Le directeur de la rédaction " a acquis très vite (...) la réputation d’être un "dictateur", sourd à la critique. Il a centralisé tous les pouvoirs que son prédécesseur (...) avait soigneusement partagés avec les responsables des différents services ", " le scandale a non seulement éclaboussé la réputation du plus prestigieux et du plus influent des quotidiens (...), mais a fait éclater au grand jour la rancœur accumulée par la rédaction contre son directeur. Elle lui reproche pêle-mêle le bouleversement des équipes, la politique de "coups", les croisades personnelles, l’éviction ou la mise sur la touche de spécialistes chevronnés ", peut-on lire dans Le Monde (7 juin), à propos, bien entendu, du New York Times [1].
Jayson Blair, jeune journaliste du New York Times, a démissionné le 1er mai 2003 après la découverte de plagiats dans un article récent sur un soldat disparu en Irak. Mais, selon une enquête publiée le 11 mai par le quotidien, les falsifications concernent en fait des dizaines de ses reportages publiés depuis deux ans. Le directeur de la rédaction, Howell Raines, a dû finalement démissionner lui aussi : il avait soutenu Blair de longs mois durant alors que des journalistes l’avaient averti des " bidonnages " (lire L’Actualité des médias n°2 et n°3).
Le Monde (17-18 mai 2003) s’est fendu d’un « rectificatif accompagné d’excuses » : il avait publié des articles de Blair dans son supplément hebdomadaire compilant les " meilleurs articles " du New York Times [2].
Nous avons retrouvé un article publié par Le Monde à peine un an plus tôt (22 juin 2002), à propos du New York Times et de son nouveau " directeur de la rédaction qui bouleverse la tradition ".
" Depuis l’arrivée de Howell Raines à sa tête, la rédaction du New York Times est en plein fébrilité, raconte une enquête du New Yorker (...) Raines, 58 ans, a pris ses fonctions le 5 septembre 2001. Jusque-là, il était responsable des pages Opinions et éditoriaux (...) Il revendique "un côté populiste" (...) Il a grandi à Birmingham (Alabama), la ville symbole du combat des Noirs pour l’égalité, et a obtenu le prix Pulitzer (en 1991) pour un article sur Grady, la gouvernante de son enfance (...)
(...) Raines a affiché ses intentions : "Accélérer le métabolisme de la rédaction", mettre fin à la culture de la "suffisance" et porter parmi les sept articles de "une" davantage de scoops et d’histoires originales. Il a (...) transféré des correspondants, parachuté des journalistes vedettes sur l’événement du jour au mépris des frontières entre services. "
" Mesures plutôt banales " estime Le Monde, "mais qui ont alimenté les accusations d’autoritarisme. Sa théorie est qu’en cas d’événement fort il faut déployer toute la puissance de feu de la rédaction, "inonder la zone" (...)
Une partie de la rédaction a très mal pris ces initiatives. On parle encore du jour où Raines a fait monter en "une", à la place très convoitée du coin droit de la page, le scandale du patinage artistique à Salt Lake City - "un tournant pour le mouvement olympique" - alors qu’un ministre afghan venait d’être assassiné. "
La fin de l’article du Monde est consacrée à glorifier le comportement héroïque du New York Times d’Howell Raines à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001 :
" Raines consultait ses mails en pyjama dans sa maison de Greenwich Village (...) Mais, aussitôt habillé, il s’est senti tel le général Grant pendant la guerre de Sécession, concentrant toutes ses troupes pour l’assaut (il a fait lui-même la comparaison), déployant 300 journalistes. C. J. Chivers, le rubricard "police", a foncé dans son plus beau costume vers les tours jumelles. Il en est ressorti vingt-quatre heures plus tard, les pieds en sang d’avoir arpenté le site. Vétéran de la guerre du Golfe, il est retourné chez lui enfiler un T-shirt des marines, ce qui lui a permis de passer les barrages de sécurité et de s’installer à "Ground Zero". Il y est resté douze jours. " Etc.