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Loin de la Palestine : une réponse des {Dernières Nouvelles d’Alsace}

par ColMar,

Plusieurs lecteurs des Dernières Nouvelles d’Alsace avaient protesté par courrier au sujet de l’absence de tout compte-rendu d’une manifestation pour la paix dans la justice en Palestine, au cours de laquelle, le 12 juin à Strasbourg, plusieurs centaines de personnes avaient défilé aux côtés de Leila Shahid et Michel Warschawski. Lire : « Les Dernières Nouvelles d’Alsace : loin de la Palestine »

Alain Howiller, directeur de la publication et rédacteur en chef, a répondu individuellement (mais pas dans le journal...) à ces critiques. Nous publions ici même cette réponse, suivie de quelques commentaires

Réponse de Alain Howiller

Strasbourg, le 28 juin 2004

Madame, Monsieur,

Vous avez bien voulu nous faire part de votre réaction au fait que nous n’avons pas rendu compte dans nos éditions du 13 juin, jour d’élections européennes, de la manifestation du 12 juin, place de l’Université, avec la participation de pacifistes israéliens. En lançant une pétition contre cette décision, vous avez cru pouvoir incriminer l’orientation du journal dont je dirige la rédaction et dont j’assume, bien entendu, les approches.

Je voudrais d’abord attirer votre attention sur le fait que si votre manifestation a rencontré un certain succès, c’est sans doute pour une large part parce que nous l’avons largement annoncée le samedi 12 juin sur deux colonnes intitulées "Rassemblement pour la paix au Proche-Orient". Dommage que vous ne releviez pas la présence de ce texte volontairement mis en évidence.

Dommage aussi que vous oubliez que nous n’avons pas attendu votre manifestation pour parler dans nos colonnes de Leila Shahid (interviewée dans les DNA à diverses occasions), de Michel Warschawski (interviewé en Israël même et dont les écrits et prises de position ont été évoqués à plusieurs reprises) ou des pacifistes israéliens. Nous avons assuré des débats (grâce à J. Fortier) avec ces pacifistes, nous avons organisé (malgré certaines pressions) un débat dans le cadre des conférences Gutenberg entre Marek Halter et Bichara Khader. Tout cela serait déjà oublié ?

Si nous n’avons pas (c’est une tradition aux DNA en période électorale) évoqué votre manifestation, c’est parce que le compte rendu devait passer un jour d’élections, coïncidence d’autant plus fâcheuse (dont les organisateurs auraient pu tenir compte en avançant ou en reculant de quelques jours la démonstration) que des candidats aux élections européennes participaient à la "rencontre".

Vous pouvez bien sûr ne pas tenir compte de ce type de convergences : le débat démocratique que nous respectons et la sérénité d’un jour d’élections méritaient de nous interpeller aux DNA. Nous assumons cette interpellation.

Veuillez croire, Madame, Monsieur, en l’assurance de mes sentiments distingués.

Le Directeur Rédacteur en Chef

Alain Howiller

Trois arguments, un conseil : journaliste ou chargé de communication ?

 Premier argument : le succès de la manifestation serait dû à son annonce en bonne place le 12 juin.

S’il s’agit d’insinuer que sans cette annonce, l’événement aurait eu un succès moindre ou aurait échoué, c’est oublier que bien des manifestations non annoncées ou annoncées de façon plus minimaliste se sont déroulées avec autant de succès. Mais ne faut-il pas s’inquiéter de la menace latent de ces propos, quand on sait que les DNA ont sur une bonne partie de l’Alsace, sinon un monopole car un autre quotidien - L’Alsace- y existe aussi, mais une position dominante. Pour dire les choses plus brutalement, c’est nous, les DNA, qui décidons si un événement mérite d’accéder à l’existence (médiatique au moins).

 Deuxième argument : on a déjà parlé de Leila Shahid et de Michel Warschawski ainsi que du Proche-Orient.

Doit-on comprendre qu’il eut été superfétatoire d’en remettre le 13 juin ? C’est un peu comme si on disait, par exemple, que le journal a déjà rendu compte de plusieurs attentats -suicides et qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer le dernier survenu. La presse n’a-t-elle pas comme fonction de rendre compte, d’une manière ou d’une autre, de l’actualité, même quand elle paraît répétitive ? Sur d’autres sujets, non seulement elle ne se prive pas de répéter, mais elle abuse du ressassement.

 Troisième argument : les DNA ont pour habitude de respecter la trêve électorale et le 13 juin étant le jour des élections européennes, elles ont choisi de ne pas publier d’article sur la manifestation.

Admettons un instant cet argument. Mais alors qu’est-ce qui empêchait les DNA de faire paraître ce compte rendu dans les jours suivants ? Or rien n’a été publié. Et ce n’est pas la première fois : ainsi, une journée organisée par ATTAC et la CGT du Bas-Rhin, qui avait rassemblé plus de mille personnes, n’avait eu droit qu’à un article dans la page locale de Bouxwiller - bien pratique, ce système des « locales »- mais pas dans le cahier « Région » ! Il arrive souvent pourtant que les DNA publient une information en page « locale » et un résumé en « Région ».

 Le plus curieux est dans le conseil final donné aux organisateurs de la manifestation. Ils auraient dû choisir un autre jour que la veille des élections européennes pour que l’information passe !

Non seulement les DNA se voudraient maîtres de ce que leur lectorat peut savoir de l’actualité, mais il faudrait encore que les organisateurs de manifestations diverses demandent conseil au « Journal » avant d’établir leur calendrier ! Que leurs échéances se calquent sur les exigences des médias ! On aurait pu - naïvement - croire que c’étaient aux médias de rendre compte des événements et non à la réalité de se conformer aux options des médias.

Ce que M. Howiller ne sait pas, c’est que la date du 12 juin avait été délibérément choisie par les organisateurs, le Collectif judéo-arabe et citoyen pour la paix, pour souligner, à la veille des élections, la passivité des gouvernements européens et de la Commission de Bruxelles sur la situation en Palestine, alors que le Parlement européen avait depuis plusieurs mois, voté majoritairement la suspension de l’accord économique UE/ Israël. En censurant cet événement, les DNA rendent donc -involontairement, on ose l’espérer - un service aux gouvernements et contribuent à l’anesthésie de l’opinion publique.

Colmar

 
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