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Conflit à « Là-bas si j’y suis »

par Acrimed,

En décembre 2003, au moment de publier les textes qu’on pourra lire ci-dessous, nous écrivions : « La place particulière occupée dans le paysage médiatique par l’émission « Là-bas si j’y suis » diffusée sur France Inter ne justifie pas que l’on passe sous silence les accusations portées contre son animateur et producteur, même si, dans ce cas, le refus de se taire ne va pas sans un grand sentiment de tristesse. »

Huit ans après, il nous a semblé qu’il était temps de regrouper en un seul article tous ceux que nous avions consacrés à ce conflit et de modifier le titre (Acrimed 8 octobre 2011)

I. Le 1er décembre 2003, Acrimed écrivait :

Informés par un communiqué intersyndical de Radio France qui mettait en cause « le comportement tyrannique » du « producteur de l’émission « Là-bas si j’y suis » [1] à l’égard de Joëlle Levert, attachée de production à l’émission, et alertés par un texte de cette dernière qui accusait ledit producteur, Daniel Mermet, de « harcèlement moral », nous avions souhaité publiquement (et dans une lettre que nous lui avons adressée) que celui-ci s’explique « tout simplement parce que les faits invoqués par Joëlle Levert sont en contradiction avec les valeurs défendues à l’antenne par l’animateur de « Là-bas si j’y suis ». » Daniel Mermet nous ayant fait parvenir sa réponse, nous la publions aujourd’hui avec le texte de Joëlle Levert. Pourquoi ?

 A la rumeur, préférer l’information. Si nous publions ces textes, ce n’est pas pour nous poser en juge ou en arbitre, et encore moins pour alimenter un débat de « café du commerce et du commérage », même si ce café « en ligne » est un café virtuel. Au contraire. Si nous avons estimé qu’il était « impossible de se taire », ce n’est certainement pas pour instruire un procès public, nous substituer à l’intervention des organisations syndicales, voire à un arbitrage judiciaire. C’est pour que chacune et chacun puissent librement se faire une opinion.

 A la connivence, préférer la clarté. « Objectivement complices » ? Cet argument policier a déjà beaucoup servi, il servira encore. Mais " complices " de qui ? Des adversaires de l’émission « Là-bas si j’y suis », sous prétexte que ses détracteurs sont à l’affût et que nous donnons la parole à Joëlle Levert ? De l’oppression masculine, sous prétexte que nous n’instruisons pas un procès à charge et que nous donnons la parole à Daniel Mermet ? Aucune solidarité ne valait qu’on taise un conflit qui soulève tant de questions sur les relations de travail dans les entreprises médiatiques, notamment quand l’extension de la précarité contribue à fragiliser un peu plus la situation des « personnels », surtout quand ceux-ci sont des femmes.

 Par amitié, préférer la vérité. Nous avions écrit : « La place particulière occupée dans le paysage médiatique par l’émission « Là-bas si j’y suis » diffusée sur France Inter ne justifie pas que l’on passe sous silence les accusations portées contre son animateur et producteur, même si, dans ce cas, le refus de se taire ne va pas sans un grand sentiment de tristesse. » Nous devons maintenant ajouter : l’amitié que nous portons à Joëlle Levert valait bien que l’on rende publique la réponse de Daniel Mermet, en gage de l’amitié que nous lui portons aussi, même si, dans ce cas, le refus de nous taire ne va pas sans un grand sentiment de gâchis. (Acrimed)

II. « Un cas de harcèlement moral à Radio France », par Joëlle Levert (publié le 1er décembre 2003)

Le lundi 6 octobre 2003 dans la matinée, j’ai avalé des médicaments à mon bureau de France Inter et depuis, je suis en arrêt maladie. Pourquoi ? Parce que je suis victime depuis de longs mois, en fait depuis des années, de harcèlement moral de la part de Daniel Mermet, dont je suis l’assistante pour l’émission « Là bas si j’y suis ». Je sais à quel point il est difficile d’établir ce genre de choses et je tiens, pour commencer, à dire que je ne suis pas la première. A ma seule connaissance, au moins une dizaine de collaboratrices de l’émission - attachées de production, comme moi, assistantes de réalisation ou reporters - ont eu à subir les vexations et brimades de Daniel Mermet. Il serait très facile, pour la direction de France Inter qui n’ignore pas ces précédents, de les entendre, car beaucoup travaillent encore pour la maison, après avoir quitté, comme on s’évade d’une prison, une collaboration devenue peu à peu insupportable. Faut-il parler de R.B, plongée dans la dépression, et qui pleurait chaque soir ou presque au cours des derniers mois de sa participation à l’émission ? De C.L, qui vomissait souvent en rentrant de la cantine, à force de stress et de pressions ? De V.B, enceinte, qui laissa tomber parce qu’elle craignait pour sa santé ? De C.L, de S.C, de M.B, et de bien d’autres ?

Ces précédents sont même de connaissance publique car Daniel Mermet, qui bénéficie d’une impunité à peu près totale, ose parfois reconnaître une partie de ces faits. Quand un journaliste de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles l’interroge en février 2000 sur sa réputation de chef de clan tyrannique, il répond sans détour : « Je suis exigeant pour les bons, tyrannique pour les médiocres ». Mais qu’on ne s’avise pas de lui faire la leçon, comme la journaliste de Télérama Emmanuelle Dasque, en juillet 2002 ! Pour avoir écrit : « Capable de se laisser aller aux pires excès de colère, "d’épuiser ses réalisateurs, de faire prendre 25 kilos à son assistante, de la faire pleurer devant la photocopieuse", s’emballe un journaliste », elle fut menacée de procès par Mermet, mais heureusement défendue par sa hiérarchie. Christophe Ayad en revanche, journaliste à Libération - un homme, est-ce un hasard ? - ne s’attira aucun reproche en écrivant, pendant l’été 2002 que Mermet était « trop dictatorial avec ses collaborateurs, trop tyrannique et méprisant avec le petit personnel pour exercer un magistère ».
J’ai fait partie pendant trois ans du petit personnel de Daniel Mermet, et je sais ce que cela veut dire.

La saison 2000/2001 - J’ai commencé mon travail d’assistante en septembre 2000, et j’ai envisagé de partir au bout de deux mois. Le travail était difficile, en particulier parce qu’il obligeait à se caler sur le temps personnel de Daniel Mermet. Il arrivait entre 13h30 et 15 heures, et il fallait être là pour l’accueillir. Pendant deux ans, sauf quand il était en reportage, je n’ai presque jamais déjeuné à la cantine. Il fallait l’attendre. Et ne jamais prévoir une soirée, car c’était pareil en fin de journée. Il fallait attendre qu’il ait passé tous ses coups de fil pour faire le point et discuter du programme des jours suivants. Je ne quittais jamais ou presque le bureau avant 20 heures. J’étais en CDD - j’en ai eu sept à la suite avant d’obtenir un CDI - et je savais ce qui m’attendait si je n’acceptais pas ces conditions.

Saison 2001/2002 - Cette année-là, j’ai bien mieux compris le système Mermet et son fonctionnement maladif. Ce qui rythme le bureau et le travail, c’est son propre rythme de vie. Et sa psychologie propre. A chaque problème professionnel, l’équipe est accusée de « saboter » l’oeuvre du maître. Le maître-mot, au coeur des crises rituelles et récurrentes, c’est « sabotage ». Régulièrement, les membres de l’équipe sont qualifiés d’ " invertébrés ", indignes de travailler pour l’émission. Pour ma part, j’ai perdu les (relatives) faveurs de Daniel Mermet au printemps 2002. A cette époque, il crée avec des chômeurs, dans le cadre de la Maison de la culture d’Amiens, une pièce de théâtre. Et je suis mobilisée pour assurer son succès, notamment en préparant, à l’atelier de reprographie de Radio France, des dizaines de dossiers de presse pour la pièce. Mermet n’est pas satisfait, et m’accusant de ne pas assez en faire, de ne pas aller assez vite dans la promotion d’un travail pourtant extérieur à la radio, finit par me reprocher de mépriser les chômeurs eux-mêmes. La culpabilisation organisée est l’une des clés du personnage et de son fonctionnement pathologique. Travailler pour lui, ce n’est pas travailler, c’est s’engager à son service, au service de son image.

Dans ce contexte, être son assistante ne connaît pas de vraie limite. Dès que quelque chose ne tourne pas rond, dès qu’une cassette manque quelque part, ou un micro, jusqu’au moindre détail, c’est la faute de l’assistante. Quand tout fonctionne ce n’est jamais grâce à mon travail et ma disponibilité, mais qu1un problème survienne, j’en porte alors la responsabilité.

Saison 2002/2003 - C’est à l’automne 2002 que tout s’est définitivement dégradé. Probablement parce que j’ai pu enfin signer, le 31 octobre, un CDI. Mermet en a été très mécontent, disant par exemple : « Te voilà fonctionnaire ! Les gens qui ont un contrat ne se donnent plus au travail. Avant, quand les contrats n’existaient pas, les gens se défonçaient ! ». Pour moi, ce fut une libération : j’ai commencé à voir des gens en dehors de l’émission, à déjeuner à la cantine, j’ai commencé à m’échapper. Et sa réaction n’a pas manqué : il me reprochait de plus en plus mes contacts à l’extérieur, mes discussions dans les couloirs. Et ma confiance en moi et dans mon travail a peu à peu disparu. Il était évidemment nécessaire pour la qualité de mon job que je noue des relations avec d’autres services d’Inter, mais Mermet ne pouvait pas le supporter. En décembre 2002, l’émission tournait mal, et rediffusait beaucoup d’anciens reportages, ce que la direction d’Inter trouvait discutable. Dans la soirée du mardi 9 décembre, Daniel Mermet s’est trouvé convoqué à ce sujet par Jean-Luc Hees, le patron d’Inter.

Dans l’après-midi, Annette Lyautey, cadre de production à France Inter, m’a appelée pour me demander la liste des rediffusions déjà diffusées. Je lui ai remis cette liste, qui a ensuite été, je crois, présentée à Mermet par Jean-Luc Hees. A la sortie de la réunion avec la direction, celui-ci s’est déchaîné contre moi, me traitant de « traître », de « collabo », m’accusant de mettre l’émission et le travail de toute une équipe en danger en ayant accepté la demande de la direction - qu’y avait-il de secret ? -, que les reporters auraient moins d’argent pour leur travail, etc. La culpabilisation, encore.

Pendant plusieurs jours, il s’est montré très accusateur, et le jeudi soir, le 11 donc, il m’a convoqué le lendemain à 9 heures. Et il a recommencé à me dire que j’étais une « traître », etc. J’ai eu envie, ce jour-là, je le jure, de me jeter par la fenêtre. Les semaines suivantes, j’ai commencé à ne plus trouver le sommeil. Des collègues de l’émission, qui connaissaient la chanson, me disaient : « Quand il commence à traiter quelqu’un comme ça, c’est qu’il veut le virer. Ça va aller crescendo ». Au cours de réunions de travail, à la moindre anicroche, cela retombait sur moi. « Si on avait une vraie assistante, qui remplisse vraiment son rôle ! », disait Mermet.

Un exemple parmi bien d’autres : depuis mars 2002, il y a un site internet de l’émission, avec envoi possible de messages électroniques. On en recevait entre 20 et 100 chaque jour (ce fut le cas au printemps 2003, pendant les semaines de forte agitation sociale), qu’il fallait lire, trier, auxquels il fallait répondre, en trouvant quelquefois des références. C’était un vrai travail, qui m’aurait pris entre deux et trois heures chaque jour si j’en avais eu le temps, ce qui n’était pas le cas. Mermet disait à ce propos : « Si tu étais une vraie assistante, si tu savais taper comme une vraie secrétaire, tu y répondrais en cinq minutes ». Il a toujours refusé d’admettre qu’il s’agissait d’une charge de travail supplémentaire.

Septembre 2003 - Tout s’est accéléré en septembre dernier. Chaque jour, depuis le début de ma collaboration avec lui, je devais l’appeler à son domicile dans la matinée, pour faire le point sur l’émission. Mais depuis le printemps, j’appréhendais toujours plus ce moment-là. Le 10 au matin, je l’ai appelée en retard, et il était très en colère. Il m’a dit : « Bon, je suis obligé de te garder comme assistante, mais fais donc ta vie dans les couloirs et à la cantine, moi je fais mes émissions. Je te demanderai de petites choses comme ça, de temps en temps. » Exactement comme si, professionnellement parlant, je n’existais plus. Le plus affreux, peut-être, c’est qu’après m’avoir parlé de la sorte, il a demandé à parler au réalisateur, avec qui il a été chaleureux, très cordial. Mermet sait ce qu’il fait, il sait faire souffrir. C’est toujours ainsi qu1il a procédé, adoptant un ton menaçant à mon égard, redevenant très amical pour s’adresser aux autres membres de l’équipe. Il faisait tout pour que je me sente exclue. Pour que je reste seule, comme une idiote.

Le 22 septembre, j’ai demandé un rendez-vous à la directrice-adjointe d’Inter, Marie-Christine Meyer, pour lui parler de ces histoires de courrier électronique, et de mon malaise profond. Le jeudi 25 septembre, j’ai pris une journée de RTT, et de même le vendredi et le lundi suivant, le 29. Depuis mon CDI, je pouvais enfin prendre ces journées de repos, mais à chaque fois, Mermet me le faisait payer. Il ne supportait pas. Une remplaçante avait préparé la traditionnelle émission avec Le Monde Diplomatique, et il y a eu une léger malentendu sur la date, que Mermet m’a imputé alors que je n’y étais pour rien. Il m’a dit textuellement : « Tu vois ce que c’est, rien ? Toi, t’es moins que rien ».

Le 1er octobre, je me doutais que ça allait mal se passer. J’étais morte de peur, et je l’ai appelé chez lui, en fin de matinée, tard selon lui. Cette fois, il m’a dit sur un ton glacial : « Bon, on arrête là. Tu quittes cette émission ». Et il a ajouté que c’était l’équipe qui réclamait mon départ, ce qui n’était pas vrai. Je me suis retrouvée en larmes dans le bureau de Patricia Piffault, à qui il a déclaré, dans l’après-midi « Joëlle, on veut s’en défaire ». Le jeudi 2, je suis retournée au bureau et j’ai dit bonjour à Daniel Mermet. Il m’a regardée, mais ne m’a pas répondu. Ce même jour il a dit à [...] [2] : « Viens me voir après l’émission, j’ai quelque chose à te proposer. » Cette proposition, c’était mon poste, ma place. Personne ne disait rien, personne ne me disait rien. J’étais chassée, sans parole, sans aucun moyen de me défendre. Je devais disparaître. Et le 6 octobre, j’ai avalé des médicaments, parce que je ne savais plus quoi faire, parce que j’en avais assez. Je ne suis plus là-bas, je suis désormais ailleurs. Est-ce qu’on doit supporter cela ?

Joëlle Levert, le 2 novembre 2003.

III. « Joëlle m’a mordu », par Daniel Mermet (publié le 1er décembre 2003)

Toute l’équipe de « Là-bas si j’y suis » a été consternée par le geste de Joëlle. Le lundi 6 octobre 2003, après avoir absorbé une dose excessive d’anti-dépresseur, notre assistante a été prise de nausée en présence des collaborateurs de l’équipe qui l’ont aussitôt conduite à l’infirmerie de Radio-France. Depuis plusieurs mois elle manifestait un état de fragilité psychologique qu’elle imputait au surmenage et à des problèmes familiaux ou personnels. Elle prenait des tranquillisants qui la rendait parfois imprévisible mais personne dans l’équipe n’avait pu prévoir un tel geste, heureusement sans conséquence pour sa santé.

Aujourd’hui après une période de repos, elle intègre une émission hebdomadaire. Donc un rythme beaucoup moins soutenu, ce qu’elle souhaitait et ce que toute l’équipe lui suggérait. Ce changement d’affectation proposé par Jean-Luc Hees directeur de France Inter, n’aura pas d’incidence sur sa rémunération. Depuis la rentrée de septembre 2002, Joëlle est en CDI (Contrat à Durée Indéterminée) et bénéficie d’une garantie d’emploi. Le rythme d’une émission quotidienne est éprouvant, tout particulièrement une émission élaborée comme « Là-bas si j’y suis », et spécialement le poste crucial d’attaché de production, à la fois secrétaire, documentaliste, coordinatrice, avec le coup de feu quotidien de l’émission à 17 heures. Depuis des années nous demandons un collaborateur supplémentaire au moins à mi-temps, depuis des années c’est le même refus (cordial). Très spontanée, très sensible, du genre qui « prend les choses trop à cœur », Joëlle, ne se faisait pas à ce tourbillon incessant, Elle va pouvoir respirer et découvrir un autre univers radiophonique. En somme il s’agit d’un simple changement d’affectation. Avant chaque saison radiophonique les équipes se créent ou se modifient ou repartent ensemble pour un nouveau bail. Affaire de convenance, d’attirance, de compétence ou de simple envie de changement

Sauf que cette fois le changement a viré au psychodrame.

Juste après cet incident, courant octobre, Joëlle a fait circuler un texte vengeur et passionnel qui dresse de moi un portrait assez peu séduisant. Elle se présente en absolue victime, seule et sans aucun droit ni aucun recours, tyrannisée par le méchant monstre cynique et puissant que je suis comme chacun sait. « Je suis victime depuis de longs mois, en fait des années, de harcèlement moral de la part de Daniel Mermet » écrit Joëlle Levert. Bigre ! Les amateurs et les mateurs de « face cachée » se pourlèche.

On voit déjà les titres, « L’agitateur de la conscience humaine torturait sa pauvre assistante ! »

Ce texte est une suite de calomnies et d’invitations au lynchage médiatique qui seraient préjudiciables s’il n’avait été dicté par la colère. Colère dont il est vrai que je suis mal placé pour m’indigner. Bien peu me croiraient si j’affirmais que Là-bas si j’y suis est un long fleuve tranquille où se baigne Amélie Poulain en compagnie de Jean-Marc Sylvestre. Tout comme une certaine sociologie, « Là-bas si j’y suis » est un sport de combat. Mais de là à me voir dénoncé en tortionnaire moitié Teinardier moitié Landru, c’est une peinture à laquelle j’hésite tout de même à souscrire.

Soyons clair. Je ne mets nullement en doute le désarroi de Joëlle, mais le vent de la vengeance la pousse vers les récifs mortels de la mauvaise foi.

Ainsi elle laisse entendre que j’ai le pouvoir d’un patron régissant contrat, horaire, salaires vie et mort du petit personnel. Bien qu’affublé du titre de « Producteur délégué », je ne contrôle nullement le budget de l’émission, pas plus que je ne suis l’employeur des collaborateurs. Le choix d’un nouveau collaborateur se fait avec l’accord de la direction. C’est la règle pour toutes les équipes des programmes. Pour avoir maintes fois essuyé le refus (cordial) de l’administration à mes demandes d’augmentation pour les collaborateurs de l’équipe (notamment les reporters et pour le poste d’attaché de production qu’assumait Joëlle) je puis affirmer que je ne suis nullement habilité à fixer contrats et rémunérations ! Comme la plupart des collaborateurs des programmes, toute l’équipe est en CDD, y compris moi-même. Nos contrats prennent fin en Juin 2004 et rien ne nous assure qu’ils seront reconduits. Mais contrairement a ce que Joëlle suggère je ne suis en rien responsable des « 7 CDD » successifs sous lesquels elle a travaillé avant de signer un CDI à la rentrée 2002. Deuxième oubli de taille. Avant d’éponger les larmes de la pauvre assistante et de courir au lynchage de son salaud de patron avec son émission brejnevienne en forme de pneu autour du cou, il faut évoquer un curieux cas de servitude volontaire.

Une question : Oui ou non, Joëlle pouvait-elle s’évader des cachots de « Là-bas » ? Au printemps 2002 elle accepte le principe d’un contrat en CDI qu’elle signe à l’automne. La voilà qui « fait partie de la maison ». Comme tous les attachés de production, elle a la possibilité de demander une autre affectation sans perte de revenu. Elle peut aller voir sur France-Culture ou d’autres chaînes. Mais elle choisit de demeurer « Là-bas ». Or aujourd’hui elle prétend qu’elle était alors victime de l’odieux tyran ! Si c’était vrai pourquoi n’est elle pas partie ? On le voit, sous l’empire du ressentiment, Joëlle ne s’encombre ni de vérité, ni même de vraisemblance.

Car la vérité est toute simple.

Avec le temps un désaccord s’était installé entre nous sur la façon d’organiser le poste d’assistante .Quelque chose s’est déréglé peu à peu. Phénomène très ordinaire dans des relations de travail. Les choses devenaient impossibles pour tout le monde. Les crises étaient récurrentes avec chacun. Comme dans beaucoup d’autres émissions, l’équipe de « Là-bas » ressemble à un petit orchestre. Difficile d’y jouer un autre air sur un autre tempo. Et il faut beaucoup de feeling pour assurer le bœuf quotidien ! En Mai, lors d’un déjeuner, l’équipe lui a conseillé de décrocher. Inconcevable, pour elle. Elle est tombée en larmes et s’est enfuie comme un enfant chassé par sa famille.

Depuis septembre 89, « Là-bas » n’existe que par l’engagement et les convictions de celles et de ceux qui ont vécu et fait vivre cette aventure. Parmi une soixantaine de collaborateurs depuis quinze ans, il y a eu des révélations, des erreurs de casting, des fâcheries et des retours, de vraies amitiés et de grandes amours...Et de solides rancunes ! De vraies rancunes villageoises qui se transmettront jusqu’à la septième génération de moquette au long des couloirs de la maison ronde bien après sa privatisation...

Je pourrai reprendre chaque point du texte de Joëlle, et dénoncer amalgames confusionnels, allégations sans preuve, citations soigneusement extraites du contexte, etc. Je n’ajouterai que la mesquinerie à la stérilité. De n’importe quelle expérience humaine, n’importe qui peut tirer un bilan accablant. Il suffit d’accumuler tous les mauvais moments d’une histoire, coups de colère, malentendus, vacheries, fâcheries...vous pouvez en inventer, tous les coups sont permis, vous les épluchez, vous les mitonnez, vous les servez avec une sauce au fiel...L’inconvénient c’est que ça vous oblige à jeter les bons moments vécus, tout ce que vous aviez pris et appris, les petits et les grands bonheurs, les jolis morceaux de lutte et de vie, les commandos fadas, les naissances, les coups de rouge sur un coin de bureau...C’est très dur quand il faut déchirer les photos !

Et voilà pourquoi Joëlle n’est pas partie à temps. Pour les photos, pour les futures photos. Parce qu’elle était partie prenante, trop généreuse, trop attachée. Il aurait fallu changer bien plus tôt, en douceur, aller voir là-bas si j’y suis. Mais allez donc essayer de mettre de la raison dans une histoire d’amour ! Au lieu de ça, Joëlle a mis en acte un autre de nos titres : « Mords la main qui te nourrit » ! ...
Joëlle, sans rancune, je te tends celle qui me reste.

Daniel Mermet, 1er décembre 2003.

 
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Notes

[1« Attaché de production : un vrai métier, de vrais droits (publié le 27 novembre 2003 sur le site d’Acrimed sous le titre » : « Les syndicats de Radio France défendent les attachés de production. Daniel Mermet mis en cause ») :

« Un nième manquement aux règles élémentaires de gestions des personnels Attachés de Production, survenu dans une équipe de France Inter, nous conduit à rappeler la loi.
- 1 - Le métier d’Attaché de production est un métier en Contrat à Durée Indéterminée de la Convention Générale - un métier transversal (toutes Chaînes Nationales).
- 2. Le nombre de postes a été fixé en 2003 à 107 Attachés de Production pour l’ensemble des chaînes.
- 3. Aucun poste d’Attaché de production ne peut être occupé par un personnel rémunéré au cachet (Collaborateur Spécialisé ou autres)
- 4. Le CDD ne peut être utilisé qu’en remplacement d’absences légales ou pour surcroît de travail temporaire.
- 5. Tout poste vacant doit être mis en consultation sur l’ensemble de l’entreprise.
Concernant le problème ponctuel de l’équipe de « Là bas si j’y suis » sur France Inter, le changement d’affectation de l’actuelle Attachée de Production, rendu nécessaire par le comportement tyrannique du Producteur, ne saurait donner lieu au recrutement d’un nouveau Cachetier.
Si toutes ces règles n’étaient pas désormais respectées, les organisations syndicales se réservent le droit de toute action, y compris juridique. CFDT, la CGT et FO de Radio France. »

[2Nom retiré à la demande de la personne concernée (8 octobre 2011).

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