pas je cite : "Confondre cettre entreprise quotidienne de nombrilisme qu’est devenu le journal de TF1 avec le beau mot d’information". Les dix millions de Français qui nous font chaque jour confiance et qui accordent à l’information de notre chaîne une crédibilité deux foix supérieure à celle de nos principaux concurrents apprécieront (sondage Sofres pour Télérama, janvier 2002). Autant que les 200 journalistes de la rédaction qui chaque jour ne ménagent ni leur temps, ni leur talent, ni leur courage pour restituer en une heure et quart d’informations quotidiennes la vie de notre pays et celle du monde.

Les lecteurs du MondeTV apprenaient seulement la semaine dernière que le correspondant de TF1 à Berlin ne faisait plus partie de notre rédaction.
Précisément, j’indique que le départ de notre collaborateur Alain Chaillou remonte à plus d’un an et demi et que celui d’un autre collaborateur cité dans l’article, Régis Faucon, date, lui, de près de deux ans.

Ce manque de sérieux dans l’information donnée n’aurait guère d’importance s’il ne servait de fondement à une démonstration selon laquelle le contenu des journaux de TF1 reposait sur la seule collaboration des deux journalistes cités plus haut. Le MondeTV déduit de ces départs que la politique étrangère a bel et bien disparu de l’antenne de TF1, et constitue une preuve supplémentaire de la volonté de notre chaîne de faire une information de nature purement franco-française, assoiffée de faits divers et de cartes postales en couleur.

La réalité est infiniment plus complexe et mériterait une analyse autrement plus fine que ces quelques lignes de critiques gratuites et sans fondement.

La politique étrangère n’est pas moins traitée sur TF1 qu’elle ne l’était auparavant, elle est seulement traitée différement comme c’est le cas d’ailleurs pour la plupart des journaux, qu’ils soient de presse écrite, de radio ou de télévision. Je n’ai pas le sentiment par exemple de voir aujourd’hui, en regardant la une du Monde, exactement la même chose que lorsque je lisais chaque jour dans ce journal en première page un bulletin de l’étranger, qui a disparu depuis belle lurette.

En quelques lignes, j’indiquerai simplement que la vocation de TF1 est de faire une information à double entrée, à la fois événementielle et de fond.

Evénementielle : c’est-à-dire que, quel que soit le secteur de l’actualité traitée, chaque fois que nécessaire, il nous appartient de mettre les moyens les plus complets pour couvrir un événement, le donner à voir et en déchiffrer le sens. De fond : par des reportages de plus longues durées diffusés dans les journaux ou les magazines d’informations, il nous appartient également de faire connaître des faits, des situations en France ou à l’étranger qui peuvent inspirer la réflexion et permettre de nourrir le débat entre ceux qui nous regardent.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre aujourd’hui le traitement de l’actualité de politique étrangère sur TF1. Un traitement qui n’a jamais cessé d’être ample et divers. Et qui peut se traduire à titre d’exemple par quelques chiffres. Du 1er septembre 2001 jusqu’au 3 juin 2002, 175 équipes de TF1 ont effectué des reportages à l’étranger : il ne se passe pas un jour sans qu’une de nos équipes travaille pour nous hors de nos frontières. Il faut y ajouter l’activité très importante de nos bureaux permanents installés à Washington, Londres, Moscou, Rome et Jérusalem. Au total, depuis septembre 2001, nos collaborateurs ont livré à la rédaction 1621 reportages que nous avons diffusés dans les différents journaux de TF1, soit en moyenne 6 sujets par jour, dont une bonne partie dans le journal de 20 heures.

Pour être complet, j’ajoute que près d’un journal sur 3 depuis neuf mois, toutes éditions confondues, a été ouvert par un sujet de politique étrangère. [...] J’indique aussi que, loin d’abandonner la couverture de l’Allemagne, l’un des meilleurs spécialistes de ce pays, Bertrand Volker, qui parcourt inlassablement l’Europe pour TF1, informe régulièrement nos téléspectateurs de ce qui se passe outre-Rhin.

Quant à savoir s’il y a ou non un service de politique étrangère à la rédaction de TF1, qu’on me permette de remarquer que la questions n’est qu’affaire de terminologie et d’organisation interne. Dans notre rédaction, loin d’être réservée à quelques-uns, la couverture de la politique étrangère est ouverte à la plupart, ce qui permet à nos collaborateurs d’enrichir leurs compétences et d’explorer en permanence de nouveaux domaines.

Des précisions de Régis Faucon, ancien responsable de la politique étrangère à TF1

Le Monde (29 juin 2002)

J’ai quitté TF1 le 31 décembre 2000, dans la plus grande discrétion - le directeur de l’information s’étant opposé à tout communiqué - à tel point que beaucoup de téléspectateurs me croient toujours à la télévision, tout en s’étonnant de plus me voir très souvent !

C’est peu dire que je me suis tenu scrupuleusement à cette ligne de conduite depuis cette date, par loyauté envers une rédaction où j’ai passé les meilleures années de ma vie professionnelle, mais la lettre de Robert Namias du 15 juin dans laquelle je suis cité, me conduit à apporter les précisions suivantes.

En tant que rédacteur en chef, responsable de la politique étrangère pendant de nombreuses années, assurant notamment la couverture des événements à caractère diplomatique, en France et à l’étranger, je ne crois pas être le plus mal placé pour témoigner de la lente désaffection pour ce secteur de l’actualité, désaffection qui a largement contribué à mettre un terme à vingt-cinq ans de collaboration.

Intervenant après la suppression de l’important service de politique étrangère en 1996, la fermeture de plusieurs postes à l’étranger, l’abandon des émissions spéciales en direct de tel ou tel point du globe et la disparition des commentaires en studio destinés à apporter au téléspectateur l’éclairage du spécialiste, mon départ a bien constitué l’aboutissement logique d’une politique éditoriale visant à réserver le traitement minimum à une spécialité qui n’intéresserait pas le plus grand nombre.

L’accumulation de chiffres sur la fréquences des reportages effectués hors de France ne reflète que partiellement la réalité si l’on omet de préciser que la plupart des sujets tournés actuellement à l’étranger - aussi justifiés et intéressants soient-ils -, ne sont pas des sujets de politique étrangère. La baisse de la criminalité à New York, les péripéties de la famille royale britannique, le goût des Allemands pour les asperges ou celui des Coréens pour le ragoût de chien, cela ne me paraît pas relever de la politique internationale.

Quant il ne s’agit pas d’une actualité très forte, comme les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ou l’intervention américaine en Afghanistan, qui obligent à un large traitement - ce que TF1 sait fort bien faire -, le monde ne fait plus recette.

Je garde de nombreux amis au sein de cette rédaction, dont je respecte les choix éditoriaux, d’ailleurs sanctionnés par une excellente audience. Encore faudrait-il que ces choix soient assumés, sans oublier que ceux qui ont cessé de plaire ont peut-être un peu contribué, à leur place et dans leur spécialité, à faire de cette chaîne la première de France.

 
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Notes

[1Le titre et le chapo sont d’Acrimed.

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