Lundi 8 septembre, " Radio-Com ", France Inter, 8h40. Un auditeur intervient à l’antenne. On apprend au cours de l’échange que pour pouvoir intervenir sur le sujet qui l’intéresse… il en a annoncé un autre. On comprendra aisément pourquoi. En effet, l’auditeur revient sur les « conditions M. Martin Winckler a été licencié à la fin de la saison dernière ». Stéphane Paoli râle. L’auditeur poursuit :
« Après avoir entendu, sans en comprendre la portée sur le moment, le communiqué des entreprises du médicament, diffusé comme par hasard en lieu et place de la dernière chronique de M. Winckler, la raison officielle invoquée par France Inter et M. Jean-Luc Hees me paraît peu vraisemblable. Je peux comprendre que, comme chroniqueur, les journalistes de France Inter ne considéraient pas Martin Winckler comme un confrère, mais c’était au moins votre collègue. En laissant faire cela sans aucune protestation vous avez laissé s’installer un sérieux doute sur votre indépendance. Alors que vous n’avez guère hésité par le passé à faire grève pour protéger vos emplois ou vos conditions de travail. Je vous pose donc ma question : comment puis-je faire aujourd’hui confiance aux journalistes de France Inter pour m’apporter une information fiable et objective sur l’industrie pharmaceutique et chimique - c’est vrai que comme ça, ça parait moins sexy - ou sur les autres annonceurs présents ou futurs de France Inter ? »
L’ineffable Stéphane Paoli réplique :
« Alors puisque vous nous posez Yves, la question de confiance, d’abord, si vous permettez je vais vous la retourner : vous nous appelez en nous disant que vous voulez poser, en cette journée très importante des journées nationales de la recherche qui nous concernent tous, que vous voulez nous poser une question là-dessus. On vous donne l’antenne. On vous fait confiance. On vous fait cadeau [souligné par nous] du micro et [hésitation] ben vous vous faites un plaidoyer pour Martin Winckler... Vous avez le droit ! Simplement vous n’avez pas le droit dans ce cas de nous poser à nous la question de confiance, parce que moi je vous la retourne. S’agissant de Martin Winckler, Jean-Luc Hees qui est le directeur de France Inter et Bertrand Vannier qui est le directeur de la rédaction, ont longuement - longuement ! - répondu l’autre jour à cette question, euh, c’est pas à moi d’y revenir. Martin Winckler avait un contrat, un lien avec notre rédaction sur un point précis, ce lien de sa part n’a pas été respecté, le directeur de France Inter en a tiré les conclusions qu’il souhaitait lui, en tirer... Moi, je suis navré que vous mettiez ça sur le terrain de la confiance, nous sommes nous délibérément restés sur le terrain du comportement professionnel. Euh, voilà !, il n’y a rien d’autre à dire. Et encore une fois ne nous parlez pas de confiance quand vous même ne respectez pas l’engagement de la confiance et à bientôt, vous êtes toujours le bienvenu Yves, mais encore une fois posez les questions que vous avez envie de poser, n’essayez pas de passer par la porte de derrière on ouvre toutes les portes ici à France Inter. Qui est en ligne maintenant ? Jean-Claude ! Bonjour et bienvenue à vous (...) ».
Se proclamant co-propriétaire de la station, Stéphane Paoli fait partie d’un nous qui fait « cadeau » aux auditeurs d’un maigre temps d’antenne.
Se prenant pour un journaliste sans doute prêt à quelques ruses pour faire éclater la vérité, Stéphane Paoli ne supporte pas que des auditeurs se comportent en journalistes et contourne les barrages filtrants qui normalisent l’expression des auditeurs !
Se déclarant incompétent sur un cas d’éviction d’un journaliste, qui relèverait de sa hiérarchie… s’identifie pourtant à elle. Cela se passe en deux temps :
- Premier temps : déclaration d’incompétence. Cela donne : « Jean-Luc Hees qui est le directeur de France Inter et Bertrand Vannier qui est le directeur de la rédaction, ont longuement - longuement ! - répondu l’autre jour à cette question, euh, c’est pas à moi d’y revenir. ». C’est pas moi, c’est eux !
- Deuxième temps : déclaration d’allégeance. Cela donne : « Moi, je suis navré que vous mettiez ça sur le terrain de la confiance, nous sommes nous délibérément restés sur le terrain du comportement professionnel. ». C’est pas eux, c’est nous !
Vient alors la « chute » : « (…) posez les questions que vous avez envie de poser, n’essayez pas de passer par la porte de derrière, on ouvre toutes les portes ici à France Inter. ».
Mais d’abord les portes de sortie : demandez à Martin Winkler.
Le décryptage de ce grand moment de radio nous a été offert par Pour Lire Pas Lu. Mais c’est un correspondant d’Acrimed qui a attiré notre attention sur son existence. Voici son commentaire :
« Avoir la possiblité de s’exprimer sur une radio de service public, cela doit donc être considérer comme un "cadeau", un rare privilège dont il faut savoir ne pas mésuser...
Au delà de l’anecdote, on peut s’amuser ou s’inquiéter du sentiment de propriété dont fait preuve ce professionnel du service public... Au bout du compte, les auditeurs qui ont l’immense privilège d’avoir eu l’obole de quelques secondes de parole sur une radio nationale doivent avoir la décence, voire la reconnaissance, du radiophoniquement correct (une variante du politiquement correct). C’est le prix de la participation au simulacre de débat démocratique que l’on nous joue quotidiennement. Et moi qui avait la naïveté, parfois, de penser que de tels travers étaient l’apanage de la télévision !
Il est assez étonnant qu’il ne se soit trouvé aucun "Raffarinophile" pour mettre fin à des programmes à si haut risque pour le fleuron de notre radio de service public... dont certains n’ont sans doute pas oublié qu’elle est aussi... une radio d’Etat. Mais que les Raffarinolâtres ne s’inquiète pas, les professionnels sont si professionnels qu’ils n’ont pas même besoin d’un Peyrefite pour leur taper sur le micro : les censeurs et gardiens de l’ordre radiophonique sont déjà au garde à vous dans leurs têtes, le petit doigt sur la couture de leur carrière. »
Marc Ossorguine (travailleur social et militant d’Attac - 34 (Villeneuve-lès-Maguelone)
L’auditeur de France Inter a eu de la chance. Stéphane Paoli et « nous » ne lui ont pas intenté un procès en détournement d’antenne. Martin Winckler lui ne bénéficie pas de pareille mansuétude. Dans la page "Les Indiscrets" de L’Express n°2722 (4.09.2003) on pouvait lire :
« "Une pilule qui ne passe pas" Mécontent des accusations de censure portées par Martin Winckler à son encontre, Jean-Luc Hees, directeur de l’antenne de France Inter, compte lui intenter un procès pour diffamation et exiger des dommages et intérêts. Le contrat qui liait France Inter et le chroniqueur (auteur de La Maladie de Sachs) a été interrompu avant son terme, le 4 juillet, après que Winckler eût critiqué à l’antenne l’industrie pharmaceutique, représentée par le Leem, l’un des rares annonceurs de la station. »
Quant au médiateur de France Inter, il a courageusement rempli la fonction qui est la sienne... Lire : A quoi sert un médiateur ? L’exemple de France Inter.