– Le 22 mai 2003, sous le titre « Droit dans le mur », Denis Jeambar s’inquiète du haut de son tabouret éditorial de l’avenir de la grandeur française :
« Nul ne peut dire comment se dénoueront les troubles qui agitent aujourd’hui la France mais, pour Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, sonne l’heure des épreuves face à un pays qui, dans ses profondeurs, ne change guère. »
Ainsi, il y aurait des « troubles » - signe indubitable de la maladie du corps social - qui annoncent « l’heure des épreuves », non pour les salariés, mais pour les gouvernants. L’œil de l’éditorialiste est d’emblée l’œil du pouvoir.
Et cet œil qui voit loin voit aussi de haut ; c’est un œil d’élite que le peuple désole :
« Travaillé par la peur du changement, l’égoïsme ou l’apathie, encouragé dans ses travers par son personnel politique et syndical, le peuple français se repaît des fastes de son histoire. Certes, il a des sursauts, mais il se laisse vite aller à l’abandon quand personne n’est là pour le porter à bout de bras. »
Denis Jeambar propose alors ses bras herculéens pour porter, malgré lui, ce peuple méprisable. Il est vrai que le patron du lourd prospectus publicitaire, composé pour moitié seulement d’articles de presse, est bien placé pour défendre la culture. Et ça donne cette défense du livre-marketing de Luc Ferry :
« Voici même que des enseignants décervelés commettent un crime pédagogique et détruisent un livre sous prétexte que leur ministre l’a écrit : Fahrenheit 451 et ses autodafés, même Ray Bradbury ne l’aurait pas imaginé dans la France de 2003 ! »
On préfèrera ne pas détailler - en ces temps de procès en insulte et diffamation - la longue liste des éditorialistes décervelés qui se posent en défenseurs de la pédagogie en parlant à tors et à travers d’ « autodafé ».
Car la menace totalitaire est à nos portes. Denis Jeambar la voit grandir :
« Faut-il donc attendre que l’Etat soit un cimetière jonché de cadavres sans sépulture qui infestent l’air pour agir ? »
Vient pour finir le morceau de bravoure, dont il suffit de souligner quelques mots :
« Le remue-ménage autour de la réforme des retraites (attendue depuis quinze ans !) ressemble à un caprice de gosses de riches ; le cirque à propos de la destruction des acquis sociaux, aux errements d’héritiers prodigues. Le Parti socialiste, en pleine régression, n’avait-il pas mieux à faire que d’accabler le courageux patron réformiste de la CFDT, François Chérèque ? La France est bel et bien malade de ses conservatismes, de ses archaïsmes, de ses vanités , de son refus de regarder le monde tel qu’il est, d’une grandeur qui n’existe plus que dans sa tête (...) Elle est malade parce que ses clercs de nouveau la trahissent et que personne n’a de vision de son destin ni de projet collectif pour l’arracher à sa torpeur. (...) »
– Quinze jours plus tard, le 5 juin 2003, le garde-malade de la Grandeur française récidive sous le titre « Exception gauloise ».
Cela donne cet exercice de pathologie appliquée :
« Une fois encore, voici la France en crise. Comme si elle était culturellement programmée pour danser au bord du gouffre. (...) Nul autre pays occidental ne se comporte ainsi : les troubles sociaux n’y sont jamais, comme chez nous, un quitte ou double. Le psychodrame national est une exception gauloise dont les racines sont profondes, et les conséquences dangereuses. Sans doute faut-il rechercher dans notre histoire ce goût pour la rupture qui pousse si souvent une partie des Français dans la rue. Le fantasme révolutionnaire de 1789 rôde encore dans les cervelles. »
Vient la liste des symptômes. Une fois encore, il suffit de souligner :
« Ce peuple se croit grand et courageux quand il gronde. Sans mesurer ses cruelles contradictions : les sans-culottes se dressaient contre l’absolutisme ; les « sans chômage » qui prennent aujourd’hui le pays en otage par des grèves à répétition contestent en fait un pouvoir démocratiquement élu, c’est-à-dire la principale conquête de la Révolution. La volonté générale enregistrée par les élections est bafouée par l’accumulation des égoïsmes, le culte du « chacun pour soi », la passion exclusive de l’immédiat et le corporatisme . La France de juin 2003 n’est pas révolutionnaire, mais conservatrice . Faite de bastilles qui, au nom des acquis sociaux, s’enferment dans un immobilisme suicidaire . Faute de changement, le pays s’effondrera sur lui-même. ».
Pour conjurer la catastrophe, le prophète Jeambar lance alors un appel au guide éclairé, psychiatre élu par le peuple pour qu’il le soigne :
« La France est malade dans sa tête et il incombe à la tête de la France de la soigner. Il est temps que cette tête - le chef de l’Etat - parle pour reforger l’idéal de ce pays et lui dire enfin clairement où il doit aller. »
Emouvant, cet appel au Sauveur suprême...