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Panama : le lourd passé d’Edwy Plenel

par Patrick Lemaire,

Eté 1991. Le Monde publie une série d’été » : « Voyage avec Colomb » Un journaliste a été envoyé pour un reportage au long cours sur les traces du « découvreur » de « l’Amérique ». Ce journaliste chanceux, c’est Edwy Plenel, alors grand reporter auréolé de quelques « coups » d’« investigation » à grand retentissement.

Les conditions, inespérées pour un journaliste, sont de celles que bien peu de publications peuvent désormais se permettre : un mois de reportage dans des régions riches d’histoire, un espace démesuré pour rédiger (une page entière chaque jour pendant plusieurs semaines)... Et Plenel s’acquitte de l’ « exercice » avec brio.

Mais, alors que la « série » touche à sa fin, le 24e volet, publié le 27 août 1991, s’intitule « Scandale à Panama ». Un scoop. Plenel raconte que quelques années plus tôt, le Panama du général Noriega aurait financé le Parti socialiste français, en particulier pour pourvoir aux dépenses des élections de 1988. Des lettres sont produites, à en-tête de l’ambassade de France à Panama, datées de 1987 (l’épisode est retracé par Bernard Poulet dans Le Pouvoir du Monde, ed. La Découverte, 2003).

Dans les heures qui suivent la parution du Monde, le PS dément. Panique à la rédaction en chef du Monde [1]. Plenel est aux abonnés absents (on est en août, il est rentré depuis plusieurs semaines), et la direction du Monde dépêche deux limiers pour tenter de « rattraper le coup ». Le 30 août, le journal publie leur papier, très long. Fouillé. Mais pas vraiment convaincant. L’article tente de justifier les dires de Plenel, tout en précisant dès le début qu’ « en l’état actuel de l’enquête, les deux lettres rapportées du périple colombien (sic) ne prouvent certes pas que la campagne présidentielle de M. François Mitterrand en 1988 ait été en partie financée par des fonds en provenance du régime Noriega ». Et pour cause : très vite, les fameuses lettres se sont révélées être des faux grossiers.

Le rectificatif ne viendra que le 5 septembre. Le Monde exprime son « regret » d’avoir publié des « informations non vérifiées ». « Au stade actuel de l’enquête officielle sur les documents remis à notre collaborateur Edwy Plenel, il apparaît que la lettre de 1987 mettant en cause le Parti socialiste et le financement supposé de la campagne électorale était un faux. »

Ce « loupé » n’empêchera pas le journaliste de publier comme prévu la « série » sous forme de livre (au Monde éditions). Dans l’ouvrage, intitulé Le Voyage de Colomb (1992), il écrit : « Au retour, on apprendra que le Parti socialiste français dément (...) et que le signataire avait en 1987 quitté l’ambassade de France à Panama ( ! ...) Et, surtout, on découvrira que cette lettre est tout bonnement un faux aux motivations mystérieuses. »

L’actuel directeur de la rédaction du Monde aurait pu préférer oublier cet épisode, le verser aux pertes et profits du « journalisme d’investigation ». Mais, fin 2002, il publie une version revue et corrigée du livre, sous le titre La Découverte du monde (sic) [2]. Sans mentionner qu’il s’agit d’une réédition complétée du livre précédent, relève Bernard Poulet : « il y reproduit notamment l’article malheureux, amendé, sans dire qu’il s’est trompé, mais tout en expliquant qu’il s’agit d’un "supposé scandale" ».

« On sent bien ici comme il lui est difficile de reconnaître ses erreurs », conclut Poulet.


Patrick Lemaire


P.S.L’encadré où Le Monde (6/9/91) présente (ce qui peut ressembler à) des excuses :

« Au stade actuel de l’enquête officielle sur les documents remis au Panama à notre collaborateur Edwy Plenel, il apparaît que la lettre de 1987 mettant en cause le parti socialiste français et le financement supposé de la campagne électorale de 1988 était un faux.

Le paraphe figurant sur cette lettre, à en-tête officiel de l’ambassade de France, ne correspond pas dans sa graphie à celui de l’auteur présumé du document qui constituerait, rappelons-le, l’unique pièce à charge contre le Parti socialiste.

Sous réserves de développements nouveaux, et à ce stade imprévisibles, le Monde ne peut que se borner à constater que ses informations sur ce " scandale " ne sont pas vérifiées.

Il est donc naturel que nous exprimions à nos lecteurs et aux divers intéressés notre regret de les avoir publiées.
Br. F. »

A posteriori, certains passages de l’article d’Edwy Plenel (« Un scandale à Panama », Le Monde, 27/8/91) résonnent cruellement :

« Tout est possible, même l’impossible, même l’improbable : la rencontre fortuite d’un scandale français à Panama. Un hasard taquin a voulu que cette étape engrange un colis bien encombrant qui annonce le retour au pays. Ce sont deux lettres. » (etc.)

« Bigre ! Ce périple se voulait une échappée loin du marais politico-financier français, et voici qu’il débusque une vilaine histoire de pourcentages panaméens dans la campagne présidentielle de 1988. »

« Le voyageur est tenté de prolonger l’étape pour poursuivre l’investigation. Mais les passions colombiennes sont exclusives. »

« En cinq minutes, montre en main, n’importe quelle officine d’avocats panaméens vous dévoile les ressorts de la piraterie moderne. Comme chez les magiciens, le véritable secret, c’est qu’il n’y en a pas. Tout est transparent, immédiat et évident. »

(Compléments de fin 2004.)

 
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Notes

[1Le directeur de la rédaction est alors Bruno Frappat, qui quittera le quotidien après la prise de pouvoir de Jean-Marie Colombani et d’Edwy Plenel (lire Les coulisses de la conquête du Monde) et dirige désormais la rédaction de La Croix.

[2Lire 2002 : Edwy Plenel découvre le vaste monde (note d’Acrimed).

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