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Contre-réformes et mobilisations de 2003

La voix de tous les pouvoirs : Pierre-Luc Séguillon sur LCI

par Henri Maler,

Pierre-Luc Séguillon est ce délicat journaliste, dont le ton toujours endimanché, fait la joie des téléspectateurs-boursicoteurs de LCI. Sa chronique quotidienne, modestement intitulée « L’édito de PLS » est ainsi présentée sur le site de la chaîne : « L’éclairage de Pierre Luc Séguillon pour mieux discerner les enjeux et saisir la complexité de l’actualité ».

Chic ! On va pouvoir « saisir » et « discerner »... comment le chroniqueur - dont les « ménages », en 2001, étaient rémunérés, selon Capital, à hauteur de 50 000 F. "seulement" par prestation [1] - distille, au service du gouvernement et de tous les pouvoir, la condescendance, le mépris et la haine.


 Jeudi 15 Mai 2003 : PLS n’est pas trop inquiet : « Le projet de réforme des retraites du gouvernement est ce matin menacé. Il n’est pas condamné  ». Les négociations n’ont par abouti, mais « cette longue nuit de discussion n’a pas non plus abouti à une cassure entre le gouvernement et ses interlocuteurs syndicaux ».

Que vont faire les syndicats ? Tenter de contrôler leurs « troupes ». C’est ainsi que l’on appelle sur LCI les syndiqués et plus généralement les manifestants : « Les organisations syndicales, impressionnées par l’ampleur de la manifestation de mercredi dernier veulent mesurer la force de ce mouvement et l’accompagner en sorte de n’être pas débordé par leurs propres troupes .  » (souligné par moi).

Que va faire le gouvernement ? « Le gouvernement, de son côté, entend prendre le pouls d’une opinion incertaine. ». Car l’opinion, sachez-le est aussi imprévisible que « les troupes ».

On peut alors « saisir la complexité de l’actualité » : « Beaucoup va en réalité dépendre dans les jours qui viennent des fluctuations de l’opinion d’une part et des humeurs des bases syndicales de l’autre. ». L’opinion a des « fluctuations » et les « bases syndicales » ont des « humeurs ». Regard du clinicien, qu’aucune humeur méprisante ne vient troubler.

Nous pouvons alors, avec certitude « discerner les enjeux » : « Mais quelle que soit l’issue de cette délicate partie, une chose paraît malheureusement certaine. De grèves en débrayages préventifs, de ponts en cessations de travail inopinées, la France, confrontée à une situation économique difficile, donne aujourd’hui l’image d’un vieux pays plus enclin à se recroqueviller sur ses problèmes internes que porté à se retrousser les manches et à relever les défis de la compétition internationale ! ».

Les grèves et manifestations « recroquevillent » au lieu de « retrousser les manche » : C’est beau comme un discours du patron du Medef !

 Vendredi 16 Mai 2003. PLS est ravi : « Le gouvernement vient de marquer deux points en s’accordant avec la CFDT et en se conciliant l’opinion. ».

Cela commence par des félicitations au gouvernement, grossièrement déguisées en analyse :
« (...) le gouvernement a aussi obtenu, semble-t-il, que l’opinion se désolidarise des jusqu’auboutistes de la grève. La dénonciation par les autorités des débrayages « illégitimes et illégaux  » dans les transports publics a fait écho à l’exaspération d’une grande partie des usagers et en a encouragé l’expression. Le gouvernement entend favoriser un divorce entre l’opinion et ceux qui seraient enclins à paralyser le pays afin d’éviter la reproduction du scénario de 1995. Un tel scénario serait mortel pour le processus de réforme (...) comme cela avait été le cas il y a huit ans. »

Si le brave PLS a logé ses convictions à l’abri de son analyse des objectifs du gouvernement, c’est simplement parce qu’il les partage. S’il évoque un « scénario mortel », c’est qu’il craint qu’il le soit.

Mais comment faire pour éviter l’horrible « scénario de 1995 » ? PLS le sait.

Il sait que pour « remettre sa centrale au centre du jeu syndical en trouvant une juste mesure entre réformisme et radicalisme », Bernard Thibault, « doit ». Que « doit » faire Thibaut pour bénéficier du sourire de Séguillon ? « Il doit (...) animer et canaliser le mécontentement de ses troupes tout en évitant que ses fédérations les plus radicales ne basculent dans le jusqu’auboutisme de Force ouvrière et de Marc Blondel qui ne rêvent que de déclencher une grève générale et de provoquer une paralysie générale du pays (...) »

 Lundi 19 Mai 2003. PLS distille son mépris des enseignants. : « Conservateurs, c’est-à-dire toujours enclins à demander davantage de moyens mais jamais disposés à se remettre en cause et moins encore à renoncer à quelque avantage que ce soit. »

Petit morceau de bravoure de médiocre rhétorique, l’éditorial du jour répond implicitement aux questions qu’il fait mine de reporter à plus tard. Cela donne, pour commencer :

« Il est vain de se demander aujourd’hui si les enseignants, qui formeront les gros bataillons de la nouvelle manifestation des fonctionnaires sont ou non conservateurs, c’est-à-dire toujours enclins à demander davantage de moyens mais jamais disposés à se remettre en cause et moins encore à renoncer à quelque avantage que ce soit.  »

Ce concentré de vulgate réactionnaire sur le « conservatisme », les « privilèges », « l’immobilisme » des enseignants est suivi de cet autre :

« Il ne sert à rien, du moins pour l’heure, de s’interroger pour savoir si une cinquième manifestation des enseignants en six mois, des maîtres jetant des livres à la figure de leurs ministres, des professeurs empêchant des élèves de passer des examens, des débrayages à répétition sont des comportements compatibles avec la dignité et la crédibilité de l’école de la République. »

Ce concentré de la propagande réactionnaire distillée sur toutes les ondes pour tenter de discréditer les manifestants et les grévistes, appelle un dernier couplet :

« Il n’est déjà plus temps de s’efforcer de distinguer ce qu’il y a de réel ou de fantasmé dans les raisons de la colère enseignante (...) ».

On se doute bien en effet que les foules sont avides de ces « fantasmes », dont l’éditorialiste ascétique se prive pour reste au contact de la réalité.

En revanche si « il est vain de se demander », si « il ne sert à rien, du moins pour l’heure, de s’interroger », si « il n’est déjà plus temps de s’efforcer de distinguer », c’est que le plus urgent n’est pas de répondre aux revendications des enseignants. Non ! La « question urgente » s’adresse au gouvernement. La « question urgente » - « celle à laquelle il [le gouvernement] ne pourra plus tarder de répondre » est celle-ci « Doit-il ou non sacrifier son ministre philosophe sur l’autel des retraites ? ».

Rien n’est plus urgent, évidement, que d’inviter le gouvernement à ce poser une telle question !

 Mardi 20 Mai 2003. PLS conseille le gouvernement : « Faire preuve de modestie, faire montre de souplesse et néanmoins être intransigeant sur les principes. »

Car, voyez vous, « Le gouvernement (...) n’ignorait pas que la réforme des retraites rencontrerait des résistances. Il les avait intégrées dans le plan minutieux conçu pour mener à bien son projet. Mais il n’avait cependant pas prévu le cactus de l’Education nationale. ».

Reste, en des termes soigneusement choisis, à « saisir la complexité » du cactus : «  La grogne des enseignants contre leur ministre (...) risque fort aujourd’hui de faire capoter la réforme. Ce sont en effet les enseignants qui forment le gros des troupes dans les manifestations , eux qui jouent les jusqu’au-boutistes , eux encore qui risquent d’enclencher une paralysie progressive de l’activité. Si le gouvernement veut donc sauver sa réforme des retraites il lui faut faire des choix et établir des priorités. » (souligné par moi)

Passage obligé par les poncifs réactionnaires : « L’Education nationale est une énorme administration avec ses lourdeurs et le formidable conservatisme de son expression syndicale. ». Affectation obligée (et condescendante) de compréhension « Mais elle est composée d’hommes et de femmes qui font un métier difficile et ont besoin de considération et de confiance. ».

Viennent alors les conseils au gouvernement : « Le ministre doit s’efforcer de recouvrer au plus vite cette confiance. Et il ne pourra le faire qu’à trois conditions : faire preuve de modestie, faire montre de souplesse et néanmoins être intransigeant sur les principes  ».

Journaliste mutant devenu expert en stratégie gouvernementale, Pierre-Luc Séguillon conseille au gouvernement de faire ce qu’il s’apprête à faire. Et en particulier ceci : « exiger des enseignants qu’ils aient un comportement digne de l’école de la République et ne prennent pas les élèves en otages en les empêchant de passer leurs examens.  »

- Mercredi 21 Mai 2003. PLS se déchaîne : « Le pays se transforme en planète sauvage. »

Les principaux problèmes ne sont pas ceux qui se posent aux manifestants et gréviste, mais ceux que rencontrent le gouvernement : « Toute la difficulté de Jean-Pierre Raffarin est qu’il n’est plus guère aujourd’hui de réponse raisonnable à une situation qui échappe chaque jour un peu plus à la rationalité et qui frise le délire collectif .  ».

Et c’est parti pour un non-délire éditorial qui oppose, comme toujours, la « rationalité et la modestie » du gouvernement et des éditorialistes à « l’irrationalité », voire à la « folie », du peuple mobilisé et de ceux qui le soutiennent.

Il suffit de citer et de souligner :

« Une nouvelle fois, en effet, la société française paraît saisie de convulsions totalement disproportionnées à la réforme, au demeurant modeste , que tente de mettre en oeuvre un gouvernement. »
En quelques semaines voici en effet qu’
un projet de réforme partielle des retraites , dont sans doute certains volets peuvent être critiqués ou contestés, mais qui n’a rien de révolutionnaire a mis le corps social cul par-dessus tête . »

Ce n’est encore que le prologue. La suite avoue la haine que le sage Ségullon avait dissimulé jusqu’alors. Cette synthèse de tous les sogans de la propagande réactionnaire mérite de figurer dans un livre des records.

«  Le pays se transforme en planète sauvage. Y fleurissant les comportements les plus invraisemblables. »

- Haro sur les enseignants : « De respectables maîtres et professeurs sensés transmettre valeurs et savoir, jettent des livres à la figure de leur ministre et empêchent leurs élèves de passer leurs examens !  ». On entend ça sur une chaîne de Bouyghes, connue pour défendre le savoir et la culture !

- Haro sur les enseignants (bis) : « Des enseignants n’enseignent plus au prétexte que le concierge du collège de Romorantin ne pourra plus exercer sa mission républicaine si, de par la décentralisation, au lieu de dépendre de la lointaine rue de Grenelle il a quelque compte à rendre au conseil général ! ». Discours qui peu le mépris et défigure totalement les effets de la décentralisation. Mais qu’importe !

- Haro sur les « agents des entreprises publiques » : « Des agents des entreprises publiques de transports, qui bénéficient d’un statut avantageux, décident, à titre préventif, de paralyser une fois, deux fois, puis de manière reconductible le pays au motif que leur régime spécifique de retraite, aujourd’hui non menacé, pourrait l’être un jour ! ». Mensonge : les attaques contre le régime général menacent évidemment les régimes sociaux. Et aveu : la seule solidarité supportable est celle qui unit Bouygues, Raffarin, Pierre-Luc Séguillon et leurs semblables.

- Haro sur les fonctionnaires : « Des fonctionnaires n’en finissent plus de protester contre une réforme des retraites qui préserve le privilège de voir leur pension calculée sur leurs six derniers mois d’activités quand celle des retraités du privé, moins chanceux, est calculée sur les vingt cinq meilleures années. ». Le moindre avantage relatif consenti à certains salariés ne doit pas être étendu à tous. Cet avantage relatif s’appelle, bien sûr, un « privilège ». Tandis que les revenus des chefs d’entreprises, et des éditorialistes, les « stock options » et les « ménages », sont les justes récompenses d’un dur labeur !

On abrège, pour aller tout droit à la conclusion :

« Confronté à ces convulsions et à cette irrationalité générale Jean-Pierre Raffarin peut résister au risque d’être cassé, laisser pourrir au risque du pire ou encore trouver le geste symbolique - mais lequel - qui ferait revenir chacun à un peu plus de raison . »

PLS parle en connaisseur : il est lui-même un « sage ».


 
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