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Menaces sur l’édition scolaire

Chronique parue dans La Marseillaise du jeudi 17 juin 2004, publiée ici avec l’autorisation de l’auteur.

Désormais Lagardère-Hachette et Seillière-Wendel contrôlent la majeure partie de l’édition française. Le Canard Enchaîné résumait la situation du secteur en y incluant la presse écrite et la télévision : « Un bétonneur propriétaire de la première télévision de France (TF1), deux marchands de canons (Dassault et Lagardère-Hachette) qui se partagent les plus gros morceaux de la presse quotidienne et hebdomadaire tricolore, un maître des forges qui devient (derrière le même Lagardère-Hachette) deuxième éditeur du pays ».

Ce qui vient de se passer en quelques semaines en France, après il est vrai un mouvement profond dans ce sens depuis des années, ce n’est rien de moins qu’une véritable « berlusconisation » des médias et de l’édition. Des dizaines de marques éditoriales sont désormais contrôlées par ces deux groupes. Même les éditions La Découverte (ex-éditions François Maspéro) et Syros (ex-maison d’édition du PSU) sont tombées dans les mains de l’héritier du Comité des Forges. C’est le résultat final, il faut le rappeler, de la décision prise par la CFDT qui était devenu l’actionnaire principal de ces maisons d’édition.

Le contrôle de l’édition et des médias par les marchands d’armes et le patron du MEDEF est lourde de menaces. Nous partageons totalement les craintes exprimées ici même par Philippe Breton la semaine passée. La gravité de la situation nous conduit à y revenir.

Les menaces sont d’abord insidieuses. La pseudo indépendance éditoriale de chacune des maisons d’édition de ces groupes est un leurre. La censure n’est pas forcément directe mais larvée. Dans l’optique du profit maximum (les « 20 % de rentabilité » imposés), les éditeurs d’Editis et de Lagardère privilégieront d’abord ce qui se vendra. Si Bové plaît toujours, Bové sera encore édité. La règle déjà largement en usage dans le monde de l’édition sera renforcée : la ligne éditoriale sera davantage encore suggérée par la demande (le marketing) et non plus impulsée par l’offre (les choix des directeurs d’édition ou de collection).

Mais ceux qui désormais contrôlent ces maisons d’édition seront tentés d’aller plus loin. La valse des directeurs d’éditions et de collections qui ne s’alignent pas sur la logique financière a déjà commencé avant la dernière redistribution des cartes. S’agissant des manuels scolaires, nous sommes encore plus inquiets. On peut craindre que les concepteurs de manuels auront le choix entre partir ou s’aligner afin de ne pas heurter l’idéologie patronale.

Cette hypothèse n’est pas une vue de l’esprit. A deux reprises au moins dans le passé, les milieux patronaux ont mené des campagnes virulentes, relayées par la presse et des parlementaires à leurs ordres, pour stigmatiser des manuels scolaires de sciences économiques et sociales jugés partisans parce qu’ils contribuaient à l’éveil de l’esprit critique des élèves. Les enseignants concernés se souviennent : une bande dessinée reproduite par un des manuels visés proposait notamment aux lycéens de réfléchir sur les choix budgétaires, elle rappelait le coût d’un navire militaire en équivalent lycées et le coût d’un missile en équivalent mois de rémunération d’un instituteur. Poser ces questions était considéré par les initiateurs de la campagne de dénigrement et d’intimidation patronale comme de la propagande inadmissible... Seillière en personne s’en était pris à la « vision marxiste » de ces manuels. Parions que les éditeurs scolaires contrôlés par le marchand d’armes Lagardère ou tombés dans l’escarcelle du patron du MEDEF ne risquent plus de publier ce type de manuel... Aujourd’hui 80 % de l’édition scolaire est dans leurs mains, on peut craindre maintenant un véritable contrôle des esprits.

Après la « refondation sociale », la « refondation éditoriale » version MEDEF menace.

Roland Pfefferkorn

 
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