Le mercredi 12 novembre, jour de l’ouverture, le FSE a eu droit à une part de Une, avec un bandeau en haut de page, titré " Forum social européen - A quoi ça sert - Qui y participe ".
Ce bandeau renvoyait à deux pleines pages en rubrique politique, avec un titre courant sur les deux pages, " Les altermondialistes refont le monde à Paris ". La page de gauche se composait de trois parties :
- un article de présentation (comment est né le FSE, qui sont les participants, que veulent-ils ?),
- un encadré " Demandez le programme ", proposant des « temps forts » : la marche des femmes, quatre fêtes d’ouverture, la ferme de la Confédération paysanne, la grande marche de clôture du samedi, plus l’adresse Internet du FSE et l’emplacement des centres d’accréditation,
- une interview du président d’Attac, Jacques Nikonoff.
La page de droite, en trois articles, comprend un portrait, " La croisade du curé d’Ivry ", présentant ce dernier, dont il est dit qu’il participe au FSE, sans que ce soit explicité (participe-t-il comme intervenant ou organisateur à une table ronde ? A-t-il organisé des hébergements ? Les lecteurs n’en sauront rien). Mais l’article se termine par : " Parmi les rendez-vous qu’il ne manquera pas : le séminaire intitulé « Religions, luttes sociales et altermondialisation » avec le très controversé Tariq Ramadan, samedi à Ivry ". Ramadan, star du FSE ? Le quotidien y reviendra très fort.
Les deux autres articles, sur " L’embarras du PS" et " La méfiance des syndicats ", respectivement illustrés par des photos de François Hollande et François Chérèque, peignent les difficultés de ces acteurs avec les altermondialistes. Ceux-ci sont donc surtout définis négativement comme dérangeants seulement le PS et les syndicats et non pas l’ordre social qu’ils contestent. Question : ne serait-ce pas qu’ils dérangent aussi les catégories préétablies des journalistes politiques ?
Paris : FSE, connais pas
Le jeudi 13 novembre, le décalage entre les éditions locales et l’édition nationale est tout à fait manifeste.
Alors que plusieurs articles dans les éditions de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne sont consacrés au FSE (souvent avec une tonalité factuelle ou « d’ambiance » donnant une image plutôt positive ou neutre du Forum), dans l’édition de Paris, les pages locales font une impasse intégrale : hormis quelques lignes de brève sur un spectacle, le FSE n’y existe pas. Les débats tenus à La Villette ? Un non-événement pour un journal qui s’appelle « parisien ». La pleine page de faits-divers locaux (braquage d’un tabac, arrestation d’agresseurs de taxi etc.) ou la demi-page sur une exposition ouverte jusqu’à fin février, dont la moitié occupée par une photo, ne pouvaient pas attendre.
Dans la rubrique politique, un article d’un quart de page, " Le carnaval altermondialiste ", donne par son titre la tonalité des pages nationales : le FSE y sera traité surtout comme folklore, vitrine des politiques ou fait divers. L’article présente à la va-vite les " habituels tee-shirts à l’effigie de Che Guevara, de « l’Humanité », de Médecins du monde " et autres " militants du Mouvement international pour une écologie libidinale " partisans " d’un autre monde où « l’énergie sexuelle circulerait librement » ". Après un long paragraphe sur le « off » du FSE, on finit par les choses sérieuses, avec l’inauguration officielle du Forum par Bertrand Delanoë.
L’édition du Val-de-Marne compte deux articles sur le FSE ce 13 novembre. " Ivry devient la capitale des altermondialistes ", qui présente certains des débats du jour et explique les modes d’hébergement des participants, notamment chez l’habitant ou dans des structures communales. Les lecteurs de cette édition, et eux seuls, ont la réponse à l’énigme de la veille sur le rôle du curé d’Ivry : on apprend qu’il a lancé un appel pour l’accueil des visiteurs, auquel ont répondu favorablement " une trentaine de familles ". Le second article du jour, un portrait, présente une habitante de Vitry, une retraitée qui explique accueillir volontiers des jeunes étrangers.
Vivement les casseurs
L’édition de Seine-Saint-Denis du 13 novembre propose quatre articles sur le FSE. L’un, " Sergent Garcia et Bové chauffent Saint-Denis ", est un article d’ambiance. Un portrait dépeint une jeune Roumaine, étudiante venue pour l’Assemblée européenne pour les droits des femmes. Cette Assemblée a droit à un autre article à elle seule, " A Bobigny, l’Assemblée des femmes a fait le plein ". Enfin un article, " A Saint-Denis, les sans-papiers installent leur campement ", décrit les revendications de militants français et européens.
Ce jour-là, la différence entre ce travail des éditions locales et le titre dévalorisant de la page politique, ou le black-out de l’édition parisienne, est saisissante.
Elle le reste le jour suivant : le vendredi 14 novembre, un unique article dans la rubrique politique raconte que " à grands jets de gaz lacrymogène, le service d’ordre (…) a empêché quelque deux cents personnes d’accéder à la salle " faute de place officiellement, l’article mentionnant qu’il y avait parmi les refoulés " quelques dizaines de militants d’extrême gauche, venus manifestement dans l’intention de troubler l’un des rares débats du FSE auquel participait le Parti socialiste ".
L’article se termine par la visite impromptue de François Hollande au FSE - on aura compris que dans la rubrique politique, le contenu des débats et séminaires du Forum n’avait sans doute aucun intérêt. Mais cet article mérite surtout l’attention par ce qu’il révèle des attentes de la rédaction en chef du quotidien : il est titré... " Premières échauffourées ". On imagine le journaliste guettant avec gourmandise les incidents suivants, inéluctables dans son esprit, avec la machinerie des " Escalade ", " Nouvelles violences " et autres titres accrocheurs.
Ramadan et Besancenot en vedettes
Ce 14 novembre, nouvelle Une citant le FSE... avec une grande photo titrée " Mais qui est donc Tariq Ramadan ? ", dont il est indiqué au-dessous que " son intervention au Forum social européen est particulièrement attendue ". Le théologien a droit à deux pages, présentées sous un chapeau qui rappelle que " sa présence aujourd’hui et demain au Forum social européen (altermondialistes) suscite la polémique ".
Parmi tous les débats qui ont occupé les quatre jours du FSE, pas un n’a eu droit à un article national à lui seul, hormis la réunion des partis (voir ci-dessous), mais la présence du théologien controversé rameute la Une et les deux pages d’ouverture dites « Le fait du jour ».
Ce même jour, les éditions du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis continuent leur large couverture du FSE, avec propos de participants et d’habitants, citations des échanges, scènes vues (la ferme temporaire installée à Saint-Denis a droit à un long article, sans une once du mépris distillé les jours précédents dans les pages politiques). Les pages locales du Val-de-Marne proposent, le vendredi comme le samedi, un mini-programme des débats du jour. Parallèlement, le 14 novembre, l’édition de Paris maintient son silence total sur le Forum.
Le lendemain, tandis que les deux autres éditions poursuivent leur labeur minutieux, les pages parisiennes passent un court article, orné d’une photo plus grande que le texte, " Des manifestants du FSE envahissent un bâtiment de la Ville ". Manque de chance pour le titreur de la veille, aux aguets devant toute violence, cette action s’est déroulée " dans le calme ", même si elle a réuni " entre 300 et 400 participants du Forum social européen ".
Ce samedi 15 novembre, ouf : le service politique retrouve ses repères, avec la table ronde des partis la veille. Ce qui permet de publier un article intitulé " Le poids des trotskistes ", avec photo d’Olivier Besancenot debout micro à la main. Le passage à la trappe du reste du FSE et de ses dizaines de milliers de participants est implicitement justifié au début de l’article : " Les (nombreux) débats entre altermondialistes - qu’il s’agisse d’éducation, de culture, d’immigration ou encore de l’avenir de l’Europe - ont tendance à ronronner gentiment ". Ce que ne font sûrement pas les journalistes politiques du Parisien...