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TV Breizh, télévision-miroir de la Bretagne ?

... ou de la stratégie des groupes de communication ?
par Pierre Musso,

Nous publions ici, avec l’autorisation de son auteur, un article de Pierre Musso paru dans les Dossiers de l’audiovisuel n° 95 en Janvier-février 2001, intitulés « La télévision régionale et locale en France ». Il sera prochainement réactualisé. (Acrimed)

Lancée le 1er septembre 2000, TV Breizh se présente comme la « première chaîne généraliste régionale bilingue en Europe ». Pour concevoir TV Breizh les chaînes qui ont servi de référence sont d’une part, la galloise S4C, qui ne s’exprime qu’en gallois pour 500 000 locuteurs, et qui dispose d’un budget dix fois supérieur à celui de TV Breizh, et d’autre part, la chaîne TG4 en Irlande, sous-titrée en anglais et en gaélique.

Basée à Lorient et installée dans l’ancien arsenal désaffecté, TV Breizh émet en numérique, ce qui lui permet de diffuser simultanément en deux langues sur deux canaux son (français/breton) et dispose d’une régie numérique ultramoderne et d’un plateau technique de 400 m2. Dirigée par Rozenn Milin, Patrick Poivre d’Arvor en étant le vice-président, elle rassemble un personnel de 45 personnes dont quatre journalistes.

La première « télé-miroir » en région en France

Dans deux études précédentes réalisées à l’échelle du continent européen, pour le Conseil de l’Europe [1], nous avions identifié cinq types de télévision en région : 1°) des télévisions régionales à couverture nationale, comme la SSR en Suisse ou la RTBF en Belgique ; 2°) des télévisions régionales à couverture régionale, comme la télévision catalane TV3 ou l’allemande ARD 3 ; 3°) des télévisions locales à couverture infra-régionale, comme de nombreuses télévisions locales privées italiennes ; 4°) des télévisions nationales (network descendant ) avec des décrochages régionaux, comme France 3 en France ou TVE en Espagne et 5°) des télévisions inter-régionales ( network ascendant ) avec décrochage régional, comme l’ARD 1 en Allemagne ou ITV en Grande-Bretagne.

Avec la création de TV Breizh, on pourrait identifier un sixième cas de télévision en région, puisqu’elle est programmée en région, mais destinée à un public à la fois régional et suprarégional, dispersé en France et en Europe.
De cette typologie, on peut extraire deux grandes catégories de télévision en région : la « télé-miroir » programmée en région et diffusée sur une aire de réception plus ou moins vaste, et la « télévision-fenêtre » qui procède à des « décrochages » régionaux ou locaux dans une grille de programmation nationale

TV Breizh est en fait, la première « télévision-miroir » à l’échelle régionale en France, avec une couverture suprarégionale et transnationale grâce à son mode de diffusion via le câble, et surtout les deux bouquets satellitaires TPS et Canalsatellite (et non par hertzien terrestre), mais dans l’attente de l’hertzien numérique en 2002. Elle est proposée dans les abonnements dits « de base ». Pour la diffusion par câble sur les réseaux de l’Ouest, un accord a déjà été passé avec « Noos », filiale de Suez-Lyonnaise des Eaux.

D’une certaine façon, TV Breizh ne reprend-elle pas en l’appliquant à la télévision, le modèle d’Ouest France qui a si bien réussi dans le domaine de la PQR ? En effet, Ouest France est devenu le premier quotidien français depuis la fin des années 1970, avec une diffusion qui dépasse les frontières de la région administrative de Bretagne, grâce à ses éditions qui couvrent aussi les Pays de Loire et la Basse Normandie. Au démarrage, Ouest France tirait à 105 000 exemplaires, puis 350 000 en 1945, pour atteindre 782 000 en 1998.

TV Breizh s’adresse prioritairement à la « Bretagne historique » correspondant à l’ancien Duché indépendant jusqu’en 1532, c’est-à-dire intégrant les quatre départements de la Bretagne administrative (Cotes d’Armor, Ille et Vilaine, Morbihan et Finistère) ainsi que le département de Loire-Atlantique qui depuis 1941, est dissociée de la Bretagne alors que Nantes fut le siège des Ducs de Bretagne.

Au total elle vise un public d’un peu moins de quatre millions de bretons (en intégrant cinq départements) soit 1,4 millions de foyers. Au-delà elle souhaite s’adresser au monde celtique de l’arc atlantique, dans une visée interrégionale avec les Pays de Loire, et à toute la « diaspora bretonne » en Europe, soit deux millions de téléspectateurs potentiels. Elle privilégie la langue bretonne, puisque toutes les émissions devraient être doublées. Selon un sondage récent, 240 000 personnes parlent encore le breton dont les deux tiers sont âgées de plus de soixante ans [2].

Le Paysage Audiovisuel Breton (PAB)

La Bretagne est une des régions françaises où la vitalité de la presse régionale et locale et le taux de pénétration de la PQR avec Ouest France et le Télégramme, sont les plus forts, particulièrement dans le département du Finistère. Avec l’arrivée de TV Breizh, la concurrence est lancée aussi dans le champ télévisuel.

En effet, jusqu’ici, comme dans les autres régions françaises, la télévision en région Bretagne, c’était essentiellement « France 3 Ouest » diffusée sur les deux régions Bretagne et Pays de Loire, soit neuf départements. Aux émissions régionales, s’ajoutent les trois décrochages locaux de France 3 Ouest, avec « Estuaire » à Nantes lancé en 1990, "FR3-Iroise", à Brest inauguré en 1992 et « Haute Bretagne » lancé à Rennes en 1994. Au total, France 3 avec 250 personnes et un budget de 150 millions de francs par an, produit plus de 700 heures de programmes pour les émissions régionales (450 heures d’information et 250 heures de programmes) [3]. France 3 Ouest réalise déjà 30 % de sa production régionale en breton, notamment le journal bilingue « An Taol Lagad », diffusée dans le Finistère, les Côtes d’Armor et une partie du Morbihan.
Pour sa part, la chaîne commerciale M6 pratique aussi sur Nantes et Rennes les décrochages d’informations « locales » avec sept minutes de news pendant cinq jours de la semaine.
Aux côtés de France 3 Ouest et des « locales » de M6, existent trois canaux locaux sur les réseaux câblés à Rennes « T.V. Rennes » , à Brest« Brestel » et à Lorient, « Canal Local ». Le réseau câblé en fibres optiques de Rennes ouvert en 1987, compte 200 000 logements câblés et 35 000 abonnés, ceux de Brest et Lorient lancés en 1989, comptent respectivement 17000 et 6000 abonnés. Au total le public potentiel des trois canaux locaux représente environ 60 000 foyers.
La programmation télévisuelle régionale et locale en Bretagne ou le « PAB » peut être schématiquement représenté dans le tableau suivant.

Chaînes ou émissions régionales et locales Modes de diffusion et public potentiel
TV Breizh (chaîne en région) Câble et satellite (TPS et Canalsatellite)
Potentiel théorique :
1,4 millions de foyers bretons (5 départements)
et 650 000 foyers hors Bretagne.
Public réel : env. 200 000 abonnés aux bouquets satellitaires et au câble en Bretagne
France 3 Ouest (décrochages du réseau national)
Deux décrochages régionaux
et trois « locaux »
Deux régions et neuf départements :
Bretagne et Pays de Loire
(hertzien terrestre et zone test en numérique)
Décrochages locaux sur les agglomérations de Brest, Nantes et Rennes
M6
deux décrochages « locaux » d’informations
Hertzien terrestre
Agglomérations de Nantes
et Rennes
TV Rennes (canal local) Rennes (câble)
35 000 abonnés
Brestel (canal local) Brest (câble)
17 000 abonnés
Canal local (idem) Lorient (câble)
6 000 abonnés


La programmation de TV Breizh et son impact sur la production

TV Breizh définit sa programmation comme « mini-généraliste », c’est-à-dire généraliste, mais sans journaux télévisés et avec trois thématiques dominantes, à savoir la Bretagne, la celtitude et la mer. Elle veut « se consacrer au développement de la culture celtique richesse des populations de l’extrême Ouest européen : Ecosse, Irlande, Pays de Galles, Bretagne et Galice ».
Pour cela, elle offre de l’information sous la forme de talk-shows ou de magazines. Au delà d’un souhait affiché d’être « apolitique et non confessionnel », il s’agit de tenir compte en matière d’informations, de la forte concurrence des radios, de la PQR et surtout des journaux de France 3 Ouest, notamment son 19-20, à très forte audience. Pour l’information TV Breizh présente des talk-shows de 30 minutes avec des points de vue sur l’actualité et un débat hebdomadaire. Deux « Entretiens » sont diffusés chaque jour de 18h 30 à 19 h30. Pour compléter son offre en matière d’informations, TV Breizh a créé un portail breton sur Internet (tv-breizh.com)

La grille quotidienne de TV Breizh est de 17 heures de programmes diffusés de 7h 30 à 0 h 30, comprenant 5 heures de programmes « frais », c’est-à-dire en première diffusion, (sur la plage 17h30-22 h 30). Ces cinq heures de programmes « frais » sont composées de deux heures de programmes achetés et trois de programmes produits. La grille de fin de journée est ainsi composée :

- de 17 h 30 à 18h 30, émissions jeunesse (prioritairement doublées)

- de 18 h 30 à 19 h 30, talk show (débat ou entretien)

- de 19 h 30 à 20 h 30, musique

- de 20 h 30 à 22 h 30, documentaire (lundi et mercredi) ou cinéma (mardi et jeudi) ou fiction (vendredi) ou « l’Evénement » (dimanche) ou encore « Bretons du Tour du monde » (le samedi)
Parmi les programmes produits, trois magazines identifient fortement la chaîne : l’un consacré au monde la mer « Armor », un autre consacré à la terre (le monde rural, l’agriculture, le tourisme vert) et intitulé « Argoat », et enfin un magazine de sport (voile, football ou cyclisme).
Un autre point fort de la grille est la musique bretonne et celtique notamment avec un nouveau rendez-vous quotidien de 52 minutes diffusés quatre fois par jour à 19 h 30 - et rediffusé pendant deux à trois semaines - (« Lorient Express », Celtic Traveller, BZH DJ, « Il était une fois dans l’Ouest »). Les autres rendez-vous réguliers sont des émissions pour la jeunesse, avec deux heures par jour, des films de cinéma avec deux soirées de prime-time par semaine, films pris dans les catalogues bretons, écossais, gallois ou irlandais (par exemple « La guerre d’indépendance en Irlande » de Pat O’Connor diffusé en novembre), soit environ un potentiel de 600 films, et enfin le dimanche soir, la retransmission de « grands événements » culturels ou sportifs comme les matchs de football des clubs bretons, des régates ou des festivals. A ces programmes, TV Breizh ajoute à partir de cette année, des documentaires ou des séries liées à la mer ou à la Bretagne et à son histoire, ou encore des « portraits de bretons d’ailleurs », ainsi que des cours de breton quotidiens.

Ces investissements dans les programmes « frais » de TV Breizh devraient bénéficier essentiellement à des sociétés bretonnes comme Morgan Productions pour la musique. Le coût des cours de breton, 200 fois un quart d’heure sont estimés à 12 millions, avec notamment des « spots-gags » destinés à illustrer un mot breton, réalisés par des cinéastes d’animation rennais. Autour de TV Breizh à Lorient, quelques sociétés de production se sont déjà regroupées, comme « Arsenal Productions » ou « Pois Chiche Films » qui fait du doublage. Toutefois la grille de programmation avec trois heures de programmes « frais » par jour sera difficilement remplie par les seules sociétés bretonnes de production qui réalisent une cinquantaine d’heures de programmes de stock par an (hors France 3 Ouest) ! Il reste beaucoup de chemin à parcourir pour développer une forte industrie indépendante de production audiovisuelle en Bretagne.

Les promoteurs du projet et la difficile équation financière

La télévision est une industrie qui coûte très cher, même à l’échelle régionale. C’est pourquoi les promoteurs du projet, rassemblés à l’initiative de Patrick Le Lay Président de la chaîne TF1 qui a apporté 22% du capital de TV Breizh, sont des groupes puissants. Même si Patrick Le Lay définit son projet comme« totalement personnel sur le plan affectif et intellectuel », il fallait des entreprises fortes pour assumer les déficits d’exploitation attendus pendant au moins cinq années.
Un autre breton a été mobilisé par Patrick Le Lay, à savoir François Pinault, « petit négociant en bois » de Saint-Malo devenu l’un des hommes les plus riches de France, patron de la grande distribution (Le Printemps, la FNAC ou la Redoute), actionnaire de TF1 et du Stade rennais, et dont la société Artémis a pris 27% du capital de TV Breizh. Les autres actionnaires « régionaux » sont les caisses régionales du Crédit Agricole (15%), le Groupe Jean-Claude Darmon, patron de Media Foot et Président du FC Nantes, (6%) et René Ruello, industriel breton patron de Panavi et président du stade de football de Rennes (Panavi Holding Production avec 4%). Ces investisseurs bretons portent les 3/4 du capital total qui s’élève à cent millions de francs.

Pour compléter le tour de table de TV Breizh, Patrick Le Lay a réuni deux de ses amis dirigeants de télévisions commerciales européennes, Silvio Berlusconi, le patron libéral italien de Médiaset Investment et leader du « Pôle des Libertés » (13%) et Rupert Murdoch, le patron du conglomérat multimédia multinational News Corp (13%). Ce dernier a évoqué aussi « un investissement sentimental ». C’est cet aspect sentimental qui est mis en avant par les grands actionnaires : autant dire qu’ils n’attendraient peu ou pas de rentabilité de ce projet qui aurait des vertus expérimentale et amicale, plus qu’économiques.

En effet, initialement, TV Breizh devait être une chaîne à péage, visant 7 à 8% des 3,5 millions de foyers potentiellement intéressés en Europe, soit 250 000 abonnés, permettant d’atteindre l’équilibre financier. Mais cette hypothèse de financement a été abandonnée, l’idée d’une chaîne par abonnement ayant été refusée par TPS. TV Breizh accessible gratuitement, sera donc financée à 95% par la publicité et le parrainage, TF1 assurant la régie publicitaire de façon à réaliser des économies de gestion et à créer des synergies.

Le budget prévisionnel annuel de TV Breizh sera de 75 à 80 millions de francs, ce qui est très serré. En effet les trois heures quotidiennes de programmes frais produits soit environ un millier d’heures par an, devraient absorber au moins la moitié du budget de la chaîne. Hors les cours de breton, le coût moyen horaire de l’émission peut être estimé, avec le budget actuel, à environ 35 000 francs/heure, ce qui poussera la chaîne à réaliser beaucoup de « plateaux ». Ce budget est très faible : par exemple, la retransmission d’un match de football revient environ à 250 000 francs. A titre de comparaison, il faut souligner qu’à France 3 Ouest [4], une heure d’information coûte environ 200 000 francs, une heure d’antenne entre 100 et 150 000 et une heure d’émission en langue bretonne, environ 300 000.

Il faut ajouter que les coûts du doublage sont particulièrement élevés, puisqu’il faut compter 50 000 francs pour un 52 minutes. Le projet de TV Breizh est de développer autour d’elle une industrie du doublage, mais il faudrait débourser neuf millions de francs pour doubler l’ensemble des émissions, notamment les émissions pour la jeunesse : or, TV Breizh ne dispose que de quatre millions à cet effet et devra faire des choix.

Côté recettes, le marché publicitaire régional des douze départements de l’Ouest de la France incluant la Bretagne, les Pays de Loire et la Basse Normandie, peut être estimé pour les investissements dans les médias, à environ trois milliards de francs. La répartition entre ces médias est à peu près la même que dans les autres régions, à savoir 30% pour la PQR, 25% pour les gratuits, 10% pour l’affichage et 5% pour les radios locales. La part régionale de la publicité destinée à la télévision est négligeable et bénéficie essentiellement à France 3.

Dans ce contexte, TV Breizh espère récupérer 22 à 25 millions de francs de recettes publicitaires dès l’exercice 2001. Elle devrait être déficitaire pendant au moins cinq années, avant d’atteindre son équilibre vers 2005.

Les ambiguïtés du projet

L’aventure de la télévision commerciale en région est si onéreuse et si risquée que l’on peut s’interroger sur les finalités de ce projet. Deux interprétations ont déjà été avancées pour éclairer cette initiative : l’une par les promoteurs du projet, l’autre par ses adversaires. Nous en proposerons une troisième.

La première interprétation est « la version officielle » avancée par Patrick Le Lay et reprise par ses alliés. TV Breizh est une aventure personnelle, voire sentimentale, de quelques puissants attachés à la Bretagne. Ce serait en quelque sorte du mécénat : « lancer une télévision pour la Bretagne est une cause un peu similaire à celle de sauver des bébés phoques », déclare le patron de TF1. C’est à cette « interprétation romantique » du projet que se livre volontiers P. Le Lay, en rappelant qu’il est né à Saint-Brieuc et a passé son enfance à Plémet dans les Côtes d’Armor, et en rapportant le message de son père défenseur de la cause bretonne, qui lui aurait demandé avant de mourir, « Fais quelque chose pour ton pays mon fils ! ». Aujourd’hui, renchérit Patrick Le Lay, « Chaque breton doit faire quelque chose pour son pays dans son domaine de compétence ». Cette interprétation est validée par le député socialiste du Morbihan, Jean-Yves Le Drian, qui déclare à propos du projet de Patrick Le Lay, « C’est plus un acte de militantisme et de fidélité qu’un acte commercial... Sa sincérité me paraît évidente, il veut rendre service à la Bretagne ». [5]

La deuxième interprétation du projet est portée par ses adversaires qui soupçonnent les promoteurs de TV Breizh d’« arrières pensées » idéologiques. TV Breizh serait un moyen de reconquête au service d’une idéologie régionaliste et libérale. En effet, Patrick Le Lay est membre fondateur de « l’Institut de Locarn » devant lequel il présenta le projet de télévision en octobre 1998. François Pinault collabore aussi à cet Institut de Locarn que l’hebdomadaire Télérama décrit comme « une sorte de Davos breton, à la fois laboratoire de réflexion et centre de formation des élites entrepreneuriales locales ». Quant à Thierry Meyssan, président du « Réseau Voltaire », une association de gauche de défense des libertés et de la laïcité, il déclare qu’il « ne croit pas à la sincérité de La Lay » et que « derrière ce projet il y a l’Institut de Locarn dont certains membres appartiennent à l’Opus Dei » [6]. Cette interprétation du projet que l’on pourrait qualifiée de « thèse du complot » aurait pu aussi invoquer la démarche de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, alliée de Silvio Berlusconi, dans le « Pôle des Libertés » qui revendique pour la Lombardie, une identité padane-celtique, et souhaiterait remplacer dans cette région, la langue italienne par le lombard et l’anglais.

D’une certaine façon, cette interprétation s’appuie sur la complexité, voire sur l’ambiguïté, de la notion d’« identité culturelle » qui nécessite la détermination de son contenu : sera-t-elle diversité, contestation, critique, liberté...ou bien conservatisme, exclusion, traditionalisme...? Tout dépend de la signification qu’on lui affecte : elle peut être exclusion de l’autre, de l’étranger ou bien dialogue, ouverture et métissage des multiples...Cette ambivalence de la notion a pu faire dire à Peter Sloterdijck dans sa « Critique de la Raison Cynique », que ce concept « marque la plus grande défaite de l’Aufklarung ».

Nous proposerons une troisième interprétation plus prosaïque. TV Breizh est une chaîne expérimentale, première « télévision-miroir » dans une région française, poursuivant un triple objectif économique :

D’abord, il s’agit de la part des trois grands groupes européens de télévision commerciale de contester le monopole de fait du service public qui s’exerce en région au profit de France 3. De ce point de vue, la Bretagne est une excellente « terre d’expérimentation » puisque la région se définit comme telle dans le secteur de la communication et que la PQR a montré le chemin de la concurrence.

Ensuite, il s’agit pour TF1 de tenter de reprendre des parts du marché publicitaire national, notamment contre M6 dont l’audience ne cesse de croître, y compris grâce à sa politique de décrochages locaux d’information et dont la rentabilité financière est étonnante. En effet, s’agissant de la stratégie de TF1, rappelons que l’érosion continue de son audience nationale l’a amenée à multiplier autour de la chaîne nationale, une flottille de chaînes thématiques destinée à maintenir et même à renforcer sa part du marché publicitaire. Ainsi, au début de l’année 2000, TF1 récoltait 54% de parts des investissements publicitaires dans la télévision, son meilleur résultat malgré la chute d’audience. « Il y a une telle pénurie d’espaces publicitaires à la télévision qu’il est intéressant de lancer une nouvelle chaîne pour collecter les investissements » souligne Christine Pouquet, directrice commerciale d’Initiative Media (dans « Le Monde » du 18 mai 2000). Autrement dit ce que TF1 a déjà fait à l’échelle nationale, avec des chaînes thématiques (LCI, Odyssée, Eurosport ou Teletoon), serait étendu avec des « mini-généralistes » à l’échelle régionale dont TV Breizh serait l’éclaireur.

Enfin, TV Breizh pourrait servir à expérimenter une « Europe des régions audiovisuelles », socle d’une future organisation des grands groupes de communication spécialisés dans la télévision commerciale. Ce test indiquerait que l’Europe adopterait le modèle américain où les networks ne sont que des associations de « stations locales », ce qui permet aux groupes de s’enraciner localement et de poursuivre ainsi une stratégie de « glocalisation » (locale et globale)
Au-delà de l’attachement affiché à la mère-patrie bretonne, risquer à plusieurs, 200 millions de francs sur cinq années dans une telle expérimentation, vaut sans doute la peine.

Malgré les difficultés, il n’y a aucun doute que le développement des télévisions en région marque une nouvelle étape de la croissance de la télévision en Europe. En effet, depuis le début des années 90 se développe simultanément la transnationalisation et la décentralisation de la télévision. Désormais un double phénomène structure de façon paradoxale, l’audiovisuel : d’un côté, l’internationalisation des groupes et l’homogénéisation des programmes et de l’autre, la régionalisation et la volonté d’expressions locales. L’Europe audiovisuelle sera-t-elle un mélange de programmes de stock internationaux, tels les télénovelas brésiliennes ou les séries nord-américaines, agrémentés de programmes locaux et régionaux de flux, « en direct » et en langue "régionale" ? La télévision catalane TV3 ne présente-t-elle pas depuis longtemps tous ses programmes en langue catalane, y compris les séries comme « Dallas » ? TV Breizh pourra-t-elle faire autrement ? [7]

Pierre Musso, Professeur à l’Université de Rennes 2.

 
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Notes

[1Pierre Musso, « La télévision dans les régions d’Europe ». Editions Miroirs. Lille. 1991 et Pierre Musso avec Lionel Levasseur et Philippe Souêtre, « Télévision et presse écrite dans les régions d’Europe ». Editions du Conseil de l’Europe. Strasbourg. 1993.

[2Sondage TMO, cité par « Le Nouvel Observateur » du 28 octobre 1999.

[3« Production télévisée et identité culturelle en Bretagne, Galice et Pays de Galles » (page 21 et suivantes) par Jacques Guyot, Magarita Ledo Andon et Roland Michon. PUR. 2000.

[4idem, page 21.

[5Citations extraites de l’article d’Olivier Milot « TV Breizh, la voix de l’Armorique » dans « Télérama » du 17 novembre 1999.

[6Cité par Olivier Milot dans Télérama du 17/11/99.

[7Rappelons que cet article est paru en janvier-février 2001.(note d’Acrimed)

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