" Après le flicage des prostitués, des jeunes, des magistrats, des immigrés et la fièvre répressive des journalistes, voici venir le flicage des journalistes. (...) La popularité que le ministre de l’intérieur a gagnée grâce à sa politique sécuritaire a sans doute inspiré nos amis d’ATTAC, du Monde Diplomatique et du Forum Social. En septembre de cette année est né l’OFM (Observatoire français des médias). "
Ayant d’emblée désigné l’OFM comme un repaire de flics, il ne reste plus à Philippe Val qu’à proposer son épuration. Mais d’abord à lui fixer les objectifs que lui, Philippe Val, considère comme légitimes et qui vaudront, peut-être, à l’OFM de recevoir son inestimable adhésion.
Puis, ayant publiquement posé, du haut de sa chaire, ses premières conditions, Philippe Val entreprend de faire le tri entre " des journalistes comme Jean-Marie Vadrot, Marc Lecarpentier ou Marcel Trillat " et " une partie des fondateurs ", pour le motif suivant : " Leurs antécédents déontologiques et la nature de leur action journalistique, ces dernières années, n’inspirent qu’une confiance très limitée ". Des noms ! Des noms ! [1]
Mais avant de les livrer, Philippe Val a encore une confidence à nous faire : on ne blesse pas impunément sa vanité. Ce qui nous vaut le préalable suivant : " D’abord, en tant que membre fondateur d’Attac, j’ai été extrêmement surpris de n’avoir, à aucun moment, été informé de la création de cet observatoire. Il faut dire que je sens le gaz " [2].
Et Philippe Val de rappeler ses prises de positions politiques les plus tonitruantes pour y voir l’origine d’un manque évident de courtoisie à son égard et pour prendre la pause du persécuté : " (...) Je comprends que l’on m’ait effacé de la photo de famille, selon le bon vieux principe auquel Staline a donné ses lettres de noblesse " [3]. Pensez donc, les initiateurs de l’Observatoire ont omis d’informer personnellement Philippe Val ! Et c’est à l’aune de la déférence qu’on lui doit que sa majesté libertaire sanctionne le crime qui le lèse : " (...) cela nous donne une première indication de la qualité du débat démocratique dans le milieu des fondateurs de l’Observatoire ".
Avant de prendre ses désirs pour la réalité : " L’Observatoire français des médias sera un mort-né. Et s’il survit, ce sera un mort-vivant. Une machine à délation morbide, se nourrissant de la haine des journalistes en général ". L’enflure étant, chez les roitelets, une marque de fabrique, toute critique qui les vise est une " délation morbide " et vise par avance la totalité des journalistes. Avec pour seul mobile, " la haine ". Un sentiment étranger à Philippe Val, comme le montre la phrase suivante :
" Déjà, la présence parmi les animateurs d’amis de Fidel Castro, comme Ignacio Ramonet, directeur de la rédaction du Monde diplo [4], dont on ne voit pas ce qu’il pourrait apprendre à nos médias - si imparfait soient-ils - en matière de liberté de la presse, ne porte guère à la confiance ".
On pourrait s’arrêter là, bien que nous n’ayons atteint que la fin de la première des deux colonnes. Mais il y a " De surcroît " :
" Mais, de surcroît, que Serge Halimi soit un des initiateurs de l’OFM prive le projet de tout espoir d’acquérir un jour une quelconque légitimité. "
Et notre moraliste en charge des labels de " légitimité " de poursuivre par une longue dénonciation - en rien haineuse ou policière... - de Serge Halimi (" parasite " du groupe Le Monde, dont l’ " obsession maladive " l’a conduit à la " déchéance morale "), et des " procédés " dont use le journal Pour Lire Pas Lu, à l’endroit d’Alain Minc et de Laurent Joffrin.
Qu’on apprécie ou non les formules satiriques de Pour Lire Pas Lu, il faut une singulière mauvaise foi - ou bêtise ? - pour les prendre au premier degré et les assimiler à des concepts théoriques, surtout dans les colonnes d’un (très lointain...) héritier d’Hara Kiri. Mais Le Monde et Bernard-Henri Lévy ayant précédé Philippe Val dans cette voie, inutile d’y revenir longuement ici [5].
Plus intéressante, en revanche, est la défense inconditionnelle de Jean-Luc Hees, directeur de France Inter (et employeur de Philippe Val [6]), assortie d’un pathétique appel à Martin Winckler (pour qu’il ne laisse pas dire qu’il a été " licencié sur ordre des laboratoires pharmaceutiques ") [7] et à Daniel Mermet (pour qu’il proteste " véhémentement de l’honnêteté jamais prise en défaut de Hees ") [8].
Que Philippe Val " défende " ses amis, quoi de plus normal ? Mais c’est ce qui le conduit, sans transition, à présenter l’Observatoire français des médias ... comme une menace contre la démocratie : " Si l’Observatoire français des médias sert à insulter et à diffamer en priorité ceux qui se font la plus haute idée de leur métier, alors ce n’est pas la corruption et la collusion qu’il combat, c’est le journalisme libre, en tant qu’il est un élément déterminant de la démocratie. "
Vient alors la décision de Philippe Val, tant redoutée :
" C’est pourquoi, tant que l’OFM ne se désolidarisera pas publiquement de ces propos, ne dénoncera pas les méthodes de certains de ses membres et de ne leur demandera pas de s’excuser clairement ou de quitter l’OFM, je demande que mon nom soit retiré de la liste des membres fondateurs d’Attac, qui est à l’origine du projet. "
Car il est bien évident que désobéir à Philippe Val reviendrait à confirmer que l’Observatoire français des médias est bien ce qu’il est : une " milice de la presse ".
Ce qu’aucun prélat de la presse (quand il excommunie) ou gendarme de la bienséance (quand il verbalise) ne saurait tolérer. Mais Philippe Val, qui postule pour les deux fonctions, n’est pas un milicien...